Rémy Mosseri : « En cas de signalement une investigation sérieuse prend du temps »

Chercheur en physique, Rémy Mosseri est le référent à l’intégrité scientifique du CNRS depuis 2018.

— Le 19 novembre 2021

Combien de dossiers de méconduites scientifiques avez-vous traité depuis votre arrivée ?

Nous avons reçu environ 125 signalements en trois ans : n’importe qui, même extérieur au CNRS, peut en envoyer un. S’ensuit une rapide analyse pour vérifier qu’il s’agit bien d’intégrité scientifique, que le signalement est suffisamment documenté et qu’au moins une personne payée par le CNRS est impliquée, qu’elle soit victime ou mise en cause. Le signalement se transforme alors en saisine : nous en comptons aujourd’hui près de 70. Le traitement est assez long, au minimum six mois mais peut excéder un an : un délai nécessaire pour préserver la présomption d’innocence et le caractère contradictoire de l’investigation. A l’heure actuelle, nous avons rédigé 24 rapports dont 11 concluent à l’absence de faute – les fautifs n’étant d’ailleurs pas forcément des employés du CNRS. C’est ensuite le PDG du CNRS qui décide d’éventuelles suites disciplinaires. A ce jour, quatre rapports ont débouché sur des sanctions. La palette est large : ce sont principalement des sanctions légères du type avertissement ou blâme qui ont été prononcées, avec un cas débouchant sur une non-titularisation.

Quel genre de cas rencontrez-vous ? Est-ce difficile d’enquêter ?

On se réfère souvent à la trilogie FFP [Fabrication, Falsification, Plagiat, NDLR] à laquelle s’ajoute un ensemble de pratiques dites « discutables » souvent moins graves, même si les personnes touchées les ressentent vivement. Nous rencontrons tous ces types de méconduites, même s’il faut dire que les cas graves sont rares – et c’est tant mieux. Une bonne moitié correspondent à des collaborations qui ont mal fini : le contenu, les places dans les publications ou l’utilisation des données est alors disputé. Ils sont souvent complexes à traiter car il faut démêler les éléments partagés avant la querelle de ce qui vient ensuite. Et, oui, il peut être difficile d’obtenir des informations pertinentes, ce qui ralentit les investigations. Un bon tiers des cas relèvent du plagiat potentiel. Enfin, les sciences de la vie représentent la moitié des cas – une part supérieure à leur proportion au sein du CNRS –, ce qui mériterait une analyse pour essayer d’en expliquer les raisons.

Les rapports que vous rédigez suite aux enquêtes sont-ils ou seront-ils rendus publics ?

Nos rapports sont adressés PDG du CNRS, pour l’informer sur la réalité et le cas échéant la gravité d’un signalement de méconduite ; ils ne sont en général pas rendus publics mais il y a des exceptions. La plupart des cas ne sont pas médiatisés, pourquoi alors en faire la publicité au-delà du raisonnable ? En revanche, les personnels concernés sont informés des conclusions du rapport par un courrier venant du PDG du CNRS. Celui-ci n’étant pas confidentiel, ils peuvent l’utiliser, s’ils ont été accusés à tort, pour se défendre publiquement. Enfin, si la personne à l’origine du signalement est victime ou partie prenante, elle reçoit également les conclusions du rapport. Si elle est extérieure, elle est juste informée de façon succincte.

Comment former les référents intégrité ?

La première génération de référents [leur mise en place généralisée date de 2017, NDLR] n’a pas reçu de réelle formation préalable mais a pu bénéficier des nombreux documents existants et d’échanges dans le cadre du réseau des référents, le Resint. Nous sommes en train de finaliser une série de fiches pratiques basées sur nos retours d’expérience. Le réseau organise également des séminaires, dont un récent sur la médiation. La médiation est un outil sur lequel nous ne sommes généralement pas formés mais qui s’avère nécessaire dans un certain nombre de cas. De manière générale, tout comme l’évaluation, cette fonction de référent intégrité doit rester selon moi assurée par les pairs et non par des « professionnels de l’intégrité ».

Pour quelle raison ?

Il faut d’une part bien connaître les pratiques de recherche en général mais également savoir que les disciplines peuvent avoir des fonctionnements différents. Par exemple, la notion de propriété des sujets de recherche n’existe pas vraiment dans ma discipline, en physique, contrairement à par exemple la sociologie, où des chercheurs se plaignent qu’un autre empiète sur son « terrain ». De même, le plagiat peut recouvrir des définitions un peu différentes entre les sciences de la nature et les sciences humaines et sociales.

Les chercheurs connaissent-ils assez l’existence et le rôle des référents intégrité ?

L’image des référents intégrité est, je crois et j’espère, plutôt bonne, en tout cas auprès de ceux qui nous connaissent. Nous répondons à toutes les invitations pour présenter nos missions, nous passons notre temps à parler aux chercheurs, notamment via la communication du CNRS. J’insiste sur le fait que le respect de l’intégrité scientifique est une condition importante pour maintenir la confiance, que ce soit entre chercheurs ou auprès du grand public. Nous nous sommes demandé si le fait de beaucoup communiquer en interne ouvrirait une boîte de Pandore, mais la fréquence des signalements a en réalité peu évolué depuis trois ans. Je voudrais par ailleurs préciser que je suis toujours chercheur : je consacre 60% de mon temps à mon rôle de référent et le reste à mon activité de recherche.

Qu’attendez-vous des décrets d’application de la loi recherche ?

La LPR parlait d’intégrité mais se concentrait sur le rôle du Hcéres et par là même de l’Office français de l’intégrité scientifique, sans évoquer celui des référents intégrité scientifique – alors que le rapport de l’OPESCT s’y attardait. Je craignais donc au départ une approche par trop descendante et, comme beaucoup, je souhaitais que les référents, aujourd’hui définis uniquement par une circulaire, soient inscrits dans la loi, comme c’est le cas pour nos collègues référents déontologues. Nos voix semblent avoir été entendues, à la lecture du projet de décret d’application de la LPR, et c’est tant mieux.

Concernant les délais d’enquête, le décret non encore paru introduirait la notion de « délai raisonnable ».  Que veut dire “raisonnable” ?

Les auteurs de signalement s’attendent souvent à ce que nous leur donnions raison en quelques semaines ! Certes, nous accusons réception rapidement des signalements et assez vite, nous sommes en mesure de dire s’ils se transforment en saisine ou pas. Par contre, l’investigation elle-même peut-être assez longue, si l’on prend bien en compte la présomption d’innocence des personnes mises en cause et le côté contradictoire de l’enquête. La plupart du temps, nous faisons appel à des experts du domaine pour nous forger une opinion. Si l’on compte la préparation d’un dossier à envoyer aux experts, leur temps d’analyse – non rémunéré – puis notre analyse de leur rapport, on comprend alors qu’une investigation sérieuse peut prendre du temps.

Votre fonction de référent intégrité a-t-elle changé votre vision de la recherche ?

Je n’ai pas eu de choc car j’avais déjà de la bouteille en tant que chercheur. Je rappelle par ailleurs que les cas vraiment graves sont rares, au moins parmi ceux que nous traitons. Mais j’ai été, plus souvent que je ne l’aurais cru au départ, confronté au fait que de nombreuses méconduites s’accompagnent de souffrance individuelle. C’est quelque chose auquel il faut faire face, indépendamment de l’enquête en elle-même. Sur un plan plus général, je pense utile de s’interroger sur l’évolution des modalités pratiques de la recherche : la concurrence accrue, la lutte pour les financements, la mise en exergue d’une excellence pas toujours claire dans son contenu… ont-elles une influence, qualitative ou quantitative, sur les méconduites ? Je note avec intérêt qu’un début de prise de conscience sur les méfaits d’une bibliométrie quantitative trop prégnante sur les évaluations des personnes et des projets. Mais beaucoup de travail reste à faire de ce côté-là.

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