J’ai grandi dans une famille qui vivait de manière assez précaire. Très jeune, mes parents se sont retrouvés à vivre dans leur voiture, et pendant plusieurs années, leur situation économique a été compliquée. Ça a été une expérience très difficile qui a déterminé mes premières orientations. Je voulais trouver un travail qui m’assurerait une stabilité économique. Au lycée, j’envisageais deux métiers qui allaient dans ce sens : avocat ou médecin. C’est pour cette raison qu’après mon Bac, je suis partie à Bordeaux pour une licence de droit et sciences politiques.
« Je n’avais pas de plans, juste envie d’apprendre »
Assez rapidement, je me suis rendu compte qu’il me manquait quelque chose. J’ai tout de même terminé ma licence puis j’ai bifurqué vers l’anthropologie. Avec un projet : me faire une culture générale puis retourner vers le droit international. Finalement, je suis tombée amoureuse de l’anthropologie, sans toutefois envisager d’y faire carrière. L’anthropologie me permettait de mieux comprendre le monde et les personnes autour de moi. Assez rapidement, j’ai voulu la coupler avec d’autres disciplines. Pendant quelques années, j’ai donc enchaîné les formations : licence de sociologie, de neurosciences puis master d’histoire… Je n’avais pas de plans, juste envie d’apprendre.
Pour mettre un pied dans le monde du travail, je me suis ensuite orientée vers un master d’anthropologie médicale au cours duquel j’ai eu l’occasion de faire un stage d’environ un an. Je travaillais sur la construction des savoirs autour de la maladie de Parkinson, on étudiait la manière dont les différentes disciplines se parlent lorsqu’elles doivent décider d’une action médicale pour un patient. Cette étude a donné lieu à presque un an de terrain et deux mémoires. C’était presque comme une première thèse ; d’ailleurs c’est souvent de cette manière que je présente cette expérience.
« L’idée du doctorat ne m’a jamais quittée »
À la suite de ce master, j’ai donc candidaté pour un contrat doctoral, sans succès. Ce refus m’a décidé à monter une entreprise de conseil. À l’époque, les conseils scientifiques dans les startups n’étaient pas d’usage ; je leur proposais donc mes services. Malgré tout, l’idée du doctorat ne m’a jamais quittée. Avec de la motivation, j’ai finalement été acceptée par une école doctorale sans contrat à l’université Bordeaux 3 sur l’adaptation des nouvelles technologies aux publics cognitivement ou physiquement diminués. Neurosciences, sciences cognitives, ergonomie, sociologie…. Le sujet était à la croisée de plusieurs disciplines, ce qui correspondait parfaitement à mon parcours et mes envies.
« Vivre dans la douleur au quotidien a bien évidemment été une motivation »
En parallèle de mes études, j’ai débuté le projet Lucine en 2013. Je suis atteinte d’endométriose ainsi que du syndrome d’Ehlers-Danlos et je souffre depuis aussi longtemps que je me souvienne. J’ai été en errance médicale pendant longtemps ; le personnel médical ne savait pas comment gérer ma douleur. J’ai été rapidement traitée mais les médicaments ont eu un gros impact sur ma vie personnelle et mes fonctions cognitives. C’est ce qui m’a poussé à monter Lucine : je ne comprenais pas qu’à l’heure actuelle on ne sache pas soulager ces douleurs. Le fait de les vivre au quotidien a bien évidemment été une motivation. Le problème c’est qu’au départ je jonglais entre la thèse et ce projet… Et très vite, Lucine m’a pris plus de temps que ma thèse. Ça a été une période assez compliquée. J’avais l’impression qu’on me demandait de choisir entre science et entrepreunariat. Après deux ans de thèse, j’ai finalement décidé de quitter l’université.
« La suite reste un grand défis »
J’ai créé Lucine en 2017 avec deux co-fondateurs, après avoir réalisé une étude de marché pendant près de trois ans, en nous concentrant au départ sur l’endométriose. Notre application utilise la reconnaissance faciale et posturale pour mesurer et analyser la douleur des patients et leur proposer un traitement adapté. En 2019, nous avons développé un premier produit qui nous a permis d’envisager les premiers essais cliniques. Un an plus tard, nous réalisons une levée de fonds : plus de cinq millions d’euros ! Et aujourd’hui, nos résultats sont prometteurs et nous avons obtenu notre homologation ! En quelques années, nous avons montré que nous étions présents, motivés et très contents d’être lauréats des concours iLab et iNov. Malgré tout, la suite reste un grand défi. Nous réalisons cette année une nouvelle levée de fonds. Le but est de pousser l’aventure le plus loin possible !