🔷 Un tour chez les docteurs

19 mai 2021 | La recherche et sa politique
Je suis timide
mais je me soigne

Ce pourrait être la devise des docteurs en France, pourtant titulaires du plus haut diplôme reconnu internationalement. Avec la disparition de l’ENA, ces derniers vont-ils se rapprocher des sphères du pouvoir ?
Notre pays glorifie les ingénieurs et les médecins, à tel point qu’être docteur est synonyme de médecin pour beaucoup de nos concitoyens. Pourtant qu’on se le dise : la loi est de votre côté.
On a voulu revenir, analyses à la main, sur ce qu’être docteur signifie en France en 2021. Vous le verrez : certains clichés ont la peau dure.

Keep calm & science hard,
Laurent de TheMetaNews
PS Quelle erreur dans notre dernier numéro ! Ce n’était pas des limaces de mer mais des nudibranches que nous vous offrions en « Et pour finir ». Trois lecteurs nous ont tapés sur les doigts #peerreviewed !

Si vous n’avez que 30 secondes

Les docteurs au chevet des grands corps
Des infos en passant
Le nombre de nouveaux docteurs diminue
Les résistances viennent aussi de l’intérieur, selon Patrick Fridenson
Ils refont leur carte de viste
Votre revue de presse express
Et pour finir en balade avec notre bon Charles

A partir d’ici 5 minutes de lecture énarque

Les docteurs au chevet des grands corps

La suppression de l’ENA signe-t-elle le grand soir de l’accession des docteurs à la haute fonction publique ? C’est moins évident qu’il n’y paraît.

▲ Non, pas ce grand corps malade ▲

On ferme. Annoncée par Emmanuel Macron il y a déjà plus d’un mois, mais en gestation depuis presque cinquante ans, la suppression de l’ENA et sa transformation en un Institut de service public, « tronc commun » à treize écoles est une promesse remontant à avril 2019, en pleine crise des Gilets jaunes. Le président a tenu d’ailleurs presque exactement les mêmes propos à deux ans d’intervalle :
« L’Institut sera plus ouvert au monde académique et de la recherche, en France comme à l’international. »

Promotions docteurs. Après l’ouverture des concours de l’ENA aux docteurs en 2013 et la création d’un concours spécial docteurs en 2019, c’est un nouveau pas pour les promoteurs du doctorat, surtout en sciences sociales. La Conférence des présidents d’université prévient néanmoins :
« La réforme du recrutement et de la formation des hauts fonctionnaires ne peut se résumer (…) à un ravalement de façade. »

Tout changer pour ne rien changer. Cette inquiétude est partagée par d’autres, qui pointent des résistances internes et le risque paradoxal que le nouveau cursus ISP ne désavantage même les docteurs, en les obligeant à allonger encore des études déjà très longues. Yann-Maël Lahrer, fondateur d’Okaydoc, renchérit :
« J’ai peur que ce soit une opération de rhabillage, on change le nom mais pas la philosophie de la fonction publique en apportant une petite dose de diversité sociale mais pas intellectuelle. »

Rôle model. Certains incarnent déjà néanmoins cette volonté de « doctoriser » la haute fonction publique, même si ils sont encore une minorité, comme Anastasia Iline, haute fonctionnaire qui a intégré l’ENA à l’époque où le concours spécial docteur n’existait pas encore :
« Dans certains pays ne pas avoir de doctorat est impensable, le paysage français est très spécifique mais l’Europe et l’international joue pour nous. Il y a quand même des freins : la valeur intrinsèque d’un doctorat varie selon les disciplines. »

Un tour dans les archives. Tenter le coup des concours de l’ENA ne coûte rien, la preuve avec cette interview du physicien Quentin Glorieux, reçu dans les hautes sphères… avant de finalement décliner la proposition.

Une réaction ? On vous écoute.

L’autre pays du doctorat

Être docteur outre-Rhin, ça pose sa femme (ou son homme) : le titre de docteur est notamment mentionné sur la carte bleue et la carte d’identité. L’Allemagne, où l’université forme l’élite des administrations contrairement à la France (Napoléon y est pour beaucoup), n’est pourtant pas un paradis pour les chercheurs, rappelle RogueESR dans cette analyse fouillée. Le mandarinat et la précarité y prospèrent en effet. Et si la comparaison France-Japon vous intéresse, consultez cette étude, qui remonte certes un peu, mais montre que faire briller le doctorat, c’est aussi (et surtout) une question de volonté politique.

Des infos en peu de mots Si vous voulez creuser un peu plus profondément dans le fossé culturel qui sépare la France du reste du monde concernant le statut des docteurs, nous vous recommandons la lecture de ce récent article du cabinet Gestion des risques interculturels ////////// Les relations sciences-société, ça vous parle ? Si ce n’est pas le cas, la lecture de ce rapport sur les actions dans les universités, viendra combler ce manque ////////// On est dans l’antichambre de la Présidentielle 2022 ; la CPU fait à sa manière campagne pour les Régionales avec des propositions aux candidats. Parmi celles concernant la recherche : développer les Cifre en régions, créer une instance régionale de concertation ou soutenir une politique d’accueil de chercheurs à fort potentiel //////////

Un chiffre plutôt qu’un long discours
16 039
Attractif le doctorat ? Le nombre d’étudiants inscrits en première année de thèse ne cesse de chuter, rappelle ce rapport de juillet 2020. Il était de 16 039 en 2019, en baisse de près de 3700 sur la décade écoulée. Une baisse particulièrement marquée en sciences de la société et en sciences humaines et humanités, disciplines précarisées et peu insérées dans privé.
Des chiffres sur le doctorat, la France en produit quantité, comme en témoigne le dernier Etat de la recherche particulièrement complet sur les effectifs ou la poursuite de carrière post-thèse. Si l’on sait donc répondre à la question du combien, reste le où et le comment. Le ministère de la Recherche a lancé un groupe de travail sur ce thème dans la foulée de la Loi de programmation de la recherche. Les docteurs, des alumnis comme les autres ?

Cinq questions à…. Patrick Fridenson

« La résistance vient aussi de notre milieu »

Ce spécialiste de la question du doctorat fait le bilan de ces dernières années.

Il a dirigé une mission sur la reconnaissance
professionnelle du doctorat en 2014

Parlons d’actualité d’abord : la réforme de l’ENA aura-t-elle un effet positif pour les docteurs ?
Il serait bien évidemment tout à fait souhaitable que les quelques places réservées pour des docteurs à l’ENA soient maintenues dans le cadre du futur Institut du Service Public [si vous avez raté le début, NDLR]. Mais il existe différentes écoles de la fonction publique dont les dirigeants sont encore à convaincre. Le projet de réforme, qui sera précisé d’ici le 6 juin, prévoit une convergence entre l’ENA et son équivalent territorial, l’Institut national des études territoriales, ce qui constituerait une opportunité pour envisager le recrutement de docteurs. Enfin, l’articulation entre la vision très opérationnelle des stages et le tronc commun envisagé entre les treize écoles de l’Institut reste à préciser. On peut souhaiter que sur les deux volets soit tenté un rapprochement avec le monde universitaire.

La reconnaissance professionnelle du doctorat reste-t-elle un gros mot dans l’ESR ?
La résistance ne vient pas seulement des autres milieux ; elle existe aussi dans le nôtre. Une partie des enseignants-chercheurs et des chercheurs vise toujours la reproduction interne – former des docteurs uniquement pour l’enseignement supérieur et la recherche – et ne va pas au-delà d’un discours de lamentation lorsqu’elle n’est pas assurée par l’Etat, d’où la floraison de CDD et de vacataires. Les docteurs ont besoin de voies de recrutement durables : si l’Etat doit en prendre sa part, nos milieux doivent aussi préparer les autres. C’est un débat qui dure depuis longtemps mais les choses bougent.

Quel est le contenu des discussions à mener à l’extérieur de l’ESR ?
Sont-ils prêts à embaucher des docteurs ? Dans quelles conditions de salaire ? Attendent-ils une contrepartie de l’Etat ? Voici la nature des discussions qu’il serait souhaitable qu’un “chef de file” au sein du MESRI mène avec les interlocuteurs extérieurs, principalement les entreprises et fonction publique territoriale. L’objectif serait également de les convaincre de l’utilité des docteurs : contrairement à certaines idées reçues, ils sont tout à fait opérationnels et ne restent pas cachés derrière leurs ordinateurs ! En recruter est aussi un moyen d’accroître la place des femmes dans l’encadrement.

Quelles actions sont envisageables pour les doctorants étrangers ?
Comme le récent rapport de l’IGESR le préconise [par ici pour le lire, NDLR], il serait souhaitable d’établir un vrai statut pour attirer les étudiants étrangers vers les universités françaises et les sécuriser. Pour cela, l’idée de « chercheurs en mobilité internationale » est bonne. De plus, j’estime qu’une partie des docteurs étrangers formés en France devraient pouvoir rester et être recrutés dans certains domaines spécifiques. Enfin, pour l’immense majorité qui repartent dans leur pays d’origine, des discussions avec les pays en question – principalement du Sud – permettraient d’assumer nos responsabilités en appuyant les docteurs dans leur départ et leur arrivée.

Propos recueillis par Lucile Veissier

Réagissez (on le publiera)

Un Journal officiel et non officieux De nombreux décrets concernant des professions de santé (orthoptistes, audioprothésiste, orthophoniste…) ainsi que des vacances d’emploi à l’hôpital sont parues le 16 mai //////// C’est le décret Kafka de la semaine : trois parcelles de terre, pour un total de 3595 m2 ont été déclassées et remises au service local en Charente //////// Il y a des chaires vacantes au Collège de France, quatre pour être plus précis //////// Différents concours sont ouverts au sein de l’université Gustave Eiffel pour l’IFFSTAR : des techniciens de recherche, des assistants ingénieurs, des ingénieurs d’étude, des ingénieurs de recherche //////// Public / privé : le régime du mandataire unique évolue quelque peu //////// La Commission d’enrichissement de la langue française s’est penchée sur la chimie et les matériaux ////////

Ils refont leur carte de visite On connait la composition exacte du collège de déontologie au sein du Mesri. Parmi les membres : Thierry Coulhon ou Christine Clerici //////// Un président doit être nommé à l’Ecole normale supérieure de Rennes : le comité chargé d’émettre un avis sur les candidatures est maintenant réuni //////// Certains postes sur concours sont réservés à ceux qui ont eu des fonctions dirigeantes au sein d’établissements à condition que leur candidature soit visée par un jury, dont voici la composition //////// On annonce diverses vacances de poste à la direction de l’Insa Rouen, de l’Esirem de Bourgogne ou de l’Université de technologie de Belfort-Montbéliard ////////

Votre revue de presse express

Le bon grain. Encore un peu de doctorat dans cette revue de presse, avec l’exemple de Thibaud Garnier et de sa thèse appliquée à l’agriculture dans le quotidien Ouest France.
Droit dans ses bottes. Une tribune parue dans Le Monde du droit signée Yann-Maël Lahrer, un des militants les plus en pointe pour la valorisation du doctorat en France, qui y prône logiquement l’utilité des docteurs.
En exil mais pas seuls. Campus matin revient sur les chercheurs en exil du programme Pause à travers un travail photographique et une exposition baptisée « Poser pour la liberté ».

Et pour finir

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Ce bâton de marche qu’on verrait bien entre les mains du Baron samedi a en fait appartenu à Charles Darwin, dont le look n’a pourtant pas traversé les siècles, contrairement à ses théories.

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