Quand TMN retourne au lycée

Le temps d’une matinée, nos journalistes Noémie et Lucile ont présenté le journalisme scientifique à une classe de seconde. L’occasion de les interroger sur leur rapport à la science. Entre autres !

— Le 18 avril 2025

10h. La sonnerie retentit entre les grands murs bétonnés du lycée Charles Baudelaire à Fosses : la « récré » peut commencer. En quelques minutes, les couloirs se remplissent d’élèves échangeant discussions et devoirs, entre lesquels nous nous faufilons discrètement. Lise Cussonneau, professeure documentaliste en charge d’une des classes spécialisées médias que nous rencontrons aujourd’hui, nous fait visiter les lieux : le CDI, la salle des profs puis enfin la salle de classe devant laquelle une trentaine d’élèves de seconde nous attend. Normalement réservée aux cours d’histoire-géo, les murs de cette dernière sont couverts de cartes et affiches. Les élèves s’installent tour à tour à leurs places, nous jetant au passage des regards intrigués ou amusés. Que faisons-nous devant cette classe, nous direz-vous ? Dans le cadre de la semaine de la presse et des médias organisée par le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information, TheMetaNews s’était proposé pour présenter à des lycéens le métier de journaliste scientifique et donc par extension… la recherche. En ce 11 avril 2025, pour TMN, l’exercice est inédit, le public aussi. 

« BMW… euh non je voulais dire BFM-TV ! »

Une élève

Boomer. Nous étions prévenues, ils avaient préparé quelques questions. Mais ils n’étaient pas les seuls, nous-mêmes étions avides d’en savoir plus sur leur rapport à l’information. Quels médias connaissent-ils ? Les mains se lèvent : « TF1 », « Le Point », « CNEWS », « Le Parisien », « Le Monde », « BMW… [quelques rires dans la salle] euh non je voulais dire BFM-TV ! », « Hugo Décrypte », « Brut ». Les réponses sont variées mais aucune ne fait spontanément mention de la radio. Il faut dire qu’il s’agit d’un média de “vieux” par excellence : plus d’un auditeur sur deux des chaînes de Radio France (hors le Mouv’) a plus de 50 ans. Une tendance confirmée par le Baromètre de l’esprit critique d’Universcience présenté en mars 2025 : l’audiovisuel (télé et radio) est bien moins suivi chez les jeunes de 15 à 24 ans que dans la population générale. Mais tout de même présent.

Snap&consorts. Lorsque les réponses s’essoufflent, nous enchaînons : comment s’informent-ils ? À notre grande surprise, le journal de 20h — souvent regardé en compagnie des parents — est mentionné avant même les réseaux sociaux, pourtant cités comme source d’information pour plus d’un jeune sur deux selon le baromètre. Et lorsqu’on leur demande de nommer un journaliste, le nom de David Pujadas est cité par deux fois. La question des influenceurs, elle, semble les laisser dubitatifs. « On peut dire n’importe qui ? », entend-on plusieurs fois dans la salle. Mis à part Hugo Décrypte, « c’est plutôt du contenu de divertissement », explique ensuite timidement une élève. 

« Aaah, le professeur Raoult ! »

Un élève

Lutte des classes. « Et l’IA, vous l’utilisez ? », demande-t-on ensuite par curiosité. « Non », entend-on immédiatement murmuré dans la salle, accompagné de quelques signes de tête de désapprobation. Malgré une relance « soyez honnêtes » de leur enseignante, ils restent catégoriques : pour rechercher une information, ils utilisent des moteurs de recherche comme Google. Des témoignages à la volée que complète le baromètre d’Universcience : internet est sans conteste la source d’information n°1 chez les Français – 68% l’utilisent, un chiffre qui monte à 78% chez les 15-24 ans. Y sont inclus les sites ou applications d’information, les agrégateurs de contenus comme Google News, les moteurs de recherche et les outils d’IA générative comme ChatGPT, mais pas les réseaux sociaux. Des résultats à moduler par catégories sociales : de manière tout à fait stéréotypée, les CSP+ consultent plus internet et les inactifs regardent plus la télé…

Panoramix. Comment parler de notre activité au sein de TMN sans parler de la vôtre ? La mission nous semblait quasi impossible. Nous étions donc bien obligées d’en faire une rapide présentation, loin des clichés des laborantins en blouses blanches. « Connaissez-vous des chercheurs ? » Le silence se fait. « Mort ou vivant ? », demande l’un des élèves auquel nous répondons « les deux ». Vous le devinerez peut-être, le premier nom à sortir est celui d’une femme : Marie Curie. Viennent ensuite Albert Einstein, Isaac Newton puis Snell et Descartes — de quoi satisfaire leur enseignant·e de physique-chimie — avant de terminer par les frères Bogdanoff. « Et des vivants maintenant ? ». Un élève mentionne timidement James Webb, « le gros télescope ». Le silence se fait de nouveau. Leur enseignante tente de les aiguiller : un scientifique « très médiatisé » il y a quelques années de cela, dont ils ont discuté ensemble et qui est « controversé » ? Certains élèves semblent commencer à saisir. « Qui ressemble à un Gaulois ? »… « Aaah, le professeur Raoult ! ». Ça y est, le nom est mis sur la table, nous y reviendrons. 

« On  fait confiance [aux scientifiques], mais on veut d’abord qu’ils nous expliquent comment ils ont fait pour arriver au résultat obtenu »

Une élève

Pas aveugles. Pas question pour les lycéens que nous avions devant nous de faire confiance aveuglément aux chercheur·ses. « S’ils nous montrent leurs recherches, pourquoi pas », explique l’un. « On leur fait confiance mais on veut d’abord qu’ils nous expliquent comment ils ont fait pour arriver au résultat obtenu », complète une autre. Le baromètre de l’esprit critique avait également interrogé les quelque 2600 répondants de tout âge sur le sujet : près de huit sur dix considèrent que la science permet de développer des nouvelles technologies utiles à tous, d’améliorer nos conditions de vie mais aussi de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons et qui nous sommes. Les 15-24 ans font cependant plus confiance que leurs aînés à celles et ceux qui font la science : plus de deux tiers affirment que les scientifiques suivent des règles éthiques strictes et que la communauté scientifique est indépendante pour valider ses résultats – contre un peu plus de la moitié chez leurs aînés. Des qualités qui leur octroient un statut particulier : les scientifiques sont aux yeux des jeunes les mieux placés pour savoir ce qui est bon pour les citoyens… mais ce pouvoir peut les rendre dangereux. 

Boussole. Retour au journalisme avec cette question doucement formulée du fond de la classe : « Au fait, c’est quoi être journaliste ? » Une question à laquelle il n’est pas si simple de répondre étant donné le peu d’encadrement de la profession : « Contrairement aux avocats ou aux médecins, il n’y a pas d’ordre pour les journalistes, tout le monde peut se dire journaliste », explique-t-on. Sésame lors des événements officiels, par exemple à l’Élysée, la carte de presse reste toutefois un symbole fort et nous exhibons fièrement les nôtres, barrées d’un bandeau tricolore. Et comme l’orientation est un sujet qui les préoccupe, on leur précise : avant de rejoindre une formation de journalisme, on peut suivre un parcours littéraire ou scientifique, qui pourra, mais sans obligation, déterminer notre futur domaine de spécialisation. De fait, nous [Lucile et Noémie, NDLR] avons d’abord étudié la physique pour ensuite arriver au journalisme scientifique, une spécialisation encore aujourd’hui trop réduite. Trop réduite en termes de journalistes comme de sujets dédiés aux sciences dans les médias, qui souffrent encore de l’idée préconçue selon laquelle ils seraient trop compliqués et ennuyeux pour le grand public.

« Vous aviez environ 10 ans au début de la Covid, de quoi vous souvenez-vous ? »

Lucile & Noémie de TMN

News virales. En tant que journaliste scientifique, on peut parler de la science établie – la Terre est ronde, – ou des recherches en train de se faire. Mais le journalisme, ce n’est pas seulement de la vulgarisation, c’est aussi de la politique et la recherche ne déroge pas à la règle. Impact sociétaux, notamment avec le changement climatique, développements technologiques comme l’intelligence artificielle ou solutions de santé publique, tout ou presque vient des labos et peut bouleverser la société. Un exemple qui a marqué le journalisme et remis en lumière l’importance de maîtriser les sujets scientifiques ? La Covid… Mars 2020. Cela fait deux mois qu’un nouveau virus se propage depuis la Chine, les hôpitaux commencent à saturer. « Vous aviez environ 10 ans au début de la Covid, de quoi vous souvenez-vous ? » « Regardiez-vous les informations ? », ajoute leur professeur Lise Cussonneau. Les élèves répondent : ils regardaient la télévision avec leurs parents. Ils y ont donc forcément aperçu Didier Raoult, arborant depuis Marseille son iconique blouse blanche et ses longs cheveux blancs, affirmant avoir trouvé un médicament miracle, l’hydroxychloroquine. 

Garde-fous. À l’époque, les médias ne traitent pas tous la nouvelle de la même façon : alors que certains déroulent le tapis rouge au professeur marseillais, sans aucune précaution – Les Échos titre par exemple « Coronavirus : Didier Raoult confirme l’efficacité de l’hydroxychloroquine sur 80 patients » – d’autres évoquent dès le départ les critiques envers son étude. Quatre ans plus tard, le doute n’est plus permis avec la rétractation de l’étude fondatrice de Didier Raoult, ancien directeur de l’IHU de Marseille. Face au besoin d’informer la population, à l’urgence et à la technicité du sujet, avoir des journalistes scientifiques au fait de comment fonctionne la recherche prend tout son sens, n’est-ce pas ? Lors de la journée Sciences et médias en mars 2025, Victor Garcia de l’Express racontait son alliance avec des scientifiques pour mettre fin à cette folie. On les rassure évidemment : Didier Raoult reste une exception.

« C’est quoi un journal indépendant ? »

Un élève

Objectif Lune. D’autres questions ? « Est-ce que vous pensez qu’un jour l’intelligence artificielle va remplacer votre métier ? », demande à brûle-pourpoint un élève. Certains journalistes commencent à l’utiliser, certes – aucun à TheMetaNews cependant – mais nous sommes convaincues que seuls des humains peuvent transmettre des informations fiables, mener des enquêtes sur le terrain et décrire au plus près la réalité. Leur professeure Lise Cussonneau leur rappelle les risques liés à l’IA, notamment les biais dans les données mais aussi notre relation à elle : « On sait que c’est une machine, mais on lui parle comme à un humain, donc la frontière entre les deux est un peu floue. » Dernière demande pour préciser une notion abordée plusieurs fois au cours de notre échange : « C’est quoi un journal indépendant ? » La réponse, vous la connaissez certainement : un média qui n’appartient pas à une entité exerçant son influence sur les contenus. Le contre-exemple phare ? La propagation des idées d’extrême-droite dans les médias détenus par le groupe Bolloré : Cnews, Canal Plus, Europe 1, le Journal du dimanche… Mais l’indépendance a un coût et Lise conclut notre intervention : « On consomme beaucoup d’information gratuite, potentiellement générée par de l’IA mais il est important de soutenir à la fois la recherche et un journalisme fiable et de qualité. » Nous n’aurions pas dit mieux.

Cet article a été écrit à quatre mains, par Noémie Berroir et Lucile Veissier.

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