Thierry Damerval, PDG de l’ANR
La récente prix Nobel Emmanuelle Charpentier a dit en 2016 que si elle avait mené ses travaux en France, l’ANR ne l’aurait certainement pas financée. Qu’en pensez-vous ?
Votre question revient à demander si le financement sur projet permet l’innovation : un papier sorti dans Faseb a analysé les sources de financement de 70 prix Nobel décernés entre 2000 et 2010 donc pour des travaux ayant eu lieu 20 ou 30 ans avant. Difficile d’en tirer des conclusions très nettes même si les auteurs ont constaté plus de financement sur projets parmi les Nobel américains qu’européens. On peut donc dire que les deux systèmes permettent l’innovation.
Faire de l’appel à projet, n’est-ce pas copier le modèle anglo-saxon ?
Non, historiquement, le Japon ou l’Inde — qui a en fait abritĂ© la première agence de financement dès 1914 — ont Ă©tĂ© prĂ©curseurs, les Anglo-saxons n’en sont pas, loin s’en faut, les seuls promoteurs.
Comment et qui dĂ©cident de la façon dont sont ventilĂ©s les budgets des appels Ă projet gĂ©nĂ©riques de l’ANR ?
C’est la science qui définit les axes thématiques de l’appel à projets générique. Toutes les disciplines sont représentées, nous avons des comités de pilotage associant les parties prenantes (organismes, universités…) pour définir la structuration et la répartition des budgets et l’arbitrage final est effectivement rendu par le ministère. Quant à l’évaluation et la sélection des projets, cela relève totalement des comités scientifiques, c’est eux qui ont le dernier mot. La programmation de l’ANR était organisée sur la base des « défis sociétaux » avec un taux de succès qui était tombé en 2014 et 2015 sur l’APPG en dessous de 10% [Jetez donc un œil à cette datavisualisation, NDLR]. C’était difficilement tenable.
 « Arriver Ă 30% de taux de succès nous permettrait de nous rapprocher des Allemands ou des Suisses. »Â
Qu’est-ce qui a changé ?
Depuis trois ans, l’appel à projets générique (AAPG) n’est plus basé sur les défis sociétaux. C’est pour moi très important : cet AAPG représente 70% de nos crédits et cette mesure était très attendue par les chercheurs. De plus la description des attendus de cet AAPG était un document de 185 pages, nous l’avons considérablement allégé (30 pages) et il n’est plus du tout prescriptif. Nous le voulions “investigator driven”, à l’initiative des chercheurs. Cette philosophie sera maintenue et amplifiée : l’essentiel doit être libre et ouvert. Ce qui ne nous empêche pas de lancer des appels pour répondre à des besoins spécifiques, comme les challenges, Astrid et Astrid maturation avec l’Agence d’innovation défense les ans ou récemment celui sur les Sargasses, qui viennent s’échouer en masse sur les plages de Guadeloupe et de Martinique ou, encore plus récemment, sur le Covid.
Reste des taux de succès toujours bas.
Cette année nous serons autour de 17%, l’objectif est d’atteindre 30% à terme et de l’ordre de 23% dès l’année prochaine. Cela représente, avec le plan de relance, 403 millions d’euros supplémentaires pour l’Agence, une avancée de la loi Recherche. Mais quand on regarde nos collègues étrangers, 25% de réussite est déjà une bonne moyenne. Arriver à 30% nous permettrait de nous rapprocher des Allemands ou des Suisses.
Une chance sur quatre plutôt qu’une chance sur six, pour vous, ça va changer les choses ?
Oui, on le voit dĂ©jĂ dans certains comitĂ©s, comme celui des technologies quantiques, qui bĂ©nĂ©ficient dĂ©jĂ d’un (…)
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