Quitter un poste académique : pourquoi ils et elles l’ont fait

Perte de sens, conditions de travail décevantes, envie de voir ailleurs ou de se sentir plus utile… Après tant d’efforts pour obtenir le Graal – un poste permanent – ils sont une poignée de chercheurs à quitter la recherche académique. Trois d’entre eux témoignent.

— Le 24 mars 2023
Crédit photo : Jean-Baptiste Chauvin

Sylvain Peyronnet : « En informatique, avec 150 000 euros de matériel, on fait ce qu’on veut »

Parcours sans faute. Patron de plusieurs entreprises en informatique, Sylvain Peyronnet continue à faire de la recherche au quotidien. Il n’est pourtant plus enseignant-chercheur depuis maintenant plus de dix ans. Pur produit de l’université, il avait obtenu sans difficulté un poste de maître de conférences en 2007 puis un poste de professeur en 2012. Deux ans plus tard, à 37 ans, il décide de quitter ce monde et de se lancer dans l’entrepreneuriat, en demandant une disponibilité – plus pour rassurer ses proches qu’avec l’intention de revenir. 

Voyager léger. Sa motivation profonde ? Le manque de moyens pour travailler comme il souhaite : « Avec la montée du financement sur projet, il était devenu impossible d’aller jusqu’au bout du processus de recherche », regrette-t-il. C’est pourquoi il monte une boîte, puis deux, puis trois… La vente de produits informatiques lui assure des revenus pérennes et les 20 à 30% de marge sont réinvestis pour des activités de recherche. L’entrepreneur est conscient que sa discipline est moins gourmande en équipement que d’autres : « En informatique, avec 150 000 euros de matériel, on fait ce qu’on veut », explique-t-il, enthousiaste. 

Under pressure. Pour lui, faire de la recherche dans le privé rime avec plus de moyens, la possibilité de développer des applications, le tout sans la contrainte de publier. Mais la conversion n’est pas faite pour tout le monde : « Faire tourner la boîte implique une forte pression, autant sur les patrons que sur les employés », explique-t-il. Son volume de travail a explosé depuis qu’il a quitté l’université. Son salaire aussi, mais ce n’est pas une règle : « Certains de mes collègues sont partis, puis revenus car ils ne s’y retrouvaient pas financièrement », raconte l’informaticien. Pour lui, tout roule. Il pose sa démission en 2017 et sera radié l’année d’après.

Reconnaissance. Autre facteur qui a certainement pesé dans la balance – comme il l’expliquait sur son blog : l’absence de réflexion des chercheurs quant à l’impact de leur recherche, notamment sur des sujets qui peuvent bouleverser la société comme l’informatique. « J’ai été déçu de voir que mes collègues ne s’intéressaient pas à ces questions », témoigne Sylvain Peyronnet. « Si c’était à refaire, je serais parti plus tôt, avant mon poste de prof », explique l’ancien enseignant-chercheur. Car bien que ses plus proches collègues aient compris que c’était la meilleure décision pour lui, certains n’ont pas digéré qu’il quitte un poste seulement deux ans après avoir pris ses fonctions : « Certains m’ont accusé de traître, de ne pas rester pour changer le système de l’intérieur… Mais je n’avais pas vocation à me sacrifier ! »


Geneviève Fleury : « Je me sens plus libre depuis que je suis partie »

Moment décisif. La réflexion aura été longue mais Geneviève Fleury a enfin pris sa décision : elle quitte le CEA. Après quinze ans passés dans l’établissement dont douze en tant que chercheuse permanente, des hauts et des bas. Son recrutement rapide – moins d’un an après sa soutenance, sur un poste fléché – l’avait gêné et elle s’était promis de faire ses preuves une fois en poste. Malgré beaucoup d’investissements, la chercheuse – qu’on devine exigeante avec elle-même – reste déçue du manque d’impact de ses recherches et s’interroge sur le sens de son métier. 

Urgences. En 2021, elle prend conscience de l’urgence climatique, qui lui donne envie de travailler à quelque chose de plus concret, en lien avec les défis sociétaux actuels. « Je suis venue à la recherche car je trouvais la physique belle. Mais cela ne me suffit plus aujourd’hui », avoue la chercheuse. Enfin, rester au même endroit toute sa carrière et travailler toujours avec les mêmes personnes l’angoissaient : « Je me sens plus libre depuis que je suis partie », témoigne-t-elle avec soulagement.

Temps court. Début 2022, Geneviève Fleury parle de son projet de quitter le labo à sa hiérarchie. Certains sont surpris et tentent de la retenir, d’autres se montrent compréhensifs et essaient de l’aider. Elle suit sur son temps de travail une formation en data science, secteur dans lequel beaucoup de docteurs se lancent, qui semble porteur et pas si éloigné de son domaine de recherche – la simulation numérique. On lui propose de rester au CEA en tant que data scientist mais c’est trop tard, l’envie de voir autre chose est plus forte : « J’avais aussi envie de travailler sur des projets plus courts : six mois plutôt que six ans », explique la physicienne. Elle remet donc sa démission – sa hiérarchie, bien que conciliante, n’a pas accepté la rupture conventionnelle – et son contrat prend fin en février 2023. 

Changer les choses... Sa décision semble résonner parmi certains de ses collègues : « J’ai bien senti que l’idée de faire quelque chose de neuf leur plaisait », dit-elle en souriant. D’autres trouvent ses interrogations saugrenues : « La recherche fondamentale n’est pas là pour être utile », lui répondent-ils en substance. Mais c’est sa propre “utilité” qu’elle interroge à travers son métier. En effet, bien qu’elle reste convaincue de l’importance de la recherche fondamentale pour mieux comprendre le monde et proposer de réelles innovations, Geneviève Fleury est déterminée :  « Je crois que je ne peux rien y apporter et je me sens plus utile en changeant de voie », exprime la chercheuse qui approche aujourd’hui la quarantaine. 

… et les améliorer. Ce qu’elle aurait aimé de différent dans la recherche académique ? Un meilleur suivi des jeunes chercheurs recrutés. « On se sent comme privilégié d’avoir un poste, puis nous sommes livrés à nous-mêmes : on doit trouver un sujet, des financements, encadrer des doctorants… parfois sans grande reconnaissance », explique-t-elle. L’organisation des labos lui semble également possible autrement : « Au lieu de demander à tous les chercheurs de monter leur propre projet et d’assurer tous les types de tâches, j’aurais préféré intégrer une équipe structurée possédant déjà une vision à long terme, où chacun apporterait ses compétences spécifiques au service d’un projet commun ».


Thomas Michel : « J’ai un statut de cadre, des horaires flexibles, une certaine liberté et surtout, je n’ouvre pas mes emails à la maison »

Tour de France. Thomas Michel a été maître de conférences durant presque dix ans à l’université de Nice, il est aujourd’hui ingénieur chimiste dans une entreprise en Bretagne. Deux raisons l’ont poussé à partir. Tout d’abord l’aspect géographique : il souhaitait retourner vivre dans sa région d’origine mais comment faire avec un poste à l’autre bout de la France ? « La mutation, rendue possible depuis 2015, reste très compliquée à obtenir – il faut que toutes les planètes soient alignées ! », explique le chimiste. Autre solution, repasser par les concours pour obtenir un poste à l’endroit de son choix : « J’ai tenté, sans succès ».

En quête. La perte de sens est la seconde raison évoquée par Thomas Michel pour justifier son départ : « Après un bac+8, se retrouver responsable de formation à remplir des fichiers excel est tout simplement désespérant… » Sans parler de sa recherche qu’il doit faire le soir après ses journées d’enseignement et qui grignote sa vie de famille. La Covid a aussi joué un rôle dans sa prise de décision : « Avec le télétravail, j’ai réalisé que mes collègues pouvaient se passer de moi », témoigne l’ancien enseignant-chercheur.

Moustaches&cie. La transition vers le privé s’est faite assez simplement. Thomas Michel était prêt à changer de thématique mais il a eu l’opportunité de rester sur des sujets proches. Six mois après avoir commencé à envoyer ses CV et deux entretiens d’embauche plus tard, il commencedans une entreprise fabriquant des instruments chromatographiques pour l’industrie, et au sein de laquelle il devient responsable du laboratoire d’application. La bienveillance des ressources humaines le frappe, contrastant avec l’attitude des jurys auxquels il a été confronté lors des concours : « Le processus de recrutement en recherche est une mascarade. On doit justifier de tous nos efforts devant un jury dont les membres ont parfois des CV moins bons que les candidats et qui prétendent avoir la science infuse », s’indigne-t-il.

Enfin, la radiation. La réaction de ses anciens collègues chercheurs ? « Certains étaient surpris mais ce n’était pas un gros sujet », raconte-t-il. En chimie, les ponts avec l’industrie sont bien tissés et même si les transferts en milieu de carrière restent rares, beaucoup de doctorants s’orientent vers le privé après la soutenance. Thomas Michel aurait pu demander une disponibilité mais à quoi bon ? Il savait qu’il ne reviendrait pas. Il a donc envoyé sa lettre de démission qui a remonté toutes les strates de l’université jusqu’au ministère, qui lui a renvoyé la notification de sa radiation. « Ça fait bizarre, admet le chimiste, mais je le voulais ». Cela ne fait que six mois mais Thomas Michel n’a aucun regret : « J’ai un statut de cadre, des horaires flexibles, une certaine liberté et surtout, je n’ouvre pas mes emails à la maison ».

Combien sont-ils ?

Peu de données sont disponibles mais le dernier bilan social concocté par le ministère de l’enseignement supérieur et la recherche donne quelques chiffres sur les départs définitifs hors retraite pour l’année 2019-2020 : une centaine chez les enseignants-chercheurs et une cinquantaine pour les chercheurs. À l’échelle des établissements, ces départs semblent encore anecdotiques – un ou deux par an –, mais en comparant avec le nombre de départs en retraite, on est proche d’un facteur un départ hors retraite pour huit départs en retraite. « Une des raisons est qu’on peut très bien avoir une autre activité sans lâcher son poste : on fait ses 192h, voire la moitié avec des décharges, ça laisse du temps – les juristes et médecins font ça depuis toujours. En tant qu’enseignant-chercheur, on a aussi beaucoup de facilités pour se mettre en disponibilité/délégation : on lâche temporairement son poste, tout en conservant la garantie de le retrouver », analyse Julien Gossa, maître de conférences à Strasbourg. Une situation qui ne convient apparemment pas à tous.

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