La France aime-t-elle ses universités ? Alain Fuchs, président de PSL, posait la question il y a quelques semaines lors de la conférence de presse de rentrée d’Udice (et semblait penser que non). Qu’en pensez-vous ?
La phrase a effectivement marqué parce qu’elle jouait sur le registre affectif ; au fond, il a eu raison de provoquer de la sorte. Mais pour tenter à mon tour de répondre à la question, tout dépend de quelle France nous parlons. Pour celle à qui nous devons rendre des comptes, la réponse est nuancée : dans la représentation nationale, les collectivités locales et territoriales — les maires notamment — ont tous affaire à l’université. Notre présence dans le tissu social est réelle mais la perception de nos enjeux est beaucoup moins bonne. L’année zéro de l’intérêt des politiques pour les universités, je la situerais durant du ministère de Valérie Pécresse lors du mandat de Nicolas Sarkozy. Nous sommes devenus une réalité politique à ce moment-là. Qu’on le veuille ou non — et quelque soit son opinion politique —, cette période correspond à l’extension de nos compétences, avec la loi d’août 2010 et le début de l’autonomie des universités, même si elle n’est pas suffisamment aboutie à notre goût.
« Emmanuel Macron va annoncer une première salve de mesures »
Michel Deneken
Dans un régime présidentiel, la parole d’Emmanuel Macron compte double. Les promesses esquissées en 2022 ont-elles été suivies d’effets ?
Le président de la République a le souci de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Nous avons justement été reçus [l’interview a eu lieu le 15 novembre dernier, NDLR] hier soir avec France universités, l’AUREF, la Cdefi et la CGE [représentant respectivement les universités de recherche et de formation, les écoles d’ingénieurs et les grandes écoles, NDLR] à l’Élysée par Emmanuel Macron. Il nous a écoutés et prépare une première salve de mesures — annoncées à une date que nous ne connaissons pas encore —, notamment sur les Agences nationales de programme. Elles seront annoncées par Emmanuel Macron lui-même et nous saurons alors ce qui aura été retenu des travaux et des auditions menées ces derniers mois. Le symbole est fort du point de vue des universités de recherche. On discerne la volonté que ces agences, qui ne dépendent pas que du ministère de la Recherche mais aussi de l’Industrie, de l’Agriculture… soient portées au plus haut niveau. Ce sera un moment important et, je l’espère, le début d’une restructuration du paysage français, qui serait à la hauteur de ce qu’a annoncé le chef de l’État aux 50 ans de France Universités. Le président a défini par deux fois lors de ce discours les universités comme opérateurs de recherche ; nous parlons de notre côté de « chef de file » au niveau des territoires même s’il ne s’agit pas pour nous d’inféoder les organismes. Nous attendons donc qu’il confirme ses propos, tout particulièrement concernant les universités de recherche.
Faut-il pour autant parler de nouvelle ère dans les rapports de l’université aux politiques ?
La Nation s’intéresse aux universités en cas de grèves, d’occupations ou de manifestations. Au niveau régalien, l’école est beaucoup plus un enjeu politique que les universités, c’est évident. Il suffit de comparer les apparitions médiatiques du ministre de l’Éducation nationale et celles de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Lors des élections, qu’elles soient législatives, présidentielles ou municipales, l’enseignement supérieur ne joue aucun rôle à moins qu’il n’y ait une conséquence immédiate sur leur élection. Très peu de députés en parlent, par exemple, sauf si un maire dispose d’un IUT ou d’une école d’ingénieurs dans sa circonscription, qui devient alors l’objet de sa sollicitude.
« On trouvera à mon avis peu de gens à l’enterrement des alliances thématiques »
Michel Deneken
Ces derniers mois ont été marqués par plusieurs lancements de Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) qui semblent être passés bien au-dessus des universités.
Nous avons il est vrai peu apprécié l’expérience des PEPR parce qu’ils sont partis d’une idée française qui veut qu’un programme national soit piloté nationalement. Nous réclamons aujourd’hui de l’horizontalité, nous verrons comment les cartes se distribueront. La disparition des alliances [Allenvi, Aviesan, Allisten, etc, NDLR] qui accompagne ce mouvement et la naissance des agences de programme est probablement actée : on trouvera à mon avis peu de gens à leur enterrement. Elles étaient dans beaucoup de cas inactives, inutiles ou redondantes.
S’agit-il selon vous d’un énième Meccano institutionnel ou d’une vraie réforme ?
Il s’agit du début d’une réforme à mon sens. Les Agences nationales de programme poseront nécessairement la question de l’articulation de ces programmes au niveau local et in fine, celle des universités comme chef de file. Nous ne demandons qu’une confirmation de ce qui a déjà été dit. Il sera très rapidement nécessaire sur le terrain de distribuer les rôles : la création de ces agences va faire bouger le paysage mais ce n’est qu’une première étape. Quand le tram a été installé à Strasbourg, nous nous sommes rendus compte des années après de la manière dont la ville en avait été changée.
« Il ne s’agit pas de donner un euro à chacun mais de donner à chacun les moyens de sa politique »
Michel Deneken
Qui dit agence de programmes, dit nouveaux appels à projets, n’est-ce pas trop ?
Nous sommes sensibles à la fatigue, y compris physique, de chercheurs qui passent du temps à répondre aux appels à projets. Pour autant, les mêmes parfois nous témoignent du fait que cela les stimule, leur apporte des financements nouveaux, leur ouvre des perspectives de recherche. Je ne m’exprime peut-être qu’à titre personnel mais je ne veux pas renoncer à cette culture qui, malgré ses défauts, a quand même apporté dans nos labos des moyens et de la créativité. Je ne crois pas que les chercheurs sont vent debout contre les appels à projets, ils pensent simplement qu’il y en a trop. Les contrats d’objectifs et de moyens [COMP, NDLR] dont nous discutons avec le ministère peuvent être utiles dans cette optique. Je reprends l’exemple de Strasbourg : nous avons obtenu 40 millions en extrabudgétaire grâce à divers appels en un an (ASDR, Excellences…).
Que ce soit pour les labos ou pour les établissements, n’est-ce pas une forme de rupture d’égalité des chances ?
Je vous réponds « oui » si vous enlevez le mot « chance ». C’est un débat philosophique que nous avons souvent entre nous : qu’est-ce que l’égalité ou la justice ? Mes racines intellectuelles remontent à Saint-Thomas d’Aquin : il ne s’agit pas de donner un euro à chacun mais de donner à chacun les moyens de sa politique. Ce qui implique de ne pas doter de la même manière une unité de recherche qui n’a besoin que de crayons et de gomme et une autre qui doit entretenir un cyclotron. Il faut avoir le courage de dire que Montpellier n’est pas équivalent à Strasbourg ni à Paris et travailler à une clarification de la signature de nos établissements.
« Ma définition de l’excellence : il s’agit de tirer le meilleur des gens »
Michel Deneken
Puisque nous en sommes aux débats philosophiques, qu’est-ce que l’excellence ?
Je vais commencer par définir ce qu’elle n’est pas : quantitative. On la critique, comme on critique l’élitisme, parce qu’elle serait nuisible à 80% des gens qui seraient moyens, médiocres ou juste bons. On loue aujourd’hui l’école de Jules Ferry, d’autant qu’elle a disparu, mais c’est bien elle qui a instauré les tableaux d’excellence. Je dirais avant tout qu’il s’agit d’un état d’esprit — Alain Beretz avait inventé le concept d’excellence inclusive — qui doit s’écarter du cliché qui voudrait que l’excellence ne sélectionne que certains pour monter dans la navette spatiale quand la Terre sera en feu. L’excellence, ce n’est pas les 200 familles de la 3e République, en somme. Il s’agit de considérer que la recherche et l’enseignement doivent viser le plus haut niveau en permanence. J’en reviens à la définition de l’excellence : il s’agit de tirer le meilleur des gens. Je suis aujourd’hui enseignant en fin de carrière mais, en tant qu’enseignant, notre mission est de pousser tous les étudiants à leur maximum, sans pour autant créer de compétition féroce entre eux. Je ne connais aucune équipe ou aucun chercheur, y compris parmi celles et ceux qui militent dans la rue contre l’excellence, qui se satisfasse d’être médiocre. Toutes ont l’ambition de faire des cartons en termes de publis, que son colloque fasse le plein, d’être lus…
L’excellence n’est pas quantitative selon vous mais bel et bien mesurée, notamment par les classements universitaires. Pourquoi l’université de Strasbourg, dont vous êtes le président, s’est-elle retirée de certains classements mondiaux ?
Nous nous sommes effectivement retirés du classement de Times Higher Education, uniquement déclaratif. Quant à Shanghai, on ne peut décider de s’y soustraire. Je tiens à dire que ces classements ne sont pas dans la tradition française : se défier d’une année sur l’autre a-t-il un sens ? Nous allons certainement faire le choix à l’université de Strasbourg de se baser sur le classement de Leiden, qui est le plus stable.
« Une caution pour les étudiants étrangers ? C’est de la xénophobie »
Michel Deneken
Sur un tout autre sujet : dans la version du projet de loi immigration votée par les sénateurs, il est prévu que les étudiants étrangers versent une caution à l’entrée sur le territoire. Qu’en pensez-vous en tant que président de l’université de Strasbourg, même si la mesure a peu de chance d’être entérinée ?Une communauté universitaire est par définition cosmopolite même si je ne suis pas pour répondre à toutes les injonctions du mondialisme. Autant les droits différenciés [le plan « Bienvenue en France » a été récemment mis en place à l’université de Strasbourg, NDLR] ne me choquent pas, autant là il s’agit de méfiance a priori vis-à-vis des étrangers. Dans le même ordre d’idée, je milite pour une allocation mensuelle unique pour tous les étudiants en France [rapidement écartée par le gouvernement, NDLR]. Il ne s’agit évidemment pas de favoriser la paresse ou l’assistanat mais de mettre en place un contrat. Un cautionnement sans aucun critère comme le proposent les sénateurs serait tout simplement de la xénophobie. Ces étudiants étrangers sont suivis pas-à-pas et faute de réussir, la préfecture se rappelle à notre bon souvenir : ils sont alors reconduits hors du territoire. Ces cas sont marginaux : peut-être 150 au niveau d’Udice en totalité, certainement une dizaine à Strasbourg cette année, sur des centaines d’étudiants. Ce parti-pris de défiance des sénateurs, je ne le partage pas. On en est à se demander s’ils connaissent la situation réelle des étudiants étrangers en France.