La suppression de la qualification, notamment pour la nomination des professeurs d’université, a provoqué une levée de boucliers. Sylvie Bauer, présidente de la CP-CNU s’exprime pour TMN. Cette mesure sur le CNU, sort-elle vraiment de nulle part ? On en est toujours aux supputations sur son origine [si vous voulez plus de détails] même s’ il ne faut pas oublier que la mesure était dans le programme d’Emmanuel Macron [effectivement, NDLR]. C’est sorti en plein milieu de la nuit au Sénat alors que le CNU n’était a priori pas concerné par la loi de programmation de la recherche. La ministre nous l’avait assuré, ainsi que ses cabinets successifs. Ce n’était donc pas l’ordre du jour nous avait-on dit et si cela devait l’être, une concertation aurait dû avoir lieu. Une concertation : j’ai du mal à utiliser ce mot en ce moment, tellement il est galvaudé. Cette disposition est donc sortie en apparence de nulle part, mais en apparence seulement. Certains parlementaires ont été eux aussi pris par surprise et certaines universités, pourtant favorables à la suppression de la qualification, ont été choquées par la méthode [l’Udice approuve la mesure, la CPU regrette la méthode, NDLR]. Puisqu’il y a un volet expérimentation, les universités expérimenteront-elles ? Il y en aura bien sûr pour supprimer la qualification des maîtres de conférence. Ce qui pose donc de grandes interrogations pour la campagne de recrutement en cours à compter du jour où la loi sera promulguée. Certaines universités sauteront sur l’occasion, à n’en pas douter, car ils y voient l’accomplissement de leur autonomie, certains présidents considèrent qu’ils sont à la tête de petites entreprises et ils veulent gérer leur ressources humaines comme ils l’entendent. Qu’attendez-vous des décrets qui paraîtront ? Tout effort de concertation étant sabordé, je ne sais pas. Il faut néanmoins s’attendre à un encadrement ou un contrôle de la mesure. Ne faut-il pas quand même faire évoluer le CNU ? Nous savons que nous sommes dans le collimateur depuis longtemps, ce qui ne nous empêche pas de nous poser des questions sur nous-mêmes et nos évolutions, notamment sur la PEDR [kesaco, NDLR], qui pose de vrais problèmes à nos collègues. Mais il faut nous laisser le temps et les moyens de les mener. Pour l’anecdote, l’organisation de groupes de travail est prévue dans nos règles de fonctionnement mais nous en sommes empêchés par le ministère. Nous sommes ouverts à l’évolution de la qualification – pas à sa suppression – nous avons commencé à en parler dès janvier dernier. Il y a des pratiques différentes au sein des sections : une thèse en littérature et une thèse en mathématiques, ce n’est pas le même objet. La qualification sert de filtre, les sections évaluent les candidatures en pensant au métier d’enseignant, auquel tous les chercheurs ne sont pas préparés ni compétents. Quant à la promotion entre MC et PU, les membres des sections lisent l’intégralité des dossiers (thèse, rapport de soutenance, activités de recherche et d’enseignement…) pour s’assurer de la validité des candidats et de l’absence de conflits d’intérêts. Et, non, ce n’est pas un jury de deux personnes qui prend ce genre de décisions mais un collectif de spécialistes d’une discipline. Est-ce la porte ouverte à des recrutements ad hoc, des “postes moustaches” ? C’est une des principales craintes, effectivement. Je ne dis pas que tous les recrutements locaux sont nécessairement de mauvais recrutements, loin de là, mais quand j’entend dire “c’est le poste d’untel” au moment de la publication du concours, je trouve cela absolument scandaleux. Je suis pour des recrutements le plus ouverts possibles, surtout vu l’état de l’emploi scientifique. Il y a un besoin énorme. Depuis cinq ou six ans, on requalifie massivement, ce qui n’était pas le cas auparavant, les candidats trouvant une solution pendant les quatre ans que dure la qualification. C’est souvent un crève-cœur en auditions, avec une quinzaine d’excellents candidats pour un seul poste. Le CNU permet aussi de garantir le statut de fonctionnaire d’État, que l’on voit s’amenuiser de plus en plus au fil des années. Le système jusqu’à présent garantissait tout de même un équilibre entre deux voies qui s’accommodaient très bien l’une de l’autre. Pourtant les universités pouvaient déjà recruter sans passer par le CNU… Concernant les chercheurs étrangers, effectivement. Mais c’est oublier que beaucoup de chercheurs étrangers demandent leur qualification en France au moment de postuler et certains pays, comme l’Italie ou dans le Maghreb, suggèrent à leurs chercheurs de passer la qualification française comme gage de qualité. On peut donc l’envier là où elle n’existe pas. S’aligner sur d’autres modèles pourquoi pas mais si notre exception est la bonne… quand on voit les “tenure tracks” aux Etats-Unis, je ne les envie pas. Pourquoi la France aurait-elle forcément tort ? La suppression de la qualification atteindra-t-elle plus les sciences humaines ? On essaie d’opposer les disciplines et les institutions entre elles. Y a-t-il une volonté de diviser pour mieux régner ? Ce serait médiocre mais ce serait possible. Craignez-vous que certains secteurs de recherche disparaissent à terme ? Les “petites” disciplines sont visées, comme les langues rares ou régionales, ou celles considérées comme non rentables. Je suis moi-même chercheuse en littérature américaine. Moi et mes collègues, nous ne rapportons pas de dividendes à des actionnaires, nous n’avons pas de brevet à vendre. Jetez un œil aux dossiers d’évaluation de l’Hcéres, et vous constaterez qu’ils ne sont tout simplement pas faits pour les SHS : nous n’avons pas de médailles Fields. Notre implication dans des appels d’offres sert souvent d’alibi ; c’est pour cette raison que nos projets de recherche se constituent sur le long terme, avec des moyens pérennes. Même si nous n’achetons pas de synchrotron, nous devons publier, participer aux conférences et cela a un coût. |
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