Tempête sous des crânes

— Le 16 octobre 2020

Comment mesurer la (dé)pression des doctorants ?
Une phrase lancée, puis reprise et commentée à l’infini, rouvre les plaies des doctorants en souffrance.

Tout a commencé par une petite phrase. « Un doctorant qui ne déprime pas, ce n’est pas un bon doctorant », ont entendu des étudiants de l’ENS Cachan à une réunion d’information le 5 octobre dernier. Paradoxe : le matin même, ils étaient conviés à répondre à une enquête sur les risques psychosociaux. Les réactions parmi ces potentiels doctorants ne se font pas attendre ; c’est l’emballement sur Twitter.

Le moment opportun. Un collectif étudiant dénonce dans la foulée les propos et l’absence de réaction des autres intervenants auprès du CHSCT. « L’idée n’est pas de viser des personnes mais des pratiques », affirme un de ses représentants. Il y a deux ans, des propos similaires avaient été rapportés, tenus par la même personne, à la tête de la commission attribuant les bourses doctorales. Le mandat de cette commission se terminant fin 2020, aujourd’hui, les langues se délient. 

Les ED enquêtent. Pour Sylvie Pommier, directrice du collège doctoral de Paris-Saclay « les propos sont peut-être maladroits, mais les doctorants sont plutôt bien lotis à Paris-Saclay ». Une enquête réalisée en 2019 révèle, en effet, que seulement 8% des doctorants ne sont pas satisfaits de leur accompagnement, le facteur prépondérant étant le manque de financement pendant la thèse.

Derrière les mots. Découragement, perte de confiance, blues passager, dépression… Tout le monde ne semble pas interpréter de la même façon le mot « déprimer ». Alors que les étudiants pensent tout de suite à des troubles psychosociaux, les encadrants relativisent en associant doute scientifique et perte de confiance en soi. Et donc, la déprime comme une normalité ?

Un problème de génération ? « La nouvelle génération voit bien que la souffrance est souvent la norme mais refuse de plus en plus de l’accepter », analyse Adèle Combes (à réécouter dans Rendez-vous avec Matilda). Cette docteure en neuroscience a mené une grande enquête intitulée Doctorat et qualité de vie auprès de 1 900 doctorants et docteurs. Les résultats sont édifiants : 33% ont vécu une dépression ou un burn-out durant leur doctorat.

La loi du silence. Comment expliquer une telle différence de chiffre ? Pour Adèle Combes, « parler de sa souffrance est bien souvent difficile pour les doctorants ». Et les raisons sont la plupart du temps liées à la réputation : pression de l’encadrant – on lave son linge en famille – ou autocensure pour ne pas apparaître faible devant des chercheurs qui jugeront potentiellement sa future candidature. Ne reste plus qu’à délier ce cercle vicieux.

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