Une physicienne des particules chez TMN

En novembre 2024, la physicienne Jessica Lévêque a rejoint pour une semaine l’équipe de TheMetaNews, dans le cadre d’un échange journaliste chercheur organisé par l’Association de journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI). Voici son “rapport de stage”.

— Le 31 octobre 2025

Chercher, c’est tenter de comprendre le fonctionnement du monde. Questionner. Remettre en cause. Errer, parfois. Après 20 ans de carrière, la question du “pourquoi” et du “comment” chercher s’est mise à prendre beaucoup plus de place que mes recherches elles-mêmes. Pourquoi continuer à chercher dans l’infiniment petit, quand le monde visible semble avoir perdu son sens ? Comment continuer à chercher avec mes gigantesques instruments, alors que la planète brûle ? Comment concilier mes missions, mes convictions et mes valeurs, dans un monde qui vacille, et sur lequel j’ai l’impression de ne plus avoir prise ? Les évidences ont peu à peu laissé la place au doute.

« Je n‘avais soudainement plus que cela à faire pendant toute une semaine: prendre le temps »

Quand une question semble ne pas avoir de solution, la seule voie qui s’impose, c’est de tenter un pas de côté. Par exemple, aller faire un tour chez ceux qui regardent le monde des chercheurs d’un œil extérieur et critique. Peut-être qu’éclairer la route avec un autre angle m’aidera à trouver un chemin dérobé. Une semaine avec l’équipe TheMetaNews, c’est d’abord une bouffée d’air. De l’écoute collective, de la bienveillance, un rapport au temps apaisé, une présence au monde en pleine conscience, mais loin de l’urgence. Un rappel brutal, qu’en dehors du monde de la recherche, on peut aussi être passionné, rigoureux et tenace, tout en gardant du temps pour l’essentiel. Paradoxalement, la recherche sur le temps long semble constamment se faire dans l’urgence. Parfois au détriment de la réflexion.

En m’extrayant temporairement de l’urgence du quotidien, je n‘avais soudainement plus que cela à faire pendant toute une semaine: prendre le temps. Celui que je ne prends jamais. Prendre le temps de débattre avec les journalistes, de rencontrer des doctorants et post-doctorants autour d’un café, dans le cadre d’un forum pour l’emploi des docteurs. Prendre le temps de me rappeler que mon métier et ses gros instruments qui explorent un monde invisible que l’on connaît si peu, font toujours rêver, et qu’ils suscitent des vocations. Vocations qui permettent de former des citoyens éclairés et critiques, qui ont envie de changer le monde. Et peut-être, pour les plus chanceux, de devenir de futurs scientifiques brillants. Mais dans quel futur ?

« Serait-on trop à l’étroit dans notre conception de la recherche et des chercheurs ? »

Future ou No Future ? La temporalité de cet événement organisé par le journal TheMetaNews ne pouvait pas mieux tomber, tel un pavé dans la mare de mes incertitudes: la recherche d’aujourd’hui fait-elle encore rêver les jeunes, et les moins jeunes ?

De nombreuses interrogations soulevées pendant cette journée font écho à mes propres questionnements : notre façon de faire de la recherche, les critères mis en avant pour l’évaluer et pour valoriser ceux qui la font, sont-ils compatibles avec une vie de famille, avec la trajectoire que l’humanité devrait prendre, avec le respect de la Nature, avec le respect de soi ? La question est posée explicitement pendant le débat: « Comment éliminer la culture de la souffrance dans la recherche ? ». Les politiques interrogés, et qui ont évidemment fait les mêmes constats, voient bien que le monde change. Mais eux-même, bien qu’aux commandes, ne semblent pas en capacité d’infléchir la trajectoire. Serait-on trop à l’étroit dans notre conception de la recherche et des chercheurs ? Nos représentations seraient-elles obsolètes et élimées face aux nouveaux défis qui s’imposent à l’humanité ? La note d’espoir, ce sont ces jeunes docteurs qui refusent d’abandonner leur rêve de devenir chercheur mais refusent aussi de se soumettre aux règles du vieux monde. Comment leur donner voix au chapitre, et leur laisser une place dans l’entre-soi fermé des décideurs ?

« Il faut réinventer une recherche (…) où l’on prendrait le temps de se remettre en question »

Il faut réinventer un imaginaire où l’excellence ne soit pas antinomique du bonheur et de la préservation du monde. Réinventer une recherche qui laisserait la parole aux plus jeunes, et leur donnerait les moyens de mettre leurs aspirations en musique. Une recherche qui n’imposerait pas d’être portée par des humains ultra-compétitifs, qui n’exigerait pas de constamment courir après les financements, les récompenses prestigieuses, les retombées économiques et la disruption à tout prix. Une recherche où l’on prendrait le temps de se remettre en question, de se rapprocher des citoyens et qui paverait la route vers un futur soutenable et surtout plus vivable pour ceux qui la font.

Aurais-je trouvé ma nouvelle piste ?

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