Publier tôt ou publier trop tôt, telle est la question





12 juin 2020 /// L’actu des labos
Sauver
les meubles

C’est ce que les chercheurs font depuis des années maintenant. A chaque mesure qui ampute un peu de leur liberté dans leur travail.
C’est ce que s’apprêtent à faire les enseignants, et c’est ce que dénonce Pérola Milman dans sa dernière tribune sous forme de lettre à ses collègues.
Et si c’était le moment de repenser les missions l’enseignement supérieur et la recherche de fond en comble ?
Bonne lecture,
Lucile
PS. Lundi, vous serez les heureux (on l’espère) destinataires de notre troisième newsletter : BeyondLab. pour parler ensemble innovation et carrière.


Si vous n’avez que 30 secondes

• A partir de quand peut-on parler de ses recherches ?
Samuel Alizon fait la grève des journalistes et nous explique pourquoi
• Une base de données du peer review
• Combien d’entre vous s’intéressent à la LPPR
• Votre revue de presse express



A partir d’ici 4′ de lecture sans meubler.


L’info n’attend pas 


Communiquer sur ses résultats avant publication est de plus en plus fréquent. Mais à quel moment exactement tôt est trop tôt ?


Mais non vous n’êtes pas en retard

La baisse de la pollution durant le confinement, tout le monde en a parlé. La physicienne Cathy Clerbaux a reçu beaucoup de demande d’interviews à ce sujet. Elle et son équipe ont en effet très vite observé une diminution des polluants dans l’atmosphère – dès janvier en Chine. Devant l’intérêt des journalistes et de la population, ils ont mis en ligne leurs résultats tout chauds – les cartes montrant la présence des polluants avant/après confinement.
Communiquer avant de publier – “pre-publication communication” dans la langue de Lewis Carroll – est sujet à polémique, encore plus depuis quelques mois. Il y a deux ans, des chercheurs américains et canadiens amorçaient une réflexion sur le sujet et identifiaient cinq inquiétudes principales :

  • La politique de l’employeur. Le comité d’éthique du CNRS (pour ceux qui en dépendent) ne dit rien à ce sujet…
  • L’incertitude sur les résultats. Une solution possible : donner le niveau d’incertitude.
  • Mettre en péril une future publication. Beaucoup d’éditeurs affirment qu’une communication à la presse ne gênera pas la publication d’un article.
  • Publier sans peer-review est contraire à l’éthique. C’est surement le point le plus sensible, surtout après l’affaire Raoult, mais au final c’est le cas pour tous les preprints.
  • La peur de se faire doubler. On n’acquiert pas des données du jour au lendemain.

Dans le cas de Cathy Clerbaux, les données sont publiques – la sonde IASI est sur un satellite européen – mais très difficiles à analyser. Sa crainte de se faire doubler était donc modérée : « Les quelques autres chercheurs qui connaissent la méthode sont déjà bien occupés en ce moment. », nous raconte-t-elle. Et pour la publication dans une revue ? « Nous voulions attendre la fin du confinement pour observer le retour de la pollution. » Un article complet est en préparation, avec l’interprétation des résultats qui elle n’a pas été communiquée. « Ne pas rendre les cartes publiques auraient vraiment été maladroit. », nous confie la chercheuse. En plus, cette initiative, qui est le fruit d’un travail collectif au sein de son équipe de onze personnes, a donné un sens au confinement : « c’était notre but commun ».


Un chiffre plutôt qu’un long discours
deux sur trois
C’est la proportion des chercheurs qui suivent l’actualité politique et sociale de leur métier d’après notre grande enquête #ParlonsRecherche. Nicolas Moron, doctorant en 2ème année à CentraleSupélec’, déplore au contraire le manque d’intérêt de ses collègues : « J’ai été surpris qu’autour de moi, dans mon labo et sur le campus, presque aucun chercheur ne connaissait la LPPR ». A vous de les convaincre de lire TheMetaNews, on se charge du reste


Dans votre boîte à outils
Des revues en toute transparence


Responsible Journals, c’est une toute nouvelle base de données du peer review. Presque 400 journaux de toutes disciplines y sont répertoriés avec comme info : relecture avant ou après publication, sur quels critères, anonymisation des referees et/ou des auteurs… Un bon outil pour tous, financé par l’organisation néerlandaise de la recherche médicale.


Des infos en passant //////// Le consortium Couperin lance tout juste une enquête sur les pratiques documentaires des chercheuses et chercheurs //////// Des propos sexistes dans un essai publié – depuis retiré – par la société allemande de chimie a entraîné des démissions et une dénonciation par la prix Nobel Frances Arnold //////// Des infos minimum à fournir en cas de retrait d’un article dans Nature ////////


//////// La consultation de l’Unesco sur l’open science (on vous en parlait en mars, elle se termine le 15 juin) est apparemment trop compliquée, Ouvrir la science a produit un guide pour vous aider à y répondre //////// L’augmentation des revues en open access analysée par une étude parue dans PLOS //////// eLife s’engage à embaucher plus de scientifiques noirs //////// Ira, ira pas ? Un rassemblement anti LPPR est programmé à Paris ce vendredi 12 juin alors que tous ceux de plus de dix personnes sont en principe toujours interdits //////// 

Trois questions à… Samuel Alizon
« C’est la bataille de l’opinion publique qui va se jouer »


Extrêmement sollicité depuis la crise du Covid-19, l’épidémiologiste Samuel Alizon prône une grève de l’expertise pour alerter l’opinion publique.


Donc, vous refusez de parler aux journalistes depuis lundi Oui, j’ai dû refuser cinq ou six sollicitations. Il faut savoir qu’en ce moment, chaque personne de mon équipe reçoit une à deux demandes par jour ! On s’est mis à travailler sur le Covid assez rapidement et il n’y a pas tant d’épidémiologistes que ça en France. Faire de la pédagogie fait partie de notre métier mais là on y passe une bonne partie de notre temps. Ce qui est paradoxal, c’est qu’on n’a rarement été aussi sollicités – surtout lorsque les ministres se sont rendu compte qu’on avait besoin de modèles épidémiologiques pour le déconfinement – et jamais été autant ignorés en politique.. 

Qu’est-ce qui vous choque le plus dans la LPPR ? Le manque de moyens ? Il y a déjà les 6 milliards d’euros du Crédit d’impôt recherche qui sont actuellement gâchés et qu’on pourrait utiliser [pour financer la recherche fondamentale, NDLR]. Mais c’est plus profond qu’une question de moyens. La LPPR casse la spécificité et la force du système de recherche français : pouvoir travailler dans la durée, avec des postes titulaires… Et c’est dans la continuité de ce qui se fait depuis vingt ou trente ans mais là il y a un saut qualitatif. Jusqu’à maintenant, ils se contentaient d’organiser la pénurie, maintenant ils veulent imposer une logique de la recherche à court terme. 

Comment organiser la mobilisation dans ce contexte ? C’est tout à fait cynique de la part du gouvernement de faire passer cette loi maintenant sans discussion alors que la mobilisation était en train de décoller et que les rassemblements sont encore interdits. C’est pourquoi j’ai proposé aux collègues qui ont une exposition médiatique d’attirer l’attention sur la LPPR. A l’époque de ma thèse, le mouvement Sauvons la Recherche avait marché en partie en montrant l’importance de la recherche fondamentale à la population. Je pense que la plupart des chercheurs sont convaincus mais ce qui va se jouer là – en plus des grèves et des manifestations – c’est la bataille de l’opinion publique.


Votre revue de presse express


Et pour finir…

La chaîne Youtube Loudwire s’est amusée à recenser les rockers qui ont un PhD. On appréciera la prestation bien gutturale du chanteur japonais de Sigh. Attention, ça pique les oreilles. Pour Brian May, vous saviez déjà n’est-ce pas ?