Bon, je suis assez critique par nature, et l’interview de Philippe Bihouix sur l’innovation (TMN du 8 novembre 2019) m’a fait réagir. Je voulais donc vous partager mes sentiments à ce sujet. Globalement, ce qui me perturbe dans les questions c’est qu’on se restreint implicitement aux aspects techno de l’innovation et des sciences, alors qu’il y a plein d’autres domaines. Et pour moi ça se ressent dans les réponses.
Tout d’abord, je ne suis pas d’accord avec son premier constat d’une société actuelle « peureuse ». Rien qu’en se restreignant au domaine des technologies, les innovations sont monnaie courante, bien plus qu’en 1970. Et surtout leur acquisition par la société est incroyablement plus rapide ! Les deux sont liés d’ailleurs, car le fait que les innovations arrivent rapidement dans les foyers, industries, etc, permet d’en développer de nouvelles. Quant à « l’injonction à innover », ça dépend énormément des entreprises ! Par exemple les grands groupes ont une inertie telle qu’ils n’innovent jamais réellement : ils créent des spin-off. Pour moi, il y a deux types d’innovation : inventer quelque chose d’original ou récupérer une idée/concept/… d’un domaine/contexte et l’adapter à un autre, ou bien s’en inspirer. D’ailleurs ça se retrouve dans la recherche en sciences appliquées – j’ai eu la chance de faire un peu des deux pendant ma thèse. Donc si par « innover comme les autres » il entend « récupérer une innovation pour l’appliquer à un autre domaine », dans ce cas je suis d’accord avec lui ; mais attention le risque n’en est pas directement réduit ! Et s’il entend « copier une idée qui est déjà en place dans notre domaine » alors non ce n’est pas de l’innovation…
Ensuite, ça parle de l’enjeu « bonheur », qui est trop vague selon moi : bonheur collectif, bonheur individuel, ou bonheur de celui qui innove ? L’innovation n’est pas forcément liée à l’augmentation du bonheur collectif, mais elle améliore la vie de celui qui innove (donc son bonheur). Les fameuses prophéties non réalisées sont de l’ordre de la science-fiction, et c’est une restriction forte que de ne regarder que les histoires qui finissent bien ! Il y a énormément d’auteurs qui mettent en garde devant les dérives possibles en ce qui concerne les nouvelles techno. Donc je ne suis pas d’accord sur l’aspect « religieux ». Je le rejoins sur le fait qu’on innove moins dans le social/politique – d’ailleurs un peu de pub : notre outil [la start-up Entropy, NDLR] est une innovation à la fois techno et sociale ! Et je confirme : la barrière de l’acceptabilité des aspects sociaux est beaucoup plus forte que pour les technos… d’où le fait qu’il y ait moins d’innovation dans le social/politique – car quantité d’innovation et acceptabilité sont très liées à mes yeux.
J’aime beaucoup sa dernière phrase : « Les générations précédentes pourraient peut-être dénoncer cela mais on oublie vite ». Il y a l’équivalent en écologie : l’amnésie environnementale, qu’il est en train de généraliser quelque part à l’innovation. Par rapport à la question posée, je ne vois pas en quoi cela peut se retourner contre la science. Mais c’est peut-être dû au fait que je ne vois pas le caractère religieux… Là je sèche !
Enfin, je suis assez d’accord avec sa réponse sur les low-tech dans la recherche. Mais je ne crois pas que chaque découverte (techno du coup ?) doit finir en startup, sinon il y aurait peu de découvertes… En revanche il y a clairement un problème dans le transfert de savoir de la recherche vers la société : c’est beaucoup trop long ! Il manque peut-être des maillons à la chaîne… Je ne sais pas trop. Et concernant le social/politique, n’en parlons même pas ! Les grandes lignes politiques ignorent complètement la majorité des avancées de la recherche.
En tout cas, c’est chouette TMN ! 😀
Jordan
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