Nanoparticules, fraudes et sanction au CNRS

L’affaire Spadavecchia semble arrivée à son terme avec l’exclusion pendant deux ans de la chimiste du CNRS pour de nombreux manquements à l’intégrité. Reste à en tirer toutes les conclusions.

— Le 13 juin 2025

« Mme Jolanda Spadavecchia, (numéro matricule SIRHUS n° 00075188), directrice de recherche de 2ème classe au sein du laboratoire “Chimie Bio-organique, Biophysique et Biomatériaux pour la Santé”, UMR7244, est exclue temporairement de ses fonctions pour une durée de deux ans (…). » Voici ce qu’annonçait sobrement le bulletin officiel du CNRS daté d’avril 2025. Une sanction d’une sévérité relativement inédite, en réponse à des agissements qui le sont tout autant : des manquements à l’intégrité scientifique avérés et répétés, notamment des données falsifiées dans 17 publications, comme l’a conclu le comité d’experts chargé d’examiner près d’une trentaine d’articles suspectés. Retour sur quatre ans d’investigation, de batailles juridiques et d’incertitudes au sein d’un laboratoire de la région parisienne et plus largement dans toute une communauté de chercheurs.

« Ces manquements répétés (…) ont jeté le doute sur la crédibilité de l’ensemble de ses travaux »

Bulletin officiel du CNRS

Problème de manips. Début 2021, le physicien Raphaël Lévy débarque du Royaume-Uni en tant que professeur à l’Université Paris Sorbonne Nord. Il ne tarde pas à découvrir des incohérences dans un premier article publié par des membres de l’équipe qu’il vient de rejoindre. D’autres suivront. « Le même histogramme – celui des tailles de nanoparticules – apparaissait plusieurs fois mais avec des axes des “x” différents », détaille ce chercheur qui n’en est pas à sa première dénonciation de publications problématiques – relire notre portrait. Il signale les faits au CNRS et à l’université, qui lancent une investigation chapeautée par les référents intégrité scientifique – qui sont-ils ? nous vous en parlions. Le rapport est rendu à la direction du CNRS au printemps 2022. Sous couvert de confidentialité, rien n’est rendu public à ce stade, comme c’est la norme dans la plupart des établissements français. Sauf que dans le laboratoire, tout le monde sait qu’il se passe quelque chose. Les tutelles envoient un email aux personnels de l’unité, recommandant la correction de certains articles. Une décision illogique pour Raphaël Lévy : « Corriger alors que les données ont été falsifiées est absurde. »

Copiés-collés. Dans plusieurs publications signées par Jolanda Spadavecchia, des graphiques ont été dupliqués et apparaissent avec des abscisses différentes dans plusieurs articles. Même procédé pour des images de nanoparticules prises au microscope dont les échelles varient d’une publi à l’autre. Des falsifications de données documentées sur la plateforme Pubpeer à partir de 2022 dans près d’une vingtaine de publications ; 41 sont aujourd’hui pointées grâce aux commentaires de Raphaël Lévy, d’Elisabeth Bik (relire notre interview) et ceux d’utilisateurs anonymes comme le permet Pubpeer. Une seconde enquête est ouverte en 2023 suite à un signalement anonyme – Raphaël Lévy affirme ne pas en être à l’origine – alors que l’affaire avait déjà été rendue publique : notre confrère du Monde David Larousserie la révélait en décembre 2022. Alors dans l’attente de sa sanction disciplinaire suite aux premières investigations, Jolanda Spadavecchia répondait au quotidien, reconnaissant des erreurs mais rejetant l’accusation de fraude. Un graphique peut-il vraiment se retrouver dans trois publications, avec des échelles différentes, par hasard ? La défense de la chimiste pouvait sembler raisonnable face aux conclusions de la première enquête qui recommandait seulement la correction de quelques articles. Et la sanction, plutôt clémente, a suivi : un mois de suspension. La seconde enquête n’avait alors pas encore débuté.

« On s’assure que la sanction proposée est juste, à la fois pour les personnes accusées (…) et les personnes qui ont subi les conséquences »

Un membre de la commission administrative paritaire (CAP) du CNRS

Récidiviste. Publiées en mai 2025 par le CNRS, les recommandations des experts mandatées pour la seconde investigation contredisent les premières d’une manière flagrante : sur 27 publications signalées, 17 sont considérées comme problématiques au point de demander leur rétractation car elles « présentent un caractère délibérément falsifié ». Certaines des corrections effectuées suite à la première enquête sont jugées insuffisantes et entre-temps, trois articles ont déjà été rétractés par des éditeurs n’acceptant pas de simple correction. Si le rapport de ces trois experts « indépendants, spécialistes [en] nanoparticules, biophysique et microscopie électronique » est à nouveau tenu secret, le Bulletin officiel (BO) du CNRS d’avril 2025, lui, fait état « de nouveaux faits de méconduite scientifique graves et répétés ». Deux ans d’exclusion pour la chimiste : la sanction et la levée de l’anonymat sont actées par le PDG du CNRS Antoine Petit en personne suite au passage du dossier devant la commission administrative paritaire (CAP) des chercheuses et chercheurs. Composé de huit membres nommés et du même nombre d’élus, tous chargés ou directeurs de recherche dans les différentes disciplines que couvre le CNRS, cet organe rend un avis sur les cas d’insuffisance professionnelle ou de faute comme le harcèlement ou les manquements à l’intégrité scientifique. « On s’assure que la sanction proposée est juste, à la fois pour les personnes accusées par l’administration contre lesquelles le dossier est entièrement à charge, et les personnes qui ont subi les conséquences, notamment les victimes de harcèlement », nous explique l’un de ses membres élus. 

Faites entrer l’accusée. Après une journée d’auditions – celles de Jolanda Spadavecchia, de son défenseur ainsi que de dix témoins dont 9 à sa décharge –, la CAP a estimé que « ces manquements répétés (…) ont porté atteinte au bon fonctionnement du laboratoire et jeté le doute sur la crédibilité de l’ensemble de ses travaux (…) », mentionne le BO qui ne précise en revanche pas quelle sanction la commission recommandait – car le PDG peut la modifier à sa guise. Une situation très différente de celles des universités où la section disciplinaire de l’établissement acte la sanction et où la présidence dudit établissement peut uniquement en faire appel devant le Cneser disciplinaire – relire le dernier épisode de notre série Comparutions. Aucune échelle des peines n’existant, les jurés se basent donc sur la jurisprudence interne. Un des cas les plus emblématiques en la matière est celui d’Olivier Voinnet en 2015. Cette étoile montante de la biologie végétale, médaille d’argent du CNRS et élu à l’Académie des sciences, avait été l’un des premiers à voir ses publications  épinglées sur Pubpeer : huit avaient été rétractées en 2018 et plus de vingt corrigées. Il avait également écopé de deux ans d’exclusion. Une sanction qui peut faire l’objet d’un recours, d’abord gracieux auprès du président du CNRS, puis au tribunal administratif – et cela arrive régulièrement

«  L’établissement [doit veiller à] assurer la correction de la science »

L’Office français de l’intégrité scientifique

Seule avec tous. La sanction était-elle adaptée ? Jolanda Spadavecchia a-t-elle agi seule ? Nous n’avons pas réussi à la joindre mais la multiplicité des co-auteurs laisse peu de doute – la chercheuse n’a d’ailleurs jamais tenté de rejeter la faute sur l’un de ses collègues. Pour Raphaël Lévy, le plus important est que les articles soient rétractés. Lui qui étudie, au sein d’un projet ERC nommé Nanobubbles, la correction de la science estime que la transparence des procédures, encore très limitée (nous vous en parlions), permettrait de mieux en comprendre la lenteur. D’après le rapport de l’Office français de l’intégrité scientifique (Ofis) publié en mai 2025, seule la moitié des établissements répondants avaient bouclé au moins une investigation deux ans après son lancement. Dans cette affaire, quatre ans auront été nécessaires pour conclure en faveur de la rétractation de certaines de ses publications, sans parler de dix autres pour lesquelles aucune recommandation n’a été rendue publique. Aujourd’hui, la balle est dans le camp des éditeurs mais le CNRS a toujours un rôle à jouer afin de s’assurer que les publications seront bien rétractées. Un processus « en cours », nous répond le CNRS.

Et maintenant, qu’allons-nous faire ?

« Ce qui me marque dans cette affaire, c’est que de la science de mauvaise qualité soit en circulation », nous confie Gaëlle Charron, enseignante-chercheuse en chimie à Paris Cité dans une thématique connexe. Avec des impacts concrets dans sa vie de chercheuse : « Quand on essaie de reproduire les résultats d’une publication, la probabilité que ça fonctionne est très faible (…) Je dois rassurer les jeunes chercheurs car on peut vite penser qu’on n’est pas doué. »  Une véritable course à la publication – certains en publient une vingtaine par an – et aux promesses de révolution médicale et technologique entretenues par les institutions et les revues qui n’est pas sans conséquences, scientifiques et humaines. Dans cette affaire, accusé de harcèlement par Jolanda Spadavecchia puis blanchi par le Collège de déontologie, Raphaël Lévy estime avoir essuyé un contre-feu nourri depuis son premier signalement ; ses étudiantes ont elles-mêmes été accusées de méconduites puis à leur tour blanchies. Conséquences également pour tous les collaborateurs de Jolanda Spadavecchia qui, bien qu’en partie responsables, n’avaient peut-être pas réalisé l’ampleur des fraudes et voient leur réputation grandement ternie. « Un accompagnement peut être envisagé pour les co-auteurs s’ils sont employés par le CNRS, ce qui n’est pas le cas pour les publications incriminées », nous répond l’organisme. Jolanda Spadavecchia reviendra quant à elle à la recherche à l’expiration de sa sanction en 2028 ? Avec quel avenir ? Les personnes reconnues coupables de fraudes semblent avoir bien du mal à se débarrasser de ce qui est considéré dans le monde académique comme la pire des infamies. Olivier Voinnet, malgré son mea culpa, en est un exemple. « Comment en sortir par le haut ? », s’interroge Raphaël Lévy depuis le début de cette affaire. Récompenser les chercheurs qui reconnaissent leur tort et tentent de faire le ménage – nous vous en parlions – sans pour autant encourager et banaliser les comportements malhonnêtes ? Une position d’équilibriste qui reste à trouver.

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