đŸ”· Maintenant que la Chine est Ă©veillĂ©e




06 octobre 2021 | La recherche et sa politique
Bascule dans
la realpolitik

Amis de tous les pays. La communautĂ© des chercheurs est par essence trĂšs internationalisĂ©e, comme nous l’avions prouvĂ© dans notre enquĂȘte GĂ©nĂ©ration Phd (page 24). Vous Ă©changez les idĂ©es et les donnĂ©es, souvent au-delĂ  des frontiĂšres.
L’ùre du soupçon. Et si parmi ces collĂšgues se cachait un espion et si ces terrains Ă©taient une occasion d’aspirer vos donnĂ©es ? La parano est de mise Ă  la lecture des deux rapports qui viennent de paraĂźtre, surtout vis-Ă -vis de la Chine mais aussi de la Turquie.
Demi-ouverture. Sans appeler Ă  la fermeture des esprits, quand on parle d’ingĂ©rences Ă©trangĂšres, difficile de diluer la mĂ©fiance qui l’accompagne dans les valeurs de la science, qu’elle soit open ou non.

Keep calm & science hard,
Laurent de TheMetaNews

 PS.  Mes excuses Ă  Christophe Blondel dĂ©signĂ© trĂ©sorier national du SNCS dans notre dernier numĂ©ro, alors qu’il en est trĂ©sorier national adjoint.


Le programme du jour
  • Petit manuel des ingĂ©rences acadĂ©miques
  • Des infos en passant (mais d’importance)
  • La censure chinoise dĂ©teint en France, selon AndrĂ© Gattolin
  • Le JO au pas de course
  • Et pour finir en train de nuit



A partir d’ici 5 minutes sous influence


Les manƓuvres de PĂ©kin dĂ©cryptĂ©es


Deux rapports dĂ©montrent l’entrisme de la Chine — et d’autres — dans la recherche française. Explications.


ThĂ©Ăątre d’ombres

Ricochets. Deux rapports viennent Ă  quelques jours d’intervalle dresser le portrait (chinois ?) des ingĂ©rences Ă©trangĂšres dans la recherche française. Le premier baptisĂ© « Les opĂ©rations d’influence chinoise » a Ă©tĂ© produit par deux chercheurs de l’Irsem, le second porte sur les ingĂ©rences Ă©tatiques extra europĂ©ennes et a Ă©tĂ© produit par une commission sĂ©natoriale (voir l’interview).

Coup sur coup. Loin de son traditionnel mutisme, la Chine n’a pas manquĂ© de rĂ©agir au premier par la voix trĂšs peu modĂ©rĂ©e de son ambassade. Un changement de ton qui signe la montĂ©e d’un nationalisme trĂšs actif
 et qui se fait sentir jusque dans les labos français. Pour cela, la Chine attaquerait, selon l’Irsem lĂ  oĂč le bĂąt blesse en France :
« Le manque de reconnaissance et de moyens dans les laboratoires a rapidement Ă©tĂ© identifiĂ© par PĂ©kin comme un talon d’Achille »

Coup sur coup. Le rapport cite ainsi le chercheur Antoine Bondaz — qualifiĂ© de « petite frappe » par l’ambassadeur de Chine, rappelez-vous —pour qui la Chine est « un paradis : des labos flambant neufs, des moyens financiers importants et des Ă©quipes de soutien Ă  la recherche plĂ©thorique ». Ce qui explique l’entrisme chinois dans certains Ă©tablissements moins bien dotĂ©s, comme Poitiers, Angers, Arras ou Pau. Comme le rĂ©sume le sĂ©nateur Pierre Ouzoulias :
« Si l’on veut Ă©viter que les chercheurs se financent par des sociĂ©tĂ©s Ă©crans chinoises, il faut leur donner plus de moyens (
) notre systĂšme public nous protĂšge encore »

Les chemins mĂšnent Ă  Pekin. La France est une cible importante pour le Parti communiste chinois. Le rapport liste ainsi environ plusieurs centaines de cellules chargĂ©es d’attirer des chercheurs : les États-Unis sont la cible prioritaire, avec 146 cellules identifiées, puis viennent l’Allemagne (57), l’Australie (57), le Royaume-Uni (49), le Canada (47), la France (46).

Mille talents. Le rapport de l’Irsem rappelle qu’une publicitĂ© placĂ©e en janvier 2018 dans la revue scientifique Nature expliquait ainsi que tous les candidats retenus recevraient une prime de dĂ©part de 126 000 € et pourraient demander une dotation d’environ 500 000 euros, dans le cadre du programme Mille talents (dissous depuis).

CĂ©citĂ© sur les SHS. Outre les sciences « dures Â», les sĂ©nateurs pointent les « nouvelles stratĂ©gies d’influence qui ciblent les sciences humaines » ou l’impact du classement de ShanghaĂŻ. A tel point qu’ils proposent dans leur rapport de crĂ©er un classement alternatif, oĂč les universitĂ©s seraient notĂ©es sur l’intĂ©gritĂ© ou les libertĂ©s acadĂ©miques.

 Notre analyse  Aucune trace du rachat pourtant hautement symbolique d’EDP science par l’AcadĂ©mie des sciences chinoises dans ces deux rapports. Aucune trace non plus de l’islamogauchisme comme influence extĂ©rieure dans notre vie acadĂ©mique.


L’impossible contrîle
Sur le papier, tous les partenariats internationaux doivent ĂȘtre examinĂ©s par le ministĂšre de la Recherche. 912 dossiers ont ainsi Ă©tĂ© soumis depuis 2019 et le taux d’avis nĂ©gatifs est de 6,5 %. Les sĂ©nateurs dĂ©noncent dans leur rapport une mĂ©thode trĂšs imparfaite : outre l’absence de dĂ©claration systĂ©matique, sans rĂ©ponse au bout d’un mois, les dossiers sont rĂ©putĂ©s approuvĂ©s. Il faudrait tripler ce dĂ©lai, selon eux. Dans leurs propositions, ils suggĂšrent de renforcer le rĂŽle des fonctionnaire sĂ©curitĂ© dĂ©fense (FSD), souvent bien seuls au sein des Ă©tablissements, Ă  l’exception notable de l’équipe du CNRS. Enfin, ils proposent que les ministĂšres de l’Economie et des ArmĂ©es puissent ĂȘtre mis dans la boucle et que ce contrĂŽle soit Ă©tendu aux filiales française de boĂźtes Ă©trangĂšres (coucou Huawei).


Vous voulez témoigner ?

 Des infos en peu de mots  AprĂšs Antoine Petit, voici d’autres candidats Ă  la prĂ©sidence, en la personne d’Olivier Coutard, ainsi que notre chĂšre Camille NoĂ»s ////////// Aucun rapport mais Marie-JosĂ©e Simoen, l’ancienne patronne du Fonds national de la recherche scientifique (FNRS) belge, est devenue baronne ////////// On parle Ă©normĂ©ment de ce papier paru dans L’ActualitĂ© juridique baptisĂ© La Bourse ou la belle vie. Tout un programme ////////// Pour ceux que cela intĂ©resseraient la commission sur les LumiĂšres Ă  l’ùre numĂ©rique ou plus sobrement commission Bronner est nĂ©e la semaine derniĂšre et s’est rĂ©unie lundi pour la premiĂšre fois //////////


Trois questions à
 AndrĂ© Gattolin


« La censure chinoise déteint en France »


Cet universitaire, Ă©galement sĂ©nateur, est rapporteur de la mission d’information sur les ingĂ©rences Ă©tatiques extraeuropĂ©ennes.


Que retenez-vous de ces semaines d’audition ?
Sans tomber dans un systĂšme de flicage, nous souhaiterions que les publications scientifiques de premier rang fasse l’objet d’une dĂ©claration de conflits d’intĂ©rĂȘts et de transparence sur les financements. Il ne s’agit pas d’interdire mais de savoir d’oĂč les gens parlent. On ne peut pas soumettre les chercheurs Ă  un rĂ©gime Ă©quivalent aux parlementaires mais ils doivent prendre conscience que des financements Ă©trangers ne sont pas anodins. En cas de voyages Ă  l’étranger, le risque de se faire aspirer ses donnĂ©es et par lĂ  mĂȘme, mettre en danger ses sources ou ses collĂšgues est bien rĂ©el.

Pouvez-vous ĂȘtre plus prĂ©cis ?
Les services de renseignement nous ont signalĂ© des cas que nous ne pouvions publier. Toute collaboration avec une structure extraeuropĂ©enne doit faire l’objet d’une dĂ©claration au ministĂšre de la Recherche et au Quai d’Orsay auprĂšs du fonctionnaire habilitĂ©. Surtout qu’il y a une zone grise de la recherche qui est Ă  la fois civile et militaire, en virologie ou dans le numĂ©rique. De ce point de vue les mathĂ©maticiens notamment sont parfois naĂŻfs et l’open science est un vrai enjeu : ne faut-il ĂȘtre parfois plus mĂ©fiants ? La course Ă  la publication de travaux parfois non finalisĂ©s sans protection de la propriĂ©tĂ© intellectuelle peut reprĂ©senter un danger.

Outre la Chine, quels pays reprĂ©sentent le plus de risque d’ingĂ©rences ? 
Les travaux de la commission ont commencĂ© en juillet ; nous manquions de temps pour tout couvrir et nous sommes concentrĂ©s sur la Turquie en plus de la Chine, mĂȘme si les services de renseignements nous pointaient aussi le maghreb, les pays du Golfe persique ou l’Iran. Nous avons dĂ©crit les diffĂ©rents types d’influence possibles, depuis le traditionnel soft power ou le plus « pushy Â», comme les instituts Confucius, jusqu’aux cas de captation ou d’espionnage. Le classement de Shanghai est d’ailleurs une forme de ce soft power.

Revenons Ă  la Chine, comment se traduit son influence dans les campus et les labos ?
L’autocensure des chercheurs chinois dĂ©teint en France, surtout que les Ă©tudiants chinois ne sont plus rĂ©servĂ©s comme ils l’étaient sur ces questions. La jeune gĂ©nĂ©ration a baignĂ© dans un nationalisme exacerbĂ©. Du cĂŽtĂ© des chercheurs et des Ă©tablissements, cela crĂ©Ă© une forme d’autocensure par exemple dans l’intitulĂ© de sĂ©minaires ; l’infraction aux libertĂ©s acadĂ©miques n’est pas loin, comme nous l’a tĂ©moignĂ© une sinologue qui a connu une Ă©poque oĂč le rĂ©gime chinois Ă©tait moins dur. L’extension des cours de ligne reprĂ©sente Ă©galement une menace, en externalisant la salle de cours.


  Le Journal officiel au pas de course  L’ébullition du sodium dans un assemblage combustible d’un rĂ©acteur Ă  neutrons rapides s’appelle le choucage /////// On connait la nouvelle promotion des Ă©lĂšves de l’Ecole des chartes /////// Ouverture par concours externe de douze postes d’ingĂ©nieurs de seconde classe Ă  l’Inria /////// Le cahier des charges du concours d’innovation i-Nov est dĂ©sormais connu /////// 


 Ils refont leur carte de visite  Johnny Gogibus est nommĂ© directeur gĂ©nĂ©ral des services (DGS) de l’UniversitĂ© Paris LumiĂšres pour quatre ans /////// Amis bibiliothĂ©caires, certains de vos collĂšgues ont de l’avancement /////// Laurence LefĂšvre est nommĂ©e membre du conseil d’administration du Centre national des Ɠuvres universitaires et scolaires /////// Le cabinet de FrĂ©dĂ©rique Vidal se recomposeOlivier Ginez devient directeur adjoint du cabinet, Lloyd Cerqueira, conseiller spĂ©cial et Yann Jacob, chef de cabinet adjoint. Deux dĂ©lĂ©gations de signature Ă  signaler Ă©galement /////// Bienvenue Ă  Nantes UniversitĂ© dans le monde merveilleux de l’ESR /////// 


Votre revue de presse express


  • Passe Ă  dix. Le chercheur Marc Billaud tente un rapprochement entre le salaire de Lionel Messi et les budgets de recherche, particuliĂšrement en biologie santĂ©. C’est dans Le Monde Diplomatique.
  • Un pour tous. Un projet collaboratif entiĂšrement en open source (une gageure dans la pharma) baptisĂ© Covid Moonshot sera-t-il Ă  mĂȘme de dĂ©velopper un traitement contre le Covid ? C’est le sujet de cette enquĂȘte d’Olivier Monod dans LibĂ©ration.
  • Un peu moins de discipline, SVP. Le prĂ©sident de l’observatoire du long terme (sic) Nicolas Champlain regrette dans une tribune un peu confuse parue dans l’Opinion qu’« au nom de la pluralitĂ© scientifique, il faille disperser [nos moyens] de la physique fondamentale Ă  la thĂ©orie du genre dans la cuisine française ».
  • T’es in ou t’es out ? Le prix Nobel Serge Haroche regrette dans une interview au Figaro la possible exclusion d’IsraĂ«l, du Royaume-Uni ou de la Suisse des financements d’Horizon Europe. La question n’est en effet toujours pas tranchĂ©e.


Et pour finir

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Rien de trĂšs scientifique lĂ -dedans mais il n’est pas interdit d’occuper son esprit Ă  autre chose qu’au triomphe de la vĂ©ritĂ© : voici une carte d’Europe des trains de nuit (via la sublime newsletter Absolument tout), qui pourra tout de mĂȘme vous faire Ă©conomiser quelques kilos de carbone.