Le Collège de déontologie du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR) est la plus haute instance déontologique académique française. Or, son rapport d’activité 2021 interroge sur sa capacité à respecter lui-même la déontologie et la loi.
« Le Collège ne respecte pas les principes du contradictoire et de transparence »
En avril 2019, j’ai transmis au Collège de déontologie un signalement de manquements à la déontologie [que vous trouverez résumé ici pages 26 à 28 : les membres du jury de sélection pour un appel à projets à l’université Grenoble-Alpes étaient notamment tous des “locaux”, ce qui a conduit à des liens d’intérêt problématiques, NDLR]. Le Collège l’a transmis à la partie adverse (ce qui est tout à fait normal) mais a refusé de me transmettre la réponse de la défense et a laissé sans réponses précises mes demandes à ce sujet. J’étais donc dans l’incapacité non seulement de contester les arguments de la partie adverse mais même de comprendre son point de vue.
Alors que le dernier décret de décembre 2021 sur l’intégrité scientifique prévoit que les instructions suivent « des procédures transparentes, formalisées, équitables et respectant le principe du contradictoire », le rapport d’activité 2021 du Collège n’est pas sur la même longueur d’onde. Si le Collège dit devoir « respecter les droits de la défense », il ajoute : « n’ayant pas un caractère juridictionnel, il n’est pas tenu de suivre une procédure pleinement contradictoire et n’a, en conséquence, pas nécessairement à transmettre tous les documents qui lui sont adressés et dont il doit, dans certains cas, en assurer la confidentialité ».
Le Collège de déontologie se met ainsi en contradiction non seulement avec ce décret mais aussi avec le principe constitutionnel d’égalité car les parties ne sont pas « à armes égales ». Le Collège n’est certes pas un tribunal mais pourquoi sur cette affaire son fonctionnement devrait-il être différent ? Comment espérer se rapprocher de la vérité si l’on ne permet pas à chaque partie de contester les arguments de la partie adverse ?
Ceci caractérise une procédure opaque, à rebours de l’exigence de transparence du décret sur l’intégrité scientifique. Pour obtenir les réponses de la partie adverse, j’ai dû solliciter la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Si vraiment les droits de la défense étaient lésés par la transmission de sa réponse, pourquoi le Collège n’a-t-il même pas tenté de le démontrer à la CADA ?
« Le Collège présente son rôle dans une affaire d’une manière très discutable »
Mon signalement est évoqué dans le rapport d’activité 2021 du Collège qui y résume son avis, préconisant que « l’évaluation et la sélection des projets [d’un appel à projets dans le cadre d’une initiative d’excellence] relèvent uniquement d’une évaluation externe faite par une commission ad hoc. Un risque élevé de conflit d’intérêt est inhérent au choix d’une instance d’évaluation interne. »
Le rapport d’activité du Collège laisse croire que le problème est réglé en signalant que « L’université a tenu compte de l’avis du collège de déontologie », ce qui n’est pas le cas. Certes, une première lettre, obtenue en faisant appel à la CADA, transmise en mai 2020 par l’université au Collège, prenait acte de l’avis de la première instance déontologique : « Il n’a pas été considéré [par l’université] que la sélection et donc la décision de financement, pouvait être confiée à des personnalités extérieures au site académique et c’était donc une erreur… Il convient d’en tirer les conséquences et de changer de méthode ».
Mais, en 2022, l’université a confié la sélection d’un nouvel appel à projets à un jury purement local. Le procès-verbal de la commission recherche du conseil académique qui s’est prononcée sur le lancement de cet appel à projets montre bien que cette commission n’a même pas évoqué la recommandation du Collège de faire appel à un jury de sélection extérieur.
« Il est urgent de réformer le Collège »
Ces dysfonctionnements démontrent une grande hypocrisie : affirmer son attachement au contradictoire et ne pas le respecter, savoir qu’une recommandation explicite n’a pas été respectée et affirmer qu’elle a été prise en compte. Il devient ainsi possible, en toute impunité, de ne pas respecter des règles déontologiques élémentaires, de nier toute anomalie pendant des années et de ne s’engager à « changer de méthode » qu’après les décisions d’instances déontologiques et d’un tribunal… pour finalement un an après conserver un jury de sélection purement local.
Cela doit changer, pour restaurer la confiance de la communauté académique envers sa plus haute instance déontologique et envers ses opérateurs de recherche. Le Collège doit fonctionner d’une manière non seulement complètement contradictoire mais aussi publique, sauf exceptions justifiées. Ces garde-fous seraient la meilleure garantie contre la tentation de l’hypocrisie, difficile à défendre au grand jour. Nous parlons ici d’institutions publiques, servies par des fonctionnaires publics. Il est normal que tout citoyen soit informé de la manière dont d’éventuels manquements sont signalés et examinés.
« Le système actuel est aberrant »
Bien entendu, la présomption de bonne foi doit être respectée et des sanctions doivent être prévues en cas de signalement abusif. La confidentialité peut également se justifier mais seulement dans des circonstances précises et bien définies, par exemple lorsque les lanceurs d’alerte peuvent craindre les conséquences de leur action. Mais elle ne doit pas protéger les responsables des manquements : la confidentialité ne doit pas être la feuille de vigne qui masque l’hypocrisie. Le Collège devrait être en mesure non seulement de rendre un avis sur l’existence d’un manquement mais aussi d’en apprécier la gravité et de décider d’éventuelles réparations ou sanctions et de suivre leur mise en œuvre. Le système actuel, qui prévoit que les suites à donner à l’avis d’une instance déontologique appartiennent aux opérateurs de recherche, est aberrant. Combien de scandales faudra-t-il pour que l’urgence d’une telle réforme s’impose ?