Publier, ça peut payer (en vrai)



vendredi 26 juin 2020 /// L’actu des labos
Quanti ou quali,
that’s the question

Un seul monde académique mais une multitude de culture. C’est ce que nous voulions vous illustrer cette semaine.
Côté pile, la déclaration de San Francisco (Dora) pour une autre évaluation, déjà mise en pratique en Catalogne (voir notre interview).
Côté face, la recherche biomédicale française mise encore tout sur le facteur d’impact et troque publis contre financements (voir notre enquête sur Sigaps).
Bonne lecture,
Lucile de TMN

PS. Après trois mois d’absence, vous avez de nouveau rendez-vous avec Matilda. Notre Matilda est cette fois Pérola Milman. A écouter absolument.


Si vous n’avez que 30 secondes

Publier dans le biomédical, ça peut payer ;
• Un outil bien pratique pour votre biblio ;
Les femmes ont moins publié pendant le confinement ;
• L’évaluation alternative en pratique, avec Marta Aymerich ;
• Votre revue de presse express.



A partir d’ici 4′ de lecture enrichissante.


Des publis qui peuvent rapporter gros


Des bonus à chaque papier ? Non vous ne rêvez pas. La pratique est en vigueur dans la recherche biomédicale depuis au moins quinze ans.


Le Sigaps, c’est Darwin-win ?
Appelez le Sigaps. Derrière cet acronyme barbare (comme beaucoup) se cache le Système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques. Développé en 2002 par le CHU de Lille, ce logiciel attribue pour chaque publication et par auteur un nombre de points sur deux critères : la notoriété de la revue — un espèce de facteur d’impact corrigé —, et le rang des auteurs. Ces points (entre 1 et 32) sont ensuite directement monétisés : 600 euros par an pendant quatre ans pour l’établissement (chiffre 2017). 
En toute opacité. C’est ainsi que sont attribués environ un quart des budgets des MERRI (déclinaison et explication) : 944 millions d’euros en 2016. Les établissements qui en bénéficient sont de tous types : centre hospitalo-universitaire (80%), centres de lutte contre le cancer (10%), établissements privés… Mais une fois encaissés, la répartition des budgets reste souvent très opaque, nous confie Hervé Maisonneuve, grand connaisseur du sujet.
« Ces indicateurs ne font pas l’objet de contrôles suffisants. »
Rapport de la Cour des comptes sur le rôle des CHU, 2017.
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Au vu et au su de tous. En 2017, la Cour des comptes dénonçait dans son rapport un modèle d’allocation « de plus en plus fondé sur des critères de performance », ainsi que le manque de pertinence de ce type d’indicateurs pour déterminer les besoins réels des établissements. De leur côté, les chercheurs sont bien évidemment soumis à une compétition exacerbée – les fameuses querelles pour être premier auteur – entre les médecins hospitalo-universitaires (employés par les CHU) et les chercheurs non hospitaliers (employés le plus souvent par l’Inserm).
Echanges de bons procédés. Hervé Maisonneuve parle sans détours d’une véritable « mafia » autour de Sigaps. Les établissements proposent des vacations à des chercheurs non hospitaliers pour bénéficier de leurs publications ; l’annuaire des personnels est en effet déclaré par l’établissement mais jamais contrôlé. Autre exemple, le groupe privé Ramsay reverse environ 30% à ses médecins « pour les indemniser de leur temps investi ». Depuis la révélation de ces dysfonctionnements par la cour des comptes en 2017, « rien n’a changé », déplore Hervé Maisonneuve.


C’est dans la boîte (à outils)
Le héros de votre biblio
Ne gardez plus d’articles retirés dans votre bibliographie sans le savoir ! Encore deux bonnes raisons d’utiliser Zotero : la notification quand l’article est retiré par le journal (Zotero puise dans la base de Retraction Watch). Et une toute nouvelle extension PubPeer à installer.


Un chiffre qui en dit long
27 %
C’est le pourcentage de premières auteures féminines en mai 2020, alors qu’elles étaient autour de 34% en mai 2019 ou même en février 2020, d’après une étude réalisée sur 60 000 revues pour Times Higher Education. La tendance clairement à la hausse depuis cinq ans s’est complètement inversée pendant le confinement.


Des infos en passant //////// Et si on arrêtait de prendre toujours plus de doctorants en thèse ? L’appel d’un chercheur contre la précarité //////// Peut-on se permettre un peu de poésie dans les titres des articles ? L’analyse de Mike Thelwall dans Quantitative Science Studies  //////// //////// Des enseignants-chercheurs de Strasbourg démissionnent du conseil d’administration. Julien Gossa explique ses raisons //////// Un annuaire des contrats entre bibliothèques et éditeurs au sujet des frais de publication (APC) //////// 


Trois questions à… Marta Aymerich 
« Passer à l’action avec Dora »


Depuis qu’elle a signé Dora en 2018, l’Université de Catalogne (UOC) n’évalue plus ses chercheurs comme avant.


Quelles actions concrètes avez-vous mises en place en termes de recrutement à l’UOC ? Un plan d’action a été réalisé pour s’assurer que la signature de Dora n’était pas qu’une simple manifestation d’intérêt. Par exemple, nous avons changé le processus annuel de recrutement postdoctoral. Avant, seulement 35% de l’évaluation correspondait à des critères qualitatifs. Aujourd’hui, nous évaluons quatre « réalisations » scientifiques choisies par le candidat – une réalisation peut être un article, un groupe d’articles, un projet, un brevet ou tout autre résultat. 
En pratique, quels critères utilisez-vous pour évaluer des chercheurs ? Nous avons mis en place de nouvelles procédures d’évaluation. Premièrement, les professeurs présentent la progression de leur carrière dans les trois missions universitaires (enseignement, recherche et échange de connaissances) et sont évalués par leurs pairs. Deuxièmement, les chefs de groupe de recherche voient leur CV et leur plan de recherche – une proposition écrite et une présentation publique – analysés par un conseil scientifique tous les 4 ans.
Les chercheurs ne devraient-ils pas aussi changer leurs habitudes ? Absolument. Nous avons pour but non seulement d’évaluer plus justement la recherche, mais également d’ouvrir les connaissances. Le système d’évaluation traditionnel incite les chercheurs à produire uniquement des publications. Mais l’article scientifique n’est qu’un moyen. En prenant en compte d’autres paramètres – la capacité à former des doctorants, l’aptitude à promouvoir les membres du groupe, l’impact sociétal – nous aimerions donc inciter les chercheurs à partager, collaborer et accroître la qualité et l’impact de leurs travaux.


Votre revue
de presse express


  • Judex reusque. Deux chercheurs canadiens dénoncent ces revues aux pratiques douteuses créées de toute pièce pour le bénéfice de quelques chercheurs (53 publications sur un an pour un seul homme, c’est possible ?!) dans The Conversation.
  • His name is Paul. Noirs américains, deux chercheurs accusent leur université de sous-estimer leurs travaux et en conséquence de mettre fin à leur tenure track, rapporte Inside HigherEd. L’un deux est Paul Harris, chercheur en sciences humaines.


Et pour finir…

Attention ça pique les yeux ! Si vous l’ignorez, Christian Perronne, médecin et professeur, favorable à l’hydroxychloroquine est aujourd’hui visé par l’Ordre des médecins. Mais en dehors de cette affaire, cette image, caricature d’un système mandarinal et sexiste, fait froid dans le dos…