Après ma thèse à Grenoble en biochimie, je considérais que pour avoir une chance de continuer dans l’académie, il fallait forcément partir à l’étranger faire un postdoc. Les Etats-Unis ne m’attiraient pas particulièrement, mais je voulais partir dans un pays anglophone. J’ai donc postulé un peu partout dans le monde et j’ai été accepté au Lawrence Berkeley National Laboratory – un peu l’équivalent du CEA en France.
A 27 ans, je suis donc arrivée à San Francisco. J’étais un peu perdue, tout était grand : les routes, les maisons, les voitures… Au travail, les gens ne parlaient pas beaucoup. J’ai compris après coup le fossé culturel. La construction des relations se fait aux Etats-Unis autour de la tâche, c’est comme ça que se forme la confiance. Alors qu’en France, on est plus dans le relationnel et c’est sur cette première confiance qu’on construit nos relations de travail.
Ce postdoc a malheureusement été une déception. Au labo, il y avait environ moitié d’Américains et moitié d’étrangers. Mes chefs étaient étrangers également. Mais l’ambiance dans l’équipe n’était pas au rendez-vous. En tous cas ça n’avait rien à voir avec l’institut où j’étais en thèse et où tout le monde se connaissait.
La façon de travailler m’a aussi déçue. Tout était basé sur du micro-management, uniquement à la tâche. Bien qu’étant postdoc, je n’avais pas de projet attitré. Et la raison était simple : un postdoc coûtait moins cher qu’un technicien. Donc les postdocs effectuaient un travail de technicien.
Le salaire de postdoc – en moyenne inférieur à 50 000$ par an – permettait à peine de payer un appartement dans la région. Mis à part les docteurs en informatique qui pouvaient prétendre à des emplois chez Google ou Facebook, les postdocs n’avaient aucun moyen de pression pour négocier leurs salaires. Encore pire pour les étrangers comme moi liés à leur employé par le permis de travail.
« Bien qu’étant postdoc, je n’avais pas de projet attitré. »
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Finalement assez peu expérimentée dans la recherche, j’ai essayé d’avoir mon propre sujet, mais je ne voulais pas me battre contre mes collègues et mes chefs. J’aimais la science, mais pas au point de continuer un travail qui ne me plaisait pas. J’ai donc décidé de chercher un autre type de poste. Mais tout d’abord, il me fallait obtenir la fameuse carte verte !
J’ai entrepris les démarches après ma première année de postdoc. Demander la carte verte, ça a été énormément de bureaucratie. J’ai dû monter un dossier énorme, vulgariser son domaine d’expertise, avec des mots que je n’aurais pas trouvés seule – c’est pourquoi j’ai du faire appel à un avocat. Je l’ai obtenue au bout d’un an !
Trouver une nouvelle voie, c’était mon défi. Durant mes démarches pour la carte verte, j’ai commencé à aider d’autres postdocs, pour la carte verte, mais également pour leurs choix professionnels. Je me suis rendue compte que j’aimais beaucoup orienter, conseiller, j’aimais ce côté social.
De postdoc en biochimie, je suis donc devenue assistant director en « life design ». Qu’est-ce que c’est, le « life design » ? Le concept vient de Standford. C’est conseiller les étudiants sur leur orientation, répondre à leurs questionnements. Par exemple, comment intégrer les choix professionnels dans leur cursus universitaires ?
« Je me suis rendue compte que j’aimais beaucoup orienter, conseiller, j’aimais ce côté social. »
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Mais ce n’est pas simplement du coaching. Ce que j’aime dans le « life design », ce sont les différentes casquettes qu’on a. Je parle également avec les employeurs qui veulent embaucher et avec les anciens étudiants, que je mets en relation avec les étudiants. Les réseaux d’alumni sont très importants aux Etats-Unis. Les plus vieux peuvent être considérés comme de potentiels employeurs, alors que les plus jeunes peuvent donner leurs expériences plus récentes.
Bye bye Berkeley, j’ai changé pour la côte est des Etats-Unis. Mine de rien, mon décalage horaire avec la France s’est réduit de neuf à six heures. Et le climat californien sans saison – un mini-printemps qui ne se termine jamais – a été remplacé par un climat qui me convient mieux, plus à la française. Je vis maintenant à Baltimore.
Pourquoi ne pas être rentrée en France ? J’avais l’intuition qu’il me serait plus facile de démarrer autre chose aux Etats-Unis. Je ne voulais plus tenter une carrière purement scientifique – un poste de chercheur dans le public ou l’industrie. Et je savais qu’il serait difficile de changer de voie en France.
Aux Etats-Unis, le doctorat est considéré comme un diplôme généraliste qui permet de postuler un peu partout – au contraire de la France où il est considéré comme très spécialisé. Evidemment, il existe aussi une hiérarchie : selon qu’on soit diplômé d’une université de la Ivy League ou d’une université moyenne, c’est très différent.
« Aux Etats-Unis, le doctorat est considéré comme un diplôme généraliste. »
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J’avais également le sentiment de devoir finir cette expérience aux Etats-Unis d’une façon plus positive que sur mon postdoc. Et j’étais lancée par l’obtention de ma carte verte ! Bref, tout le monde justifie son parcours a posteriori. Je le sais, je papote toute la journée de parcours professionnel, c’est mon métier. Même si on a parfois du mal à expliquer ses choix, ça fait toujours sens à la fin. Parce que je ne serais pas arrivée là si je n’avais pas pris ces décisions.
L’associatif, mon nouveau hobby. « Last but not least », un dernier aspect qui m’a décidé à rester aux Etats-Unis, c’est mon implication en tant que bénévole. J’ai véritablement découvert le milieu associatif ici. Ca a commencé par être volontaire dans l’association de postdocs à Berkeley puis pour le projet associatif Open Insulin, pour lequel je suis toujours bénévole.
« Ce que j’aime dans la construction d’un projet associatif, c’est que l’échange est différent. »
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Lors de conférence, j’ai fait la rencontre d’autres associations, et le constat était le même partout : il n’y avait pas de soutien pour les postdocs aux Etats-Unis. Audrey Boyer et Pauline Charbogne, deux autres postdocs françaises, ont rencontré Christine Bénard à Berkeley. Celle-ci nous a mises en contact avec FRANIH, l’association française de postdocs au NIH, puis nous a soutenues dans la création de D-Fi USA. La première étape a été la création d’un slack et d’un site web, aujourd’hui fonctionnels, pour échanger sur nos expériences.
Ce que j’aime dans la construction d’un projet associatif, c’est que l’échange est différent. On n’est pas seulement là pour raconter nos vies et partager nos expériences, mais on a un but commun. Ca apporte aussi des amis. Je suis avec intérêt les parcours d’Audrey – rentrée depuis peu en France – et de Pauline – toujours aux Etats-Unis, qui se tourne vers l’éducation supérieure à but non-lucratif.
Avec toujours un œil sur la France, et l’idée d’y revenir un jour.
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