Les classements sont une chose, la recherche en est une autre, assure Sylvie Retailleau, la présidente de Paris-Saclay. En quoi le classement de Paris-Saclay à la 14e place mondiale est-il une bonne nouvelle ? C’est une bonne nouvelle parce qu’elle confirme la place de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. Le potentiel de notre système était masqué au niveau international à cause de sa grande fragmentation. En gommant cette fragmentation, nous mettons en valeur nos forces. Dire qu’il s’agit d’une note artificielle serait oublier une réalité construite depuis des années et représentée par des structures, dont l’Université Paris-Saclay. Seules les preuves comptent. Nous avons mis les étudiants et la recherche au coeur de notre projet et la réalité est que les communautés scientifiques de Paris-Saclay travaillent ensemble, partagent des projets, des équipes, des gouvernances. Cette 14e place n’est-elle que le produit d’une politique de fusion à marche forcée ? La taille ne fait pas tout. Ceux qui nous précèdent dans le classement sont d’ailleurs plutôt de petits établissements. J’ ai entendu dire que « si on fait l’université de France, on serait premiers mondiaux », c’est tout simplement faux : nous serions même moins bien classés. On ne trouve pas des highly cited, des prix Nobel ou des médailles Fields [un des indicateurs utilisés par le classement de Shanghai, NDLR] dans toutes les universités, même si ça n’en fait pas de mauvaises universités pour autant. Mettons que l’on fusionne avec l’Université de Paris ou la Sorbonne, nous remonterions peut-être dans le classement mais notre politique n’est pas dictée par Shanghai. Je prends un exemple : notre fusion avec l’Université d’Evry ne fera rien pour notre classement à Shanghai ; nous le faisons pour des raisons de cohérence scientifique et de territoire. Et si nous n’avions pas fusionné, un système à deux vitesses se serait créé, avec un pôle d’attractivité à Saclay et une université d’Evry susceptible de perdre ses chercheurs. Ce n’est pas ce que nous voulions, tout le monde doit profiter de la dynamique. Je le répète : l’Université Paris Saclay n’a pas été créée pour le classement de Shanghai, même si nous nous devons d’y être bien référencé. Disparaître de ce genre de classement est également disparaître des radars internationaux. J’ajoute qu’ils sont consultés par les étudiants — même si c’est variables selon les pays — et par les chercheurs étrangers. Les chercheurs étrangers, justement : comptez-vous en voir arriver ? Oui, même si c’est déjà le cas, ils n’ont pas attendu la publication du classement de Shanghai. Le contexte du Brexit et de la Covid a fait que beaucoup d’universités dont le modèle économique est basé sur les frais de scolarité des étudiants étrangers, en Australie, en Angleterre ont dû se séparer de certains enseignants. Ces enseignants-chercheurs ou chercheurs s’intéressent donc à nous aujourd’hui. Cela appelle une autre question : avez-vous les moyens de les accueillir ? Nous manquons clairement de moyens. La France a évidemment un problème d’attractivité des postes de chercheurs ou d’enseignants. La LPR est là pour tenter de régler cette situation — même si nous souhaiterions qu’elle le fasse encore plus. Toutefois, les chercheurs ne sont pas en France que pour le salaire : après dix ans d’étude, gagner 1,3 fois le Smic, il faut avoir la foi pour continuer. Outre la qualité de la science, le système français apporte des garanties, la première étant la sécurité de l’emploi et un système social très protecteur qu’on ne trouve pas dans de nombreux pays. Le campus de Saclay, ce n’est pas que des labos, c’est une ville avec des problèmes de transport et peu d’infrastructures (magasins…). Shanghai va-t-il permettre d’accélérer la mue ? D’ici 2022, de grands chantiers vont finir, ce sera déjà un palier de franchi. Nous n’avons déjà plus les pieds dans la boue depuis un moment. Des commerces devaient également arriver en avril, mais cela a été retardé par la Covid. Les médias se sont souvent focalisés sur le plateau de Saclay et les grands travaux d’infrastructure alors que certaines implantations sont anciennes, Supélec était là, la fac des sciences, la fac des sciences du sport (Staps)… Je prend le RER B — en compagnie de prix Nobel et de médailles Fields — depuis trente ans. Comprenez-moi bien : je ne minimise pas les problèmes de transports mais ils sont dûs à une augmentation des flux sur le plateau de Saclay, parallèlement à une dégradation du service. Quand le premier ministre est venu [lors d’une visite officielle le 7 septembre dernier, NDLR], tout le monde lui a réclamé la mise en place de la ligne 18. Par ailleurs, nous manquons cruellement de logements étudiants. Est-ce que la remise à plat des affiliations dans les publis des certains chercheurs — notamment du CEA — a également joué pour vous dans ce classement ? Clairement. Sur les 35 highly cited, nous avons 13 chercheurs du CEA, 2 CNRS et 3 Inrae, c’est un des critères qui a fortement pesé. Ces critères très bibliométriques sont en contradiction notamment avec la charte de San Francisco… Mauvais, bon, blanc ou noir, je ne rentrerai pas dans la discussion. Nous ne nous sommes jamais servis de ces classements pour élaborer notre stratégie mais ils existent, c’est un fait. Si ce système était intrinsèquement mauvais, il faudrait refuser les prix Nobel, les médailles Fields… or tout le monde en est fier. Ces critères ne représentent pas la recherche : Shanghai incarne une forme d’excellence, certes, mais ne résume pas tout. Un exemple : parmi les highly cited, vous ne trouverez aucun chercheur en physique des particules ou en astronomie. Il y a évidemment d’excellents chercheurs dans ces domaines mais ils sont quarante ou cinquante à signer une même publication. Pourquoi un tel succès de ce classement, en ce cas ? Tous les classements ont leur défaut mais celui de Shanghai a un avantage : on ne l’achète pas. Il moissonne leurs données tout seul en établissant un certain nombre de critères qui, il est vrai, ne sont pas favorables à toutes les disciplines. Alain Beretz pointait récemment [lire l’article en question] que les sciences humaines en était écartées, n’est-ce pas un énorme point aveugle ? Elles y sont intégrées pourtant mais certainement pas suffisamment, tout comme la physique des particules, d’ailleurs. Encore une fois ces critères créent certaines frustrations parce qu’ils ne rendent pas justice à tous. On ne se sert pas de ces classements pour orienter le travail des chercheurs mais on a la responsabilité de valoriser l’existant. D’autres classements existent, comme celui de Times Higher Education sur le développement durable où les universités françaises sont mal classées… Nous ne sommes pas apparus en tant qu’Université Paris-Saclay dans tous les classements pour le moment, par manque de recul. Le critère de diplomation est important : il faudra attendre l’année prochaine. J’ajoute que les classements de Times Higher Education ou QS nous demandent des données que nous n’avons jamais produites pour le moment. Passons à la rentrée universitaire sous le régime Covid, êtes-vous prêts aujourd’hui à un éventuel reconfine ment ? Toutes les rentrées ont maintenant été faites, très majoritairement en présentiel. Aujourd’hui, nous sommes prêts, plus prêts évidemment que nous ne l’étions avant le confinement, nous nous sommes équipés en prévision. Mais les craintes, notamment des enseignants, sont parfois plus fortes que lors de la première vague, où il y a eu un travail incroyable d’adaptation qui s’est fait à marche forcée. Ce mode dégradé a en même temps été mal vécu et personne ne veut repasser aujourd’hui totalement à distance et nous ne le prônons évidemment pas. On peut acheter tous les équipements du monde, on ne sera quelque part jamais prêt car le présentiel reste capital. Si confinement il y a dans l’avenir, il ne sera — espérons le — pas total, ce qui laissera la possibilité aux enseignant de venir “en studio” s’enregistrer, par exemple. Si la Covid disparaît un jour, l’enseignement hybride restera-t-il ? Il en restera certainement une part mais nous aurons appris à l’utiliser en fonction des étudiants, de leur profil, de leur maturité, de leur autonomie mais aussi de leur niveau d’étude ou pour des cursus internationaux par exemple. La dernière version de la circulaire sanitaire prévoit que la distanciation physique doit être respectée « quand c’est possible ». Comment l’avez-vous interprétée ? Nous avons utilisé une certaine souplesse dans les directives pour assurer certains cours en présentiel à la rentrée, en particulier pour les L1, le temps que certains équipements de captation vidéo arrivent et d’accueillir nos étudiants. Au bout de trois semaines, nous avons demandé à passer à 50% de présentiel. Seuls les travaux pratiques doivent se faire uniquement en présentiel. Covid toujours, quid de la prolongation des financements des thèses, le ministère vous a-t-il répondu ? L’Etat nous a dit qu’il financerait ; je vous rappelle que notre budget sera en déficit cette année sinon par le financement des prolongations. Rien que pour 2020, nous aurons besoin de 900k€ supplémentaires pour 140 prolongations pour financer les contrats de thèse qui ont pris du retard, retard qui peut aller jusqu’à un an dans certaines disciplines comme en agriculture ou en biologie quand des échantillons ont été perdus. Jusqu’à fin décembre, tous les contrats dépendant de notre université ont été renouvelés en attendant un retour officiel. Sur un sujet qui vous tient à cœur : les rapports sciences-société, la loi de programmation de la recherche marquera-t-elle un tournant ? Non c’est un pan qui manque à cette loi. Ces sujets y sont présents, notamment au travers de certains financements [un budget spécifique de 1%, NDLR] issus de l’Agence nationale de recherche, mais qui existaient déjà il y a quelques années. 10% d’émissions scientifiques à la télévision pourquoi pas [il s’agit d’une proposition des Sociétés savantes, NDLR] mais ces actions doivent aussi porter sur la recherche en lien avec la société. Il faut créer des entités, living labs ou autre, qui permettent d’insuffler cette dynamique sans que cela soit « en plus » dans le travail des chercheurs, qui sont déjà asphyxiés et fatigués, car on leur en demande plus sans cesse. Travailler ces liens entre sciences et société ne devrait pas être la cerise sur le gâteau mais la cerise dans le gâteau. Il y a enfin l’impact de la recherche dans les politiques publiques. Elle n’y est aujourd’hui pas assez présente : on ne s’improvise pas médiateur, il faut être formé, accompagner des associations… ça demande des moyens. Pourquoi ne pas avoir mis dans la LPR une proportion de contrats doctoraux pour la médiation scientifique, par exemple ? Vous préconisiez d’augmenter les taux de succès à l’ANR jusqu’à 40% dans un rapport que vous avez écrit. 25% dans trois ans comme cela est prévu aujourd’hui, est-ce suffisant ? En tant que présidente d’université, je ne vous dirai pas qu’il ne fallait pas plus mais c’est un grand pas. Cet investissement en recherche n’a pas été fait depuis longtemps mais la situation de départ est tellement problématique que nous aurions aimé que ces investissements soient programmés de façon différente ; je reconnais que ce sera le cas pour l’ANR dont les financements seront renforcés dans les trois prochaines années. En revanche, même si nous parlons d’une loi, sa programmation sur dix ans nous interroge, il aurait été préférable que l’effort financier soit plus rapidement mis à disposition. L’Université Paris-Saclay aura-t-elle recours aux « tenure track », très décriés mais présentés comme optionnels par Frédérique Vidal ? Seuls les décrets nous permettront de cerner ce dispositif, certainement à partir d’octobre ou novembre ; nous travaillerons alors avec les conseils, notamment la commission de la recherche et le Conseil d’administration pour les examiner. La réponse est donc oui : nous essaierons de les utiliser mais le président ne décide pas tout, les composantes universitaires et les écoles établissements composantes nous exprimeront leurs besoins. Interview réalisée le 9 septembre dernier |
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