En mars 2025, l’administration Trump a supprimé 400 millions de dollars de subventions fédérales à l’université new-yorkaise Columbia. Quels étaient les motifs avancés ?
Le prétexte était simple : Columbia ne faisait pas assez pour protéger ses étudiants juifs contre l’antisémitisme sur le campus. Ces accusations étaient en réalité présentes dans le débat public avant l’entrée en fonction de Donald Trump. Les manifestations qui ont découlées de la guerre menée à Gaza par Israël avaient certes installé un climat tendu au sein de l’établissement. Mais la situation était souvent dépeinte de manière totalement erronée, mentionnant des manifestations ultra-violentes quand elles étaient en réalité pacifiques et encadrées par des policiers. Les mensonges ont un rôle central dans les mécanismes du fascisme. Donald Trump et son administration ont ainsi exploité ces tensions pour leur propre agenda. C’est-à-dire la mise en place d’une politique allant contre l’Université et la diversité.
« Donald Trump et son administration (…) ont décidé de se comporter de manière dictatoriale et illégale»
Quelles étaient les réformes demandées pour que Columbia retrouve ces financements ?
Il était par exemple demandé à l’établissement de revoir totalement sa gestion des mouvements de protestation étudiants, d’établir une définition de l’antisémitisme ou encore de réformer certains départements d’études [sur le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et l’Afrique, NDLR]. Demandes auxquelles la présidence de l’université a accédé. L’accord est d’ailleurs détaillé dans une lettre publique. Et les changements sont déjà visibles : l’accès au campus est par exemple bien plus contrôlé qu’avant avec une sécurité extrêmement renforcée.
Donald Trump est-il réellement en droit de supprimer des financements fédéraux de la sorte ?
La suppression des subventions de Columbia est complètement illégale. Si le gouvernement américain est en effet en droit de couper les financements d’une université — pour des accusations d’antisémitisme par exemple —, il faut auparavant ouvrir une procédure administrative et une enquête pour s’en assurer. Ici, la suppression s’est faite de manière totalement arbitraire. C’est totalement inédit. Et c’est ce qui fait toute la différence avec le précédent mandat de Trump. Cette fois-ci, il dispose d’une majorité à la Chambre des représentants, au Sénat, ainsi qu’à la Cour suprême. Lui et son administration se sont rendus compte qu’ils n’avaient plus besoin de suivre les lois et ont décidé de se comporter de manière complètement dictatoriale et illégale.
« Les demandes faites à Columbia n’étaient pas de la même ampleur que celles faites à Harvard, qui étaient bien plus lourdes »
Si les mesures prises par l’administration Trump à l’égard de Columbia étaient bien illégales, pourquoi ne pas avoir porté plainte ?
J’ai passé beaucoup de temps — comme de nombreux collègues — à essayer de comprendre les motivations de la direction de Columbia… Mais il est très difficile d’obtenir une réponse à cette question. Aux États-Unis, la procédure pour récupérer ces financements supprimés est très compliquée : l’université doit passer devant la cour des réclamations fédérales, une procédure longue et compliquée d’autant que les financements ne sont pas récupérés immédiatement. Les administrateurs de Columbia ont cédé et décidé qu’au lieu de se battre avec l’administration Trump sur la légalité de son action, ils allaient tenter d’aboutir à un accord sans passer par le système judiciaire. Nous sommes nombreux à penser que c’était une terrible erreur. Les demandes faites à Columbia n’étaient pas de la même ampleur que celles faites à Harvard — bien plus lourdes —, ce qui explique peut-être la différence de réaction entre les deux établissements.
Après avoir cédé à ces demandes, les fonds dont Columbia avaient été privé lui ont-ils été restitués ?
Absolument pas. Et c’est même pire que cela. Après avoir satisfait à toutes les demandes émises de l’administration Trump en mars 2025, non seulement Columbia n’a pas retrouvé ces financements mais de nouvelles demandes ont été formulées. Jusqu’à présent donc, l’université a fait des compromis sans rien obtenir d’autre que des demandes supplémentaires dont les détails ne sont pas publics. Seuls le président et le conseil d’administration de l’université [trustees en anglais, NDLR] savent ce qu’il se passe. L’ensemble des personnels et étudiants de l’établissement est dans l’attente.
« Seuls le conseil d’administration et le président ont le contrôle (…) Le reste de l’université n’a que très peu de poids »
Les professeurs de Columbia sont donc tenus à l’écart des négociations ?
Tout à fait. Non seulement les membres de la faculté ne sont pas informés mais même certains administrateurs de haut niveau ne le sont pas. Il y a peu, j’ai assisté à une réunion au cours de laquelle le prévot de l’université — le plus haut responsable de l’établissement après le président — a avoué qu’elle n’était pas tenue au courant. Seuls le conseil d’administration — composé d’une vingtaine de personnes — et le président ont le contrôle sur les décisions financières et judiciaires qui concernent l’établissement. Le reste de l’université n’a que très peu de poids. Dans les faits, je pense qu’une grande majorité d’entre nous préfèrerait s’opposer à l’administration Trump.
Vous avez parlé d’une « terrible erreur » de la part de Columbia d’avoir cédé aux pressions de l’administration Trump. Pourquoi cela ?
Mon premier argument est d’ordre purement moral : il me semble complètement immoral de suivre les décisions illégales d’un dictateur sans essayer de les combattre devant la justice. Le second est d’un point de vue pratique. Lorsqu’un président et son administration se permettent ce genre de choses, ne pas les combattre ne fait que les encourager à exiger toujours plus. Et c’est ce qu’il se passe aujourd’hui. La direction a accepté les demandes initiales en pensant arranger les choses mais il n’ont rien obtenu d’autre que des demandes supplémentaires et une humiliation. Humiliation cherchée par Trump et ses équipes pour décrédibiliser les universités et leurs personnels.
« En recherche biomédicale, les expériences sont arrêtées, les laboratoires fermés et les chercheurs renvoyés »
Comment est perçue la situation par les membres de l’université ?
Nous ne sommes évidemment pas très optimistes. Mais personne ne sait réellement comment la situation va évoluer, tout change très vite. De nombreuses personnes sont dans l’attente de savoir s’ils vont retrouver ou garder leurs financements pour poursuivre leurs expériences. Et toutes les disciplines ne sont évidemment pas touchées de la même manière. En mathématiques par exemple, nous pouvons continuer à mener des recherches sans financement significatif de ce type. Alors que dans la recherche biomédicale, les expériences sont arrêtées, les laboratoires fermés et les chercheurs renvoyés.
Que peut-on espérer pour les prochains mois ?
Il y aura sans doute de nouvelles exigences émises par le gouvernement et je vois mal comment Columbia pourrait arrêter de s’aligner sur ces demandes et changer de stratégie : difficile de pointer devant un juge l’illégalité de demandes que l’on a déjà acceptées. Une de nos autres grandes inquiétudes — à laquelle nous aurons des réponses dans les mois à venir — réside dans notre capacité à accueillir des étudiants étrangers. Dans mon programme de doctorat par exemple, nous avons accepté sept nouveaux étudiants venant tous de l’étranger. Ils auront besoin d’un visa, reste à savoir s’ils parviendront à l’obtenir. De manière plus générale, l’accueil des étudiants étrangers hors doctorat est un enjeu majeur : ils représentent une part très importante de la communauté étudiante des universités américaines et paient des frais de scolarité conséquents. Notre impossibilité à les accueillir serait un réel problème financier pour les établissements.
« Mon but reste le même : décrire les choses telles qu’elles se passent »
Vous relatez régulièrement les événements qui agitent l’université de Columbia sur votre blog. Pourquoi avoir décidé de prendre la parole ?
Je tiens ce blog depuis près de 20 ans, il était au départ consacré à des sujets scientifiques liés à mon domaine de recherche. J’ai commencé à relater les événements qui se déroulaient à Columbia, avant même que Donald Trump ne soit réélu. J’avais pour objectif de déconstruire les mensonges que l’on pouvait lire dans la presse sur ce qu’il se passait à Columbia. Lorsque j’ai commencé à écrire, je souhaitais défendre l’administration de mon université contre des accusations injustes. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, mais mon objectif reste le même : décrire les choses telles qu’elles se passent. De plus en plus de personnes s’informent via des médias qui ne sont pas conçues pour fournir des informations exactes — Fox News en est l’exemple parfait. C’est un problème croissant aux États-Unis et sans doute une des raisons pour laquelle Donald Trump a été réélu. Lorsque l’on demande à ses électeurs pourquoi ils ont voté pour lui, un grand nombre argumentent à partir d’informations complètement erronées. Mais ce n’est pas propre aux États-Unis : la domination de ces nouvelles sources d’information qui poursuivent un agenda d’extrême-droite est extrêmement dangereuse et surtout extrêmement efficace.