Marc-Antoine Fardin, Ig Nobel et fier de l’être

Physicien au sein de l’Institut Jacques Monod (Université de Paris Cité/CNRS), Marc-Antoine Fardin a obtenu un prix Ig Nobel pour son étude sur les propriétés liquides des chats. Ou comment être sérieux sans se prendre au sérieux.

— Le 4 octobre 2024

Photo par Thibaut Divoux

Les chats peuvent-ils être considérés comme des liquides ? Quelques années après s’être posé scientifiquement cette question décalée, Marc-Antoine Fardin s’envolait pour Boston il y a tout juste sept ans afin de recevoir le Ig Nobel de physique. Un prix qu’il a reçu en septembre 2017 au cours d’une cérémonie déjantée digne d’un film des Monty Python, animée comme tous les ans par des scientifiques — dont de vrais prix Nobel —, certains en blouse blanche, d’autres déguisés ou sur leur 31, dans une tradition du burlesque entretenue depuis les années 1990. Fidèle parmi les fidèles, le physicien Roy Glauber – aujourd’hui décédé – a pendant plus de 20 ans balayé la scène du célèbre Sanders Theatre de l’université d’Harvard après le lancer rituel d’avions en papier par le public… sauf en 2005 lorsqu’il a dû aller chercher son (vrai) Nobel. Le tout sous l’œil attentif du maître de cérémonie et père de l’événement, Marc Abrahams.

« On peut refuser un prix Nobel (…), pas un Ig Nobel »

Marc-Antoine Fardin

Palme dort. Six mois durant, Marc-Antoine a dû garder le secret. Son papier avait été sélectionné dans la revue satirique Annals of Improbable Research mais lorsqu’une des ambassadrices, la docteure spécialisée dans la communication scientifique  Nicole Sharp (jetez un oeil à son blog  son blog FYFD), le contacte en mai 2017, il ne se doute pas une seule seconde que c’est pour lui annoncer qu’on veut lui décerner un Ig Nobel. Il accepte avec joie, s’engageant ainsi à se déplacer pour la cérémonie : « On peut refuser un prix Nobel (pour raisons politiques), pas un Ig Nobel ». Pour lui, c’est aussi l’occasion d’aller au MIT voisin, rendre visite à l’équipe dans laquelle il avait passé de longs mois durant son doctorat et d’inviter ses ex-collègues à la cérémonie. Tout en restant évasif : « Mon ancien directeur de thèse était surpris de ne pas me voir dans le public », se souvient-il. Finalement c’est sur scène que le jeune physicien apparaît. Il est  le premier lauréat de la soirée et ne reste que quelques minutes sur scène, à peine le temps d’un début d’explication… Car, autre tradition de la cérémonie, une petite fille monte sur scène pour l’interrompre : « Please stop: I’m bored », sous les rires du public.

« Ça a été le peer review le plus rapide de ma vie »

Marc-Antoine Fardin

Vous avez dit rhéologie ? Mais Marc-Antoine Fardin n’en tient pas grief aux organisateurs. Au contraire, il est amusé et fier d’avoir obtenu ce prix, devenu une véritable institution dans le monde de la recherche. Les Ig Nobel récompensent en effet chaque année des recherches « qui font rire, puis réfléchir ». Ce qui avait exactement été la démarche du physicien. Alors qu’il n’était que postdoc, une publication sur le blog Bored Panda l’interpelle : une série de photos de chats dans des positions absolument incongrues, qui semblent, tels des liquides, s’adapter à leur contenant. Il s’empare de ce prétexte pour écrire un papier de physique, illustrant ainsi des concepts très sérieux de rhéologie, domaine peu connu de la physique à l’interface entre la mécanique des fluides et des solides. Un texte qu’il signe seul : il avait pourtant proposé à l’un de ses collègues de participer mais ce dernier, craignant pour sa réputation, avait refusé. La plus grosse erreur de sa vie, aurait-il estimé plus tard. Le jeune chercheur envoie son article à la gazette de la société de rhéologie, qui plaît de suite : « Ça a été le peer review le plus rapide de ma vie ». En quelques jours, On the rheology of cats était accepté.

« Beaucoup ont appris ce qu’était la rhéologie »

Marc-Antoine Fardin

Tour du monde. « Ce travail a indéniablement été utile », estime avec le recul Marc-Antoine Fardin. Les problématiques de sa discipline sont souvent dictées par l’industrie agro-alimentaire : du ketchup ou de l’eau, lequel s’écoule le mieux ? Se poser une question hors des sentiers battus et des effets de mode a permis « d’identifier les points faibles des définitions et des outils, là où on ne s’y attend parfois pas du tout ». Bénéfique également pour communiquer au grand public : « Beaucoup ont appris ce qu’était la rhéologie ». Nous y compris. Déjà en poste au CNRS, le chercheur a du coup découvert le monde des médias. Interviewé sur France Inter ou par la BBC, il a ensuite participé à la tournée européenne des Ig Nobel, présentant ses travaux en Angleterre, Danemark ou Suède, passant du temps avec le reste de l’équipe et le gourou grunge Marc Abrahams, lui-même mathématicien de formation et diplômé d’Harvard. Un type de conférence pour lequel Marc-Antoine Fardin continue d’être sollicité : après un TEDx en 2019, sa dernière prestation date de cet été en Corse, en marge d’une école d’été à Cargèse, devant un public constitué des habitants du coin, où il a eu le temps de parler d’histoire des sciences avec l’apparition des concepts de solide, de liquide et de gaz.

« Ça a été un boost pour l’égo, avec une teinte de dérision »

Marc-Antoine Fardin

Décontract’. Enfin, cette année, c’est lui qui a annoncé aux lauréats du Ig Nobel d’anatomie l’heureuse nouvelle, récompensant leur travail sur le sens de rotation des cheveux au sommet du crâne – on vous en parlait. « L’équipe a réussi son pari de construire quelque chose de prestigieux, basé sur le comique. J’espère que le prix continuera le plus longtemps possible », nous confie Marc-Antoine Fardin, qui n’a jamais été pris de haut par des collègues pour sa récompense. Au contraire, elle est même citée dans les rapports de son unité pour le Haut conseil à l’évaluation de la recherche (Hcéres). « Ça a été un boost pour l’égo, avec une teinte de dérision », résume le chercheur. Théoricien dans une équipe dynamique, il ne court pas après les financements ou les publications à fort impact. Une philosophie de vie pour celui qui avait fui les classes préparatoires après une semaine de cours, préférant les bancs plus tranquilles de l’université. Il fête d’ailleurs cet automne ses 20 ans, avec quelques petites interruptions, au sein de l’université Paris Cité : « Je suis là où je voulais être. »

Avez-vous plus de chance d’obtenir un Ig Nobel ou un Nobel ?

Chaque année l’équipe des Ig Nobel (à prononcer ignoble) décerne le prix pour chaque catégorie à tous les auteurs d’un papier. Rien n’interdit de l’obtenir plusieurs fois : le mathématicien Joseph Keller a été lauréat deux fois pour ses travaux portant sur l’écoulement du thé hors de la tasse, puis sur le mouvement des queues de cheval (humaine). Malgré l’ambiance parodique, les travaux récompensés sont toujours sérieux, sauf exception : Jacques Chirac avait par exemple obtenu le Ig Nobel de la paix en 1996 pour sa célébration du 50e anniversaire d’Hiroshima par des tests nucléaires dans le Pacifique. Mais le jury n’aime pas qu’on lui force la main : « Les chercheurs qui font des papiers dans le but d’avoir un Ig Nobel ne l’obtiennent pas », nous rapporte Marc-Antoine Fardin de source sûre. Ainsi, on ne candidate pas pour le Ig Nobel, les papiers sont sélectionnés via la revue Annals of Improbable Research, en grande partie via le bouche à oreille. Un peu comme le vrai prix Nobel (relire notre interview d’Anne L’Huillier), en somme. À ce jour, un seul scientifique a été doublement primé : le physicien Andre Geim, Nobel 2010 pour la découverte du graphène, avait reçu en 2000 le Ig Nobel pour avoir fait léviter une grenouille. A vos imaginations !

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