🍀 Ils ne veulent pas devenir « acceptologues »



12 fĂ©vrier 2021 /// L’actu des labos
Les 364 autres
jours aussi

Hier se tenait la journée internationale des femmes et des filles de science – 6ème du nom. L’occasion de rappeler ce chiffre : 30% des chercheurs sont des femmes.
L’occasion également de remettre sur le devant de la scène les femmes qui ont reçu un prix Nobel, mais aussi et surtout celles qui n’ont jamais été récompensées.
L’occasion finalement de vous reparler de l’effet Matilda et du dernier épisode de notre podcast : 20 minutes avec l’archéologue Laura Mary à l’initiative de Paye ta Truelle.
Bonne lecture,
Lucile de TMN

 PS  L’écriture inclusive… Nous avons fait le choix de ne pas l’utiliser pour des questions de style – ne pas alourdir notre ton parfois dĂ©calĂ©. Cela ne diminue en rien notre attachement au sujet des femmes en sciences. VoilĂ , c’est dit.


Si vous n’avez que 30 secondes



A partir d’ici, 5 min – pas plus –, c’est promis !



Des chercheurs
sous contrĂ´le


Des sociologues rapportent des entraves à la liberté de chercher dans le domaine du nucléaire et refusent de se transformer en « acceptologues ».


Tempêtes sous des crânes.
Au dĂ©part, une pĂ©tition. Vous vous souvenez peut-ĂŞtre du cas de Christine Fassert, licenciĂ©e pour insubordination par l’IRSN (Institut de radioprotection et de sĂ»retĂ© nuclĂ©aire), dont les travaux ont Ă©té relus et modifiĂ©s par l’Institut. Cette histoire a une suite : seize chercheurs, la plupart en sciences humaines et sociales (SHS), l’ont soutenu dans cette tribune parue dĂ©but janvier.
Under control. Le cas de Christine Fassert serait en effet loin d’être isolé : « Notre tribune est un cri d’alerte sur une situation vécu par de nombreux chercheurs ayant eu des liens avec les agences nucléaires », analyse Sezin Topçu, sociologue au CNRS, à l’origine de la tribune. Que dénoncent ses signataires ? « [Le] contrôle que veulent exercer ces agences sur tous types de travaux menés en sciences sociales. »
Un pouvoir illĂ©gitime ? Si cette règle de relecture par la direction est Ă©crite noir sur blanc dans les contrats liant l’IRSN Ă  ses agents, « il n’est Ă©crit nulle part qu’ils puissent intervenir dans les rĂ©sultats, par exemple ceux d’un programme de recherche financĂ© par l’ANR comme Agoras [Plus de dĂ©tails sur Agoras ici, NDLR] ». Et pourtant, des chercheurs tĂ©moignent de cette « auto-attribution de pouvoir » (voir encadrĂ© ).


 
 « Le cas de Christine Fassert montre une confrontation avec sa hiĂ©rarchie autour des rĂ©sultats de sa recherche, renforcĂ©e par des règles comme la relecture de toutes publications produites par les agents de l’IRSN. » 
Sezin Topçu, sociologue (CNRS)


 
 « Dans les colloques, je disais pour rire à Christine Fassert qu’elle était « l’œil de l’IRSN ». Cette mauvaise blague exprimait maladroitement le malaise que nous ressentions tous car elle avait en fait déjà perdu sa liberté. » 
Francis Chateauraynaud, sociologue Ă  l’EHESS


Pris au piège. « C’est toujours la mĂŞme stratĂ©gie : au dĂ©but, la sĂ©duction – « vous ĂŞtes libre » – et Ă  la fin, cela tend vers une forme de censure, ou plutĂ´t de reprise de contrĂ´le », rĂ©sume Francis Chateauraynaud, co-auteur de la tribune. Et certains sont prisonniers du « système », en particulier les employĂ©s d’organismes comme l’IRSN ou d’entreprises comme EDF.
Guerre médiatique. C’est pour eux que les signataires de la tribune prennent position. « Si on laisse ce discours [celui de l’IRSN, NDLR] devenir vérité, nous risquons de mettre en danger les conditions de travail, en particulier celles des jeunes chercheuses et chercheurs qui ne bénéficient pas des quelques bourses du CNRS ou du ministère », alerte Sezin Topçu. Et ceci ne concerne pas que la sociologie mais aussi l’anthropologie, l’histoire, la philosophie…


Retour de terrains minés
Francis Chateauraynaud a fait plusieurs fois l’expĂ©rience de ce « contrĂ´le des mots » au sujet du nuclĂ©aire. Il a en revanche toujours eu « la chance d’être en poste Ă  l’EHESS et d’être missionnĂ© pour des Ă©tudes ». Il pouvait donc bĂ©nĂ©ficier de ces financements pour son Ă©quipe tout en gardant une forme d’indĂ©pendance. 
Comme au théâtre. En 1992, le sociologue menait une étude à la demande d’EDF sur le pilotage automatique des centrales nucléaires. « J’ai provoqué leur colère en utilisant le mot « improvisation » et les recherches ont été arrêtées net, avec interdiction de publier le rapport » – qu’il fera quand même circuler car il s’avérait utile pour d’autres chercheurs.
Court-circuits. Sa dernière mauvaise expérience, c’était avec l’Andra. Une enquête sur l’enfouissement des déchets nucléaires dans la Meuse, le projet Cigéo, avait été commandée en pleine contestation contre ce projet. « Nous, sociologues, avons été utilisés comme des fusibles et avons fini par nous faire agresser verbalement par des militants [anti-Cigéo, NDLR] sur le terrain », raconte Francis Chateauraynaud.


Acceptologie. « Les attentes de la part des acteurs techno-industriels sont souvent de voir les sociologues se comporter en « acceptologues », en cas de contestation de leurs activitĂ©s », constate Sezin Topçu. Étudier les groupes militants, OK, mais les instances officielles, attention. Mais Ă  l’Ă©vidence, pour les deux sociologues, la gestion du nuclĂ©aire doit aussi pouvoir ĂŞtre Ă©tudiĂ©e.
100% public ? « Aujourd’hui le système est hybride, avec un mĂ©lange de financements publics et privĂ©s, qui ne satisfait personne », analyse Francis Chateauraynaud. Des financements entièrement publics seraient la solution : « Il faudrait un système plus vertueux qui garantirait la libertĂ© de recherche – et de critique quand c’est nĂ©cessaire ». Pour le nuclĂ©aire, mais aussi pour d’autres sujets qui « fâchent » comme les violences policières ou les conflits armĂ©s.
 Une affaire toujours en cours  L’Ă©tape de conciliation avec l’IRSN s’Ă©tant soldĂ©e par un Ă©chec, Christine Fassert est dans l’attente du jugement qui sera rendu par les Prud’hommes en octobre. Elle espère obtenir un dĂ©dommagement financier car retrouver un travail Ă  56 ans n’est pas chose aisĂ©e, qui plus est dans l’acadĂ©mie. Aujourd’hui, la sociologue donne des cours Ă  l’universitĂ© dans le cadre de vacations.


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LibertĂ©, égalitĂ©, intĂ©gritĂ©…


Garantir l’indépendance au sein des Epic ? De nouvelles dispositions pourraient protéger les chercheurs en cas de conflit.


…Sans oublier la fraternitĂ©, bien sĂ»r
A l’occasion d’une question Ă  FrĂ©dĂ©rique Vidal posĂ©e par le sĂ©nateur Pierre Ouzoulias sur les circonstances du licenciement de Christine Fassert par l’IRSN, celui-ci a rappelĂ© que de nouvelles dispositions, introduites par la pourtant si clivante Loi de programmation de la recherche (LPR), pourront aider Ă  garantir la libertĂ© des chercheurs :
  1.  L’article 15 Ă©tend la libertĂ© d’expression  à tous les chercheurs et enseignants des Ă©tablissements « contribuant au service public de la recherche ». Les Epic (dont voici la liste) sont donc maintenant inclus.
  2.  L’article 16 de la LPR  prĂ©voit que « les Ă©tablissements publics contribuant au service public de la recherche (…) offrent les conditions du respect des exigences de l’intĂ©gritĂ© scientifique pour les activitĂ©s et travaux menĂ©s en leur sein. »
Le lien entre libertĂ© acadĂ©mique et intĂ©gritĂ© est clair : il s’agit de pouvoir mener ses recherches en accord avec les valeurs de la communautĂ© acadĂ©mique, sans entraves. A l’avenir, l’article 16 pourrait donc servir Ă  protĂ©ger les chercheurs en cas d’ingĂ©rence des Ă©tablissements dans les travaux de recherche – censure ou pression Ă  la publication – lorsque cela met Ă  mal l’intĂ©gritĂ© scientifique..


Un chiffre social
 1 sur 2

C’est la proportion d’articles scientifiques partagés sur Twitter et qui sont cliqués, selon une étude publiée dans Journal of the Association for Information Science and Technology. Les auteurs ont pris en compte le million de publications postées sur le réseau social via des liens courts Bitly. Les sciences humaines et sociales semblent générer un peu plus de “clics”.


 Des infos en passant  Vous êtes joueur ? Voici des jeux en ligne, escape game et autres autour de l’intégrité scientifique et de la science ouverte //////// Alors que le chercheur Richard Smith appelle à une révolte des reviewers, des chercheurs développent une IA qui relira vos papiers à leur place //////// Parité : le fond national suisse va instaurer des quotas… dans les instances d’évaluation ////////


//////// Bientôt, les candidatures pour les appels à projet seront en vidéo. Nature vous explique //////// L’Inria vous donne cinq raisons de suivre son Mooc sur les recherches reproductibles //////// Les utilisateurs de Peer Community In, un processus éditorial ouvert, donnent leurs impressions et ils ont l’air satisfait //////// 


Votre revue
de presse express



Et pour finir…
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Après hésitation avec une vidéo de tardigrade – regardez-là quand même –, on a finalement opté pour cette lettre datant de 1926 entre deux physiciens loin d’être inconnus. Et un fort beau cas d’amnésie de citation, pathologie que nous abordions la semaine dernière.