Arborant des sourires inquiets et des t-shirts floqués de la mention « Sauvons le Palais », une vingtaine de médiateurs se sont rassemblés le 19 juin dernier devant les grilles du Grand Palais. La date marquait l’inauguration du Palais des enfants et de sa première exposition Transparence — fruit d’une collaboration entre Universcience et le GrandPalaisRMN. Plus d’une cinquantaine de journalistes sont présents pour l’occasion. La plupart issus des rubriques cultures de leurs médias respectifs. Sous le soleil et la chaleur naissante, les médiateurs tentent tant bien que mal de se faire entendre. Leur objectif : alerter sur la potentielle disparition du Palais de la Découverte. Quelques journalistes tendent l’oreille, écoutent d’une oreille distraite leurs inquiétudes. « C’est tout le problème : on a du mal à se faire entendre, nos enjeux leur semblent lointains », nous concède un médiateur.
« Ce serait une erreur politique de supprimer [le Palais de la Découverte] »
Sylvie Retailleau, ancienne ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
Peau de chagrin. Les craintes quant à l’avenir du Palais de la Découverte, installé dans les locaux du Palais d’Antin depuis 1937, ne datent pourtant pas d’hier. Les premières avaient été émises avant même le début de la rénovation en 2020. Une pétition avait alors été signée par près de 24 000 personnes. L’avancée des travaux procure un répit temporaire mais les inquiétudes repartent de plus belles en novembre dernier à l’annonce de la perte d’une des galeries du Palais de la Découverte au profit du Centre Pompidou pendant au moins cinq ans — nous vous en parlions. En mars 2025, nouveau rebondissement : Bruno Maquart, alors président d’Universcience, profite d’une conférence de presse pour annoncer les dates de préouverture du Palais de la Découverte — au mois de juin 2025, avec le festival Premières ondes et une exposition sur l’intelligence artificielle. Las, dans les heures qui suivent, ces annonces sont désavouées par le ministère de la Culture qui assure ne pas en avoir été informé. Selon des sources internes à Universcience, les informations leur auraient pourtant bien été communiquées lors d’un conseil d’administration. Avec un paradoxe : « nous défendons aujourd’hui un projet que nous critiquions il y a quelques mois [le projet allait être réduit du fait de la perte d’espace, NDLR] : c’est cette version réduite ou plus de Palais du tout », explique Robin Jamet, médiateur du Palais de la Découverte.
Porcelaine de limogeage. Fin mai 2025, l’annonce du report de la réouverture — sans qu’aucune nouvelle date ne soit fixée — vient raviver les inquiétudes. Le motif avancé : les espaces ne seraient pas encore assez sécurisés pour accueillir le public. Dans les faits, les salles sont en effet toujours en travaux, « jonchées de fils électriques et de bâches », pointe du doigt Didier Fusillier, directeur du GrandPalaisRMN, lors de la journée d’inauguration du 19 juin. Puis, coup de tonnerre : le 12 juin, Bruno Maquart est destitué de ses fonctions lors d’un conseil des ministres sans qu’aucune explication ne soit avancée par le ministère de la Culture et celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. De quoi plonger le personnel dans l’incertitude la plus complète sur la réouverture du Palais de la Découverte. Au lendemain de cette annonce, la pétition « Sauvons le palais de la découverte » est mise en ligne et regroupe à date près de 80 000 signatures — dont celles de scientifiques français parmi les plus renommés. La communauté scientifique s’est elle aussi empressée de réagir à grand coup de communiqués de presse et de tribunes pour sauvegarder ce lieu hautement symbolique à ses yeux.
« Tout le problème réside dans le mode de financement de cette rénovation »
Pierre Ouzoulias, sénateur
Myopie non corrigée. Un flou renforcé par l’absence de position claire sur l’avenir du Palais de la Découverte de la part de ses deux tutelles. Pire encore, certaines prises de paroles publiques « plus qu’inquiétantes », souligne Robin Jamet, de Didier Fusillier et Rachida Dati, ministre de la Culture. Le premier laisse entendre, lors d’un passage sur France Culture le 7 mars dernier, qu’un repli du Palais de la Découverte à la Villette, dans les locaux de la Cité des Sciences, ne serait pas dénué de sens : « quand la Philharmonie a ouvert, nous n’avons pas gardé Pleyel ». La deuxième enfonce le clou en juin dans une interview au Figaro : « La culture scientifique en France n’est pas qu’une question de site, c’est une question de vision et de projet ». De quoi révolter Cédric Villani, médaille Fields et ancien député, qui pointe du doigt le manque de cas que fait la ministre du musée scientifique parisien dans une chronique du quotidien L’Humanité. « Les personnels du Palais de la Découverte sont considérés par cette phrase comme négligeables tout comme le Palais et son histoire », nous souligne le mathématicien.
Sens du poil. Si aucune annonce officielle n’a encore été faite concernant la réouverture de l’établissement, les propos du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 19 juin dernier ont tout de même rassuré la communauté. Dans une interview au Parisien, Philippe Baptiste a ainsi assuré être « favorable au maintien du Palais de la Découverte au sein du Grand Palais » et a rappelé son attachement à l’établissement parisien. Des propos qu’il a réitérés quelques heures plus tard lors de la soirée d’inauguration de l’exposition Transparence. Lors de cette même soirée, Rachida Dati a elle aussi tenté d’éteindre le feu… à sa manière : « Universcience n’est pas mort », rapporte Science et Avenir. Cette dernière, en pleine campagne pour la municipalité parisienne, pourrait difficilement justifier auprès des Parisiens la disparition de l’établissement. Les deux ministères contactés par nos soins n’ont pas répondu à nos sollicitations. Du côté d’Universcience, la présidente par intérim Delphine Samsoen n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Une chose est sûre, pour le ministère de l’ESR, celui de la Culture ou pour la direction du GrandPalaisRMN, le Palais de la Découverte a besoin de « changer un peu de chemin », à écouter Philippe Baptiste, pour s’ouvrir davantage aux problématiques actuelles — l’IA et le climat en tête.
« Pourquoi venir grappiller des m² au Palais de la Découverte alors que l’on vante sans cesse la grandeur et la majestuosité du lieu ? »
Cédric Villani, ancien député
Agent orange. « Le projet est prêt et cohérent avec ce que les ministères souhaitent pour le futur Palais de la Découverte », explique pourtant Jean-Michel Courty, professeur de physique à Sorbonne Université et l’un des neuf commissaires scientifiques missionnés par le CNRS pour travailler sur le futur musée depuis 2021. Ne reste plus qu’à les en convaincre. Le commissaire défend une vision renouvelée de l’établissement : « Nous avons voulu construire le Palais de demain pour les gens d’aujourd’hui ». Parmi les grandes nouveautés : des ilôts “Fabrique des sciences” permettant d’expliquer le fonctionnement de la recherche, les sciences humaines et sociales jusqu’alors absentes de l’établissement, un planétarium entièrement remodelé, un télescope géant installé sur le toit, des expositions actualisées régulièrement… « Toutes les sciences se retrouvent, se communiquent, s’éclairent », explique Jean-Michel Courty. Un lieu unique donc dans le paysage de la culture scientifique française. « Ce serait une erreur politique de le supprimer », nous explique Sylvie Retailleau, ancienne ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. D’autant que le gouvernement français se positionne depuis plusieurs mois comme fervent défenseur des sciences et de la liberté académique — relire par exemple notre analyse sur la situation outre-Atlantique.
Taux d’intérêts. Le directeur du GrandPalaisRMN Didier Fusillier semble incarner à lui seul l’abandon du Palais de la Découverte. Il s’en défend pourtant : « Il n’a jamais été question d’exclure la science du bâtiment », nous assure-t-il lors de l’inauguration, citant expressément le planétarium. L’objectif serait autre, selon lui : créer un Grand Palais « décloisonné » et « unifié », accessible au plus grand nombre, nous répète-t-il lors de l’inauguration. « Regardez le résultat », nous dit-il fièrement pointant du doigt l’avancée des travaux. Ce sont en effet près de cinq ans et plus de 400 millions d’euros de financements qu’il aura fallu pour y arriver. « Tout le problème réside dans le mode de financement de cette rénovation », analyse le sénateur Pierre Ouzoulias. Pour payer sa part, le GrandPalaisRMN a été autorisé à souscrire un emprunt bancaire d’un montant de 150 millions d’euros, en gageant la commercialisation des espaces du bâtiment. « Les espaces du Palais de la Découverte sont un enjeu primordial », pointe Pierre Ouzoulias. Pour rembourser ce prêt, le GrandPalaisRMN a ainsi tout intérêt à mettre en location — à qui pourra bien se le permettre — le maximum de ses espaces. « Pourquoi venir grappiller des m² au Palais de la Découverte alors que le président du Grand Palais vante sans cesse la grandeur et la majestuosité du lieu ? », s’insurge Cédric Villani.
« La culture scientifique n’est un enjeu pour personne »
Pierre Ouzoulias
Tirelire commune. « La culture scientifique n’est un enjeu pour personne », pointe Pierre Ouzoulias. Sous tutelle de deux ministères qui semblent avoir du mal à se comprendre, Universcience peine à se faire entendre. Le budget de l’établissement, entièrement à charge du ministère de la Culture depuis 2021, relevait auparavant avant de la mission interministérielle de la recherche et de l’enseignement supérieur (MIRES), un budget commun aux deux ministères. « La politique de culture scientifique a en tout cas tout intérêt à être portée par les deux ministères », maintient Sylvie Retailleau. Côté Universcience, la nomination de sa nouvelle présidence devrait se faire dans le courant du mois de juillet. Mentionnée dans un article du Monde comme potentielle candidate à la suite de Bruno Maquart, l’ancienne ministre de l’ESR se dit intéressée par les sujets de médiation scientifique mais avant d’envisager une quelconque candidature souhaite « qu’un projet clair, dont le Palais de la Découverte doit évidemment faire partie, soit établi », nous explique-t-elle. Si la réouverture de l’établissement au sein du Palais d’Antin ne semble aujourd’hui plus en jeu, une perte d’espace conséquente reste à prévoir. Le ministère de la Culture fait ainsi miroiter le résultat d’un rapport sur le modèle économique d’Universcience, récemment confié aux inspecteurs généraux des finances, des affaires culturelles et de l’éducation, du sport et de la recherche. Ainsi que l’annonce prochaine d’une « véritable politique scientifique » du président de la République dans les semaines à venir. L’Académie des sciences a de son côté demandé une audience avec Emmanuel Macron — qui ne devrait se faire dans l’immédiat étant donné l’actualité internationale lourde — pour tenter de limiter la casse. Dans une situation budgétaire plus que contrainte, la tâche ne s’avère pas évidente.