🔷 Bienvenue dans un monde d'« ex-pairs »




09 février 2022 | La recherche et sa politique
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à la réalité

Votre avis compte. La semaine dernière, nous avons diffusé le premier numéro de notre série #ParlonsRecherche avec les réponses de Fabien Roussel aux questions que VOUS lui avez posées.
A vous de nous dire. Comme nous vous l’expliquions la semaine dernière, ce nouveau format a deux objectifs : proposer un suivi de l’actu prĂ©sidentielle de votre point de vue et tester le nouveau look de nos futures newsletters.
Au bout du clavier. On est friands de vos retours (de mail !), n’oubliez pas qu’il suffit de cliquer “rĂ©pondre Ă  tous” pour nous Ă©crire. Nous vous lisons toujours avec plaisir.


Keep calm & science hard
,
Laurent de TheMetaNews


Au programme de ce numéro
  • Des infos en passant (mais d’importance)
  • JĂ©rĂ´me Aust passe les gouvernants de la recherche au crible
  • Le Journal officiel au pas de course
  • Ils changent leur carte de visite
  • Et pour finir avec Jude



A partir d’ici 5 minutes pour les señors


 Des infos en peu de mots  Le PDG par interim du CNRS Antoine Petit a effectuĂ© son grand oral devant les parlementaires (au SĂ©nat puis Ă  l’AssemblĂ©e nationale) qui ont votĂ© comme un seul homme (ou presque) pour sa reconduction Ă  la tĂŞte de l’organisme de recherche. Il a annoncĂ© la crĂ©ation potentielle d’une CNRS TV, d’un “start-up studio” et a regrettĂ© la fonte des effectifs. Le tout assorti de quelques punchlines olympiques • Le SĂ©nat a accueilli un dĂ©bat très encadrĂ© — et sans grands enjeux — autour des menaces que les thĂ©ories du wokisme font peser sur l’UniversitĂ©, l’enseignement supĂ©rieur et les libertĂ©s acadĂ©miques, en prĂ©sence de Sarah El HaĂŻry, secrĂ©taire d’Etat Ă  la jeunesse et Ă  l’engagement (mais sans FrĂ©dĂ©rique Vidal ni Jean-Michel Blanquer) • De nombreuses sections du CNU s’opposent vertement Ă  la future rĂ©forme de l’avancement des maĂ®tres de confĂ©rence prĂ©vue pour le 1er janvier 2023 (en voici un exemple) •


Sept questions Ă … JĂ©rĂ´me Aust


« Le pouvoir est actuellement plus divisé »


Ce sociologue a analysé le changement de gouvernance de la recherche ces soixante dernières années.


Si vous avez ratĂ© le dĂ©but. L’autonomie des chercheurs est-elle menacĂ©e par sa gouvernance, comme certains chercheurs le craignent ? JĂ©rĂ´me Aust a analysĂ© dans cet article rĂ©cemment paru le profil et les pouvoirs de celles et ceux (surtout ceux) qui gèrent la recherche. Hier : des “patrons” aux pouvoirs Ă©largis, aujourd’hui des “ex-pairs” qui ont entamĂ© une seconde carrière dans la gestion de la recherche.


Pourquoi vous être penché spécifiquement sur la biomédecine pour analyser les réformes de la gouvernance de la recherche ?
Pour plusieurs raisons : il était impossible de réaliser cette étude sur tout le champ scientifique, il nous fallait faire un choix. De plus, cette publication s’inscrit dans une enquête plus vaste, qui porte justement sur la biomédecine. C’était enfin un choix raisonné, puisque la biomédecine “imprime” sa marque en étant souvent à l’avant-garde des transformations de la recherche, que ce soit les liens avec le privé, l’internationalisation ou le financement sur projet, entre autres. Les biologistes et les médecins jouent un rôle important dans le portage des réformes, ils en sont parfois même les entrepreneurs. Dans les années 30, ce sont plutôt les physiciens qui jouaient ce rôle et, à l’époque, la biologie a raté le train des réformes qu’ils ont initiées. La situation change après guerre et dans les années 60 quand la biomédecine est devenue plus consommatrice de ressources.

« Les biologistes et les médecins jouent un rôle important dans le portage des réformes »

La crise de la Covid est-elle le paroxysme du leadership de la biomédecine ? 
Il s’agit à mon sens d’une tendance au long cours que l’épidémie récente vient sans doute prolonger et accélérer. La santé est depuis longtemps déjà l’une des priorités des politiques scientifiques. Dans les années 1990, par exemple, l’épidémie de Sida suscite la création de la première agence de financement de la recherche : l’ANRS. Dans les années 1960 également, les premières formes de financement sur projets sont dédiées notamment aux sciences de la vie.

Peut-on en déduire que le système est taillé pour les sciences expérimentales au détriment des sciences sociales ?
Il y a une culture plus grande des appels à projets en sciences expérimentales parce qu’elles nécessitent plus de moyens et que l’état des financements récurrents ne permet plus de faire face. Les sciences humaines et sociales s’y sont mises au fur et à mesure et de manière hétérogène. Les archéologues, par exemple, ont plus l’habitude de répondre à des appels à projets que d’autres disciplines en SHS. 
« Les “patrons” occupaient auparavant un grand nombre de positions de pouvoir »
Venons-en au propos de votre article : on est passé en 60 ans d’un système dirigé par des patrons chercheurs à un autre, géré par des “ex-pairs”. Qui étaient les premiers ?
Les “patrons” étaient définis par leur multipositionnalité. En d’autres termes, ils occupaient un grand nombre de positions de pouvoir dans des activités distinctes : ils siégeaient dans des commissions qui évaluaient les carrières ou les projets de recherche et influaient sur la politique de l’Etat, via notamment la participation à des commissions du commissariat au Plan. Cette variété d’influences concentrait fortement les pouvoirs aux mains d’un petit nombre. Ces cumuls n’existent plus actuellement, parce que le pouvoir est plus divisé. Les années 60 sont souvent considérées comme un âge d’or mais on oublie souvent qu’elles ont été marquées par ces “mandarins”, des chercheurs en exercice qui bénéficiaient d’une aura scientifique très forte et qui exerçaient leur pouvoir sur les autres scientifiques.

Venons-en Ă  leurs successeurs modernes : ceux que vous appelez les “ex-pairs”…
Les “ex-pairs” sont issus des rangs des chercheurs ou enseignants-chercheurs mais se sont engagĂ©s dans une seconde carrière d’administration ou de direction de la recherche. Ils cumulent Ă©galement les fonctions mais en nombre bien moins important et toujours dans des positions qui ont Ă  voir avec l’administration de la recherche. Ils ne siègent plus dans les instances dĂ©cidant de l’allocation des fonds ou de l’avancement de carrière, par exemple. Leur influence est circonscrite aux instances de direction des politiques scientifiques. 
« Les “ex-pairs” cumulent Ă©galement les fonctions mais en nombre beaucoup moins important »

Ces derniers sont-ils encore chercheurs ?
ĂŠtre chercheur est un des critères de leur nomination, ce statut participe Ă  lĂ©gitimer les institutions qu’ils dirigent qui sont parfois contestĂ©es dans le monde acadĂ©mique. Mais sur le fond, je ne suis pas certain de pouvoir rĂ©pondre. Ces derniers peuvent toujours se considĂ©rer comme des membres de la profession acadĂ©mique, mĂŞme s’ils ne participent peu ou plus Ă  la vie de laboratoire.

Quel impact ont eu ces changements de gouvernance sur l’autonomie des chercheurs ?
Répondre à cette question est difficile parce que l’un des effets des réformes contemporaines est de différencier les situations individuelles. Par exemple, certains collègues qui parviennent à accumuler des financements importants ou à décrocher des ERC disposent aujourd’hui d’une autonomie très forte, y compris s’ils sont jeunes. C’est évidemment bien plus difficile pour celles et ceux — et ils sont nombreux —, qui échouent dans les nouvelles épreuves compétitives. Il ne faut pas oublier non plus que, dans le passé, l’autonomie scientifique connaissait aussi des limites. Le souci de trouver des applications industrielles à la recherche n’est pas récent. Être jeune et travailler sous la coupe d’un patron dans les années 1960, ce n’est pas non plus forcément faire l’expérience de l’autonomie académique. 


Ca vous fait réagir ? Nous le publierons

 Le Journal officiel au pas de course  On recrute des bibliothĂ©caires dans les Ă©tablissements dĂ©pendant des ministères de la Recherche et de la Culture : 18 postes sont ouverts aux concours internes et externes, ainsi que 25 spĂ©cialisĂ©s de classe normale, sept assistants spĂ©cialisĂ©s de classe supĂ©rieure, un poste rĂ©servĂ© aux titulaires d’un doctorat  • Les titulaires des Chaires de professeur junior (CPJ) seront payĂ©s Ă  minima Ă  3 443,50 euros brut • L’Inrae va recruter des chargĂ©s de recherche de classe normale, tous les dĂ©tails sont ici • 


 Ils refont leur carte de visite  François Roche-Bruyn est nommĂ© membre du conseil d’administration de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) • Souad Ayada est nommĂ©e directrice de l’Institut français d’islamologie dont voici Ă©galement la charte constitutive dont la crĂ©ation a Ă©tĂ© annoncĂ©e il y a quatre jours • Jean-Luc Duplan est renouvelĂ© dans ses fonctions de dĂ©lĂ©guĂ© rĂ©gional acadĂ©mique adjoint Ă  la recherche et Ă  l’innovation pour la rĂ©gion Auvergne-RhĂ´ne-Alpes pour trois ans • Dominique Rebière est renouvelĂ© dans ses fonctions de dĂ©lĂ©guĂ© rĂ©gional acadĂ©mique Ă  la recherche et Ă  l’innovation pour la rĂ©gion Nouvelle-Aquitaine pour trois ans • Une demie-douzaine de nominations au conseil d’administration du Centre informatique national de l’enseignement supĂ©rieur, dont Guillaume GellĂ© est nommĂ© prĂ©sident • 


Votre revue de presse express


  • Excel lent. Les tableurs, Ă  l’hĂ´pital aussi. Le psychiatre Bernard Granger tire la sonnette d’alarme sur la bureaucratisation galopante Ă  l’hĂ´pital dans une tribune publiĂ©e dans le Nouvel Obs. Des tableaux Excel, ça ne vous rappelle rien par hasard ?
  • En toute autonomie. Rachel Gliese analyse succintement le programme de ValĂ©rie PĂ©cresse sur son blog GaĂŻa universitas (il faut dire que le programme est succinct). L’intĂ©ressĂ©e devrait faire des annonces lors de son premier grand meeting de campagne au Zenith ce dimanche. A suivre dans une prochaine news #ParlonsRecherche.
  • Permis de reconduire. Le journaliste Sylvestre Huet revient dans un billet de son blog Sciences au carrĂ© sur la prestation d’Antoine Petit devant les parlementaires (dĂ©tails et analyse supplĂ©mentaires plus haut dans cette mĂŞme news).
  • Droit d’inventaire. C’est l’heure du bilan pour FrĂ©dĂ©rique Vidal Ă  la tĂŞte du ministère de l’Enseignement supĂ©rieur, de la Recherche (et de l’innovation !). Un bilan en demi-teinte, selon Le Monde. La ministre a Ă©tĂ© accusĂ©e de manque d’Ă©coute et sa tentative de coup politique (remember l’islamogauchisme) a rompu le dialogue avec une bonne partie des chercheurs.


Et pour finir

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Il n’est certes pas rĂ©cent mais ce diagramme de Hey Jude des Beatles est Ă  la fois rationnel et Ă©motionnel ce qui n’est, en soi, pas si mal. Et ça reste moins compliquĂ© qu’un parcours acadĂ©mique avant titularisation. Ne restez pas bloqué·e dans la boucle de « Na Na Na » (source).