Yves Moreau est chercheur en analyse de données génétiques. Pour dénoncer la surveillance de la minorité Ouïghours par le gouvernement chinois, il a accepté de collaborer avec l’ONG Human Right Watch. Il livre à TMN ses inquiétudes sur la situation. Quelle est l’ampleur du profilage ADN des Ouïghours en Chine ? Entre 2016 et 2017, le gouvernement chinois a organisé des collectes de sang dans la région du Xinjiang auprès de toute la population – Ouïghoure et Han – âgée de 12 à 65 ans. Quarante séquenceurs ADN ont été achetés par la province, ce qui est tout à fait anormal. Pour l’instant, seules les minorités sont ciblées mais le but est de l’étendre à toute la population. Les bases de données ADN chinoises regroupent aujourd’hui 80 millions de personnes, alors qu’en France on en a seulement 4 millions. Le profilage ADN n’est qu’une des techniques utilisées en Chine pour surveiller la population : elle est en apparence moins agressive que la reconnaissance faciale mais en reconstruisant le code génétique, elle touche à l’essence même de la personne. Comment la génétique peut-elle servir pour cibler une population ? En génétique, il n’y a pas de séparation nette mais il existe une carte des populations assez précise pour tracer des lignes arbitraires, comme dans une vallée entre deux montagnes. Les frontières restent floues mais il est possible de distinguer génétiquement la plupart des Hans et des Ouïghours. La police chinoise pourra donc dire à une personne « vous êtes Ouïghour », juste d’après son code génétique. On a aujourd’hui tendance à en minimiser les impacts mais les abus auraient des conséquences catastrophiques. Quand on regarde les publications scientifiques, les Tibétains sont étudiés quarante fois plus que les Hans, et les Ouïghours trente fois plus. Vous accusez de complicité les entreprises vendant à la Chine leurs technologies de profilage ADN. Mais les chercheurs n’ont-ils pas aussi leur part de responsabilité ? Quand j’ai commencé mes investigations, je cherchais deux ou trois exemples d’articles non éthiques. En tirant sur le fil, j’en ai sorti des dizaines et, au final, ce sont environ 800 articles sur le profilage ADN en Chine qui ont été publiés, parfois dans de grandes revues. Les chercheurs chinois ont intérêt à publier car ils bénéficient alors d’un bonus mais, dans la moitié des cas, il y a au moins un auteur lié à la police ou la justice chinoise. Lors du peer review, rapporteurs et éditeurs doivent signaler les mauvaises conduites éthiques. Les recommandations éthiques sont clairement énoncées dans les guidelines, donc personne n’a d’excuses. Ces recherches ont un vrai impact sur la vie des gens et il faut que les chercheurs en prennent conscience. Photo © Haleh Chizari |
David Chavalarias : « X vous projette dans le pire de votre environnement social »
En tant que chercheur, que vous apportait un réseau social tel que Twitter avant ? Twitter m’était utile pour faire de la veille scientifique et technologique, en étant connecté à des experts de mon domaine qui produisent ou pointent vers des publications ou d’autres...