🍀 Frédérique Vidal, chercheuse (Ep.2)





08 janvier 2021 /// L’actu des labos
Tout vient
Ă  point, etc.

Plus d’un an qu’on attendait cette interview ! Notre premier rendez-vous au ministère était fixé au 22 octobre 2019, 10h. Puis annulé et jamais reprogrammé, malgré notre opiniâtreté.
Nos lecteurs de la première heure s’en souviennent, nous leur avions annoncĂ© cet entretien… qui n’a finalement pas eu lieu. Alors cette fois nous sommes restĂ©s discrets.
Après une loi entérinée et maintes interviews dans d’autres médias, que demander de plus à Frédérique Vidal ? Nous ne voulions pas tomber dans un illisible débats de chiffres (même si il en est question dans la première partie de cet entretien).
Dans cette seconde partie plus personnelle, nous avons donc cherché à savoir comment la ministre, elle-même ancienne chercheuse, voyait la recherche et la manière dont « sa » loi allait la changer..
Bonne lecture,

Lucile de TMN


(Re)lisez la première partie de cet entretien


8 minutes de lecture sans langue de bois ou presque



« A 12 ans, je voulais être Louis Pasteur »


Appels Ă  projets, vie du labo (et un peu Bruno Canard), FrĂ©dĂ©rique Vidal parle toujours de « sa » loi, cette fois en tant qu’ancienne chercheuse.


Photos © Laurent Simon
En tant qu’ex-chercheuse, que pensez-vous des appels à projet ?
J’y vois un intérêt majeur –  c’est comme ça que je l’ai vécu : quand vous êtes jeune chercheur et que vous démarrez dans votre équipe, le fait de déposer votre projet, le voir évalué et financé, procure une plus grande liberté par rapport au “mainstream” de votre labo. Quand on démarre, il faut s’insérer dans les thématiques de son labo. Après avoir été recruté, il arrive qu’on vous dise « il est super ton projet mais on n’a pas les moyens de le financer ». Quand j’entends des jeunes chercheurs déjà passés par un concours très sélectif me confier que le premier problème quand ils arrivent dans leur labo est d’acheter un ordinateur un peu puissant pour faire leurs calculs, ça me désole. C’est pour ça que dans la loi [La LPR, of course, NDLR] j’ai voulu une dotation automatique d’environ 10 000 euros pour tout nouveau recrutement. En outre, en tant que jeune chercheur, obtenir un ANR vous donne une grande liberté et de la tranquillité pendant trois ans : le temps de développer le projet pour lequel vous avez été recruté.

Les chercheurs se plaignent déjà de passer trop de temps à déposer des appels à projet, ça va donc aller en augmentant ? 
C’était d’autant plus vrai que les taux de succès de l’ANR s’étaient dégradés —  16% en moyenne en 2018. Quand l’ANR a été créée, les taux de succès étaient de 30% [25,7 % en 2005, tous appels confondus, NDLR]. Mon objectif était de revenir à ce niveau. Quand on lance des appels à projet thématiques qui sont autour de 25-30%, la frustration de devoir passer du temps à écrire un projet pour finalement ne pas l’emporter est nettement moindre et on parvient à retenir tous les meilleurs projets. Remonter le taux de succès de l’ANR était donc impératif. 

 
« Les demandes de financement ? Le plus dur dans mon souvenir est la partie non scientifique »
Avez-vous rempli des dossiers d’ANR quand vous étiez chercheuse ? Vous les avez remportés ? 
Oui, j’en ai eu un, et beaucoup d’autres que je n’ai pas remportés.

C’est frustrant, non ?
Dans ma discipline – biochimie et gĂ©nĂ©tique –,  on cherchait des financements en permanence, mĂŞme pendant ma thèse. Faute de quoi, on ne peut pas acheter le microscope dont on a besoin. Entre l’Arc, la Ligue, l’Inca, l’ANR… on arrivait Ă  financer nos projets. C’est dĂ©jĂ  beaucoup de travail mais le plus dur dans mon souvenir est la partie non scientifique. La partie scientifique, vous l’avez rĂ©digĂ©e pour la prĂ©senter Ă  un colloque, vous avez plein de matĂ©riel. Par contre, quand on vous demande d’estimer le nombre d’homme/jour que votre projet requiert, soit vous ĂŞtes dans un gros labo et  vous pouvez l’estimer, soit vous faites ça sur un coin de table et c’est plus difficile. On a beaucoup transfĂ©rĂ© de fonctions de soutien dans les labos Ă  des fonctions support dans la gestion des Ă©tablissements.  Je parle de l’universitĂ© parce que je suis professeur mais c’est le mĂŞme principe dans les organismes de recherche. En plus, nous avons un système qui veut que chaque tutelle ou chaque agent comptable ait son logiciel prĂ©fĂ©rĂ© ou sa façon de faire. Il y a donc un gros travail de simplification Ă  rĂ©aliser, sur lequel nous nous penchons avec des directeurs de labos qui nous font remonter des difficultĂ©s concrètes. Il faut absolument rĂ©embaucher des personnels de soutien, c’est essentiel.


Une réaction ? Nous vous écoutons

Combien exactement parmi les 5 200 postes que vous comptez créer grâce à la LPR ?
J’ai augmenté les plafonds d’emploi et mis les moyens nécessaires à disposition pour pouvoir recruter. Mais ce n’est pas mon rôle de dire que dans telle université, il manque par exemple dix postes. 
Ça veut dire que les universités pourront ne pas créer de poste si l’envie leur prend d’utiliser autrement l’argent ? 
Normalement non. Elles sont libres de l’utiliser comme de la masse salariale, mais je ne connais pas une université qui n’en ait pas besoin [de personnel de soutien, NDLR]. Par contre, il s’agit bien d’argent destiné à la recherche et donc aux laboratoires : ingénieurs, techniciens…
Revenons sur les appels d’offres, est-ce que ce n’est pas de la recherche moins risquĂ©e quand mĂŞme – on ne va pas tenter d’attraper la Lune ? 
Pas sur les appels à projets dit “blancs”, qui permettent de déposer des projets totalement libres [également appelés appels à projet générique, NDLR]. C’est aujourd’hui la majeure partie des appels à projet de l’ANR, qui sont définis par domaines scientifiques et non plus organisés en grands défis sociétaux comme auparavant – quand je suis arrivée, j’ai fait remettre du « blanc » partout. Sur du « blanc », c’est uniquement la qualité du projet proposé qui est évaluée et elle l’est par d’autres chercheurs, qui voient bien s’il y a une idée à creuser ou pas. 
« J’adorerais pouvoir travailler avec des auteurs de séries dont les héros seraient des scientifiques, femmes de préférence »
Si vous aviez 15 ans aujourd’hui, vous voudriez encore faire des sciences ? 
Je pense, oui. Déjà à 12 ans, je voulais être Louis Pasteur, rien que ça. Pourtant, rien ne me prédestinait à faire de la recherche – mes parents n’ont pas le Bac – mais j’étais fascinée, j’écoutais en boucle sur mon tourne-disque la vie de Pasteur. Je voulais être toute seule, avoir raison contre tous, faire des choses un peu interdites. J’adorerais pouvoir travailler avec des auteurs de séries dont les héros seraient des scientifiques, femmes de préférence. Il faut des “role models”. Quand j’étais prof, j’ai vu arriver une année un nombre de candidatures invraisemblable sur la licence biotechno. Et quand je demandais aux candidates, elles me disaient qu’elles voulaient toutes être Abby de NCIS. Nous avons aussi besoin de références comme celles-ci pour donner envie aux jeunes.
De quelle manière, en deux mots ?
Si plus aucun jeune ne veut faire de la physique ou des maths, il faut peut-être que l’on se demande pourquoi ; peu de Français savent ce qu’est la recherche. C’est pourquoi j’ai voulu renforcer le lien entre science et société dans la LPR. En demandant aux chercheurs et enseignants-chercheurs, sans trahir leur sujet de recherche, de tenter de le rendre intelligible pour le plus grand nombre, sans forcément leur donner une dimension “utile”. Et que cela puisse être valorisé.  Le problème de la carrière des chercheurs, et encore plus des enseignants-chercheurs est que l’évaluation, notamment pour les promotions, est encore très fondée sur la bibliométrie.  Nous allons écrire noir sur blanc qu’il y a aussi la façon dont on favorise l’interaction avec les jeunes. 


« Il faut garder en France cette stabilité de l’emploi, peut-être la dernière chose qui nous rend potentiellement encore un peu attractif »
La recherche peut faire rĂŞver, la rĂ©alitĂ© est plus dure : une compĂ©tition Ă©norme, beaucoup de pression, peu de postes… Et la LPR n’y changera pas grand chose, Ă  Ă©couter les chercheurs.
Il est possible qu’ils ne l’aient pas lu dans son intégralité ou qu’ils en aient juste entendu parler – malheureusement à partir de choses fausses neuf fois sur dix, d’ailleurs. Quand vous êtes parti à l’étranger, vous voyez bien que le modèle français fait partie des meilleurs au monde.  Certains de mes étudiants en thèse ont fait leur carrière à l’étranger : la première chose à faire au début de l’année est trouver de quoi se payer et payer toute son équipe.  C’est quitte ou double car si vous ne trouvez pas, plus personne n’a de contrat. Il faut garder en France cette stabilité de l’emploi, peut-être la dernière chose qui nous rend potentiellement encore un peu attractif. Après, il ne faut pas recruter sans moyens pour travailler, d’où l’idée d’augmenter les financements de base des labos. Ensuite, il faut pouvoir aller chercher de l’argent supplémentaire – mais là encore, c’est dépendant des disciplines. C’est aussi pour ça que j’ai augmenté le préciput de l’ANR [somme versée aux établissements hébergeant les équipes, NDLR] à 40%. Maintenant, à chaque fois que l’ANR va donner 100 à une équipe, elle donnera en fait 140 dont 40 à l’université ou à l’organisme de recherche ou au labo. Celui-ci se constituera un fond qui permettra de soutenir des projets non prévus, un peu comme le BQR – bonus qualité recherche – à l’époque.


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Ça marche à la confiance, donc. 
Tout à fait, mais c’est comme ça, la recherche : un équilibre entre la coopération et la volonté d’être premier à publier. Être compétitif, avoir envie d’être le meilleur, ce n’est pas intrinsèquement mal. Il faut juste que chacun puisse être le meilleur en ayant sa recherche financée. Si vous ne faites pas de pari, c’est confortable, mais vous n’allez rien découvrir.
Les appels à projet, ce n’est pas l’inverse de ce que vous venez de dire ? 
Je ne vois pas pourquoi. Comme je l’ai dit,  l’ANR fonctionne essentiellement avec des programmes blancs ou ouverts au sein desquels il est possible de prendre des risques scientifiques dès lors que le taux de succès est suffisamment Ă©levĂ©.  C’est d’ailleurs un modèle rĂ©pliquĂ© Ă  l’international. Et mĂŞme pour les programmes dirigĂ©s des investissements d’avenir, il s’agit de s’attaquer Ă  des verrous scientifiques qui nĂ©cessitent de dĂ©passer l’état de l’art et de faire des paris. Mettons qu’on ouvre un programme prioritaire de recherche sur l’hydrogène [TMN en parlait d’ailleurs en octobre dernier, NDLR]. Le principe est que pour construire l’appel Ă  projet, on demande Ă  tous les labos dans ce domaine-lĂ  de manifester leur intĂ©rĂŞt et de proposer des projets. A partir de lĂ , on construit l’appel, mais personne n’a Ă©tĂ© forcĂ© de travailler dans une direction. Je demande aux gens qui sont spĂ©cialistes du sujet quelles sont les questions Ă  creuser, les verrous… On Ă©crit l’appel Ă  projet Ă  partir de ce qu’ils font remonter. 
« Ce n’est pas parce qu’on dit aux chercheurs de trouver un médicament qu’ils le trouvent »
Reste que les appels d’offres rendent la recherche plus sensible aux modes. 
C’est peut-être le plus grand piège mais, à nouveau, sur les appels blancs ce n’est pas le cas car ce sont les chercheurs qui proposent. Ensuite, la recherche peut aussi nous aider à transformer l’avenir : comment préparer un monde dans lequel l’usage et le type d’énergie seront totalement transformés sans demander des solutions à la recherche? En revanche, je ne préjuge pas des solutions qui seront trouvées. Les gens pensent que si on avait mis un milliard d’euros sur la table, on aurait trouvé un médicament contre la Covid. Et bien non, ce n’est pas parce qu’on dit aux chercheurs de trouver un médicament qu’ils le trouvent.
Ça ne va peut-être pas vous faire plaisir d’entendre parler de Bruno Canard mais ce chercheur a dénoncé que ses recherches sur le Covid n’avaient pas été financées. La solution n’est-elle tout simplement pas de privilégier des financements pérennes ?
Bruno Canard a été recruté au CNRS quand j’ai commencé ma thèse, on se connaît depuis des années. Il est très fort en communication. Je ne sais pas si vous avez vu son sujet de recherche, qui porte sur le fonctionnement des ARN polymérase. Il aurait en réalité pu dire la même chose avec un autre virus que  le coronavirus. Quand il dit « on a abandonné les recherches sur les coronavirus » : d’abord, je lui réponds que son labo a été financé pour des travaux sur le SARS-CoV-1, un virus à ARN. SARS-CoV-1 n’étant pas devenu une épidémie, plus personne n’a travaillé dessus.  On a quand même la chance d’être un des rares pays où une fois qu’on a passé le concours, on ne se pose pas la question de son salaire , et quoi qu’il en soit, il y a du financement de base des laboratoires. Pas assez, certes, c’est pourquoi je les augmente. 


« Quand une équipe dans un labo décroche une ANR, c’est tout le labo qui a contribué à cette réussite »
Une question naïve sur les préciputs : pourquoi ne pas mettre ça sous la forme des budgets de base pour les labos ? 
Ils viennent en plus du budget de base, qui va augmenter pour tous les labos, je le rappelle. J’ai en effet voulu que 5% des préciputs aille au labo auquel l’équipe qui a remporté un appel à projets appartient. Premièrement, parce que quand vous écrivez une ANR, heureusement qu’il y a tout le reste du labo autour en soutien. Quand une équipe dans un labo décroche une ANR, c’est tout le labo qui a contribué à cette réussite. Ça me paraissait logique. La deuxième chose, c’est que quand vous dirigez un labo et qu’un jeune chercheur vous présente un projet, que vous voulez le soutenir mais que vous n’avez pas un demi centime qui ne soit pas déjà investi pour les projets en cours, ça fait mal au cœur.  On ne peut pas aller à l’ANR sur un pressentiment, il faut avoir quelques manipulations préliminaires.  Le fait qu’une équipe qui ait gagné un financement puisse en accompagner une autre, c’est une façon sympathique de renforcer le collectif.
Un point qui n’a pas été beaucoup discuté de la loi Recherche : le serment que devront déclamer les futurs docteurs une fois diplômés. Pourquoi l’avoir fait voter ?
C’est venu du sénateur Pierre Ouzoulias, également chercheur au CNRS, qui estimait qu’un peu de solennité ne nuirait pas, un peu sur le modèle du serment d’Hippocrate.


« Certains se sont servis de leur titre de docteur pour faire croire à des vérités démontrées scientifiquement, quand ils ne s’agissaient que de leurs propres hypothèses »
Est-ce plus difficile d’être intègre aujourd’hui que ça ne l’était il y a encore quelques annĂ©es ? 
C’était contextuel : nous étions excédés de cette succession de gens ravis d’être invités sur les plateaux télé et qui ont donné une image totalement confuse de la science en présentant leurs opinions comme des résultats scientifiques. Ils se sont servis de leur titre de docteur pour faire croire à des vérités démontrées scientifiquement, quand ils ne s’agissaient que de leurs propres hypothèses. Alors, prendre le temps de rappeler à un jeune docteur certaines choses nous est apparu comme quelque chose d’intéressant.  Il faut se rendre compte à quel point cette séquence a pu être délétère dans l’opinion publique où ils ont vu des gens qui étaient tous professeurs, tous docteurs, dire tout et son contraire.  Il faut expliquer au plus grand nombre comment se construit une connaissance scientifique : avec beaucoup de personnes hyper enthousiastes, qui émettent 200 hypothèses, toutes différentes, jusqu’à ce qu’une seule devienne une réalité scientifique. Sur les plateaux, ce qui a été montré, c’est la science en train de se faire.


Propos recueillis par Lucile Veissier et Laurent Simon