TheMetaNews offrant un droit de réponse à ses lecteurs et lectrices concernant la newsletter BeyondLab sur le stockage du CO2, nous proposons une réponse collective qui vise à apporter un discours plus nuancé et plus interdisciplinaire sur ces technologies. Car cette newsletter, quoiqu’informative, a selon nous le défaut de reposer trop fortement sur le témoignage d’un chercheur employé de Total et celui d’une ingénieure chercheuse en géosciences, entièrement dénués de critique et reposant sur une vision partielle, purement technique du problème climatique.
Il y aurait évidemment une critique uniquement technique à faire de la mise au point et des risques liés aux technologies de stockage du carbone : les limites du stockage ont été mises en avant notamment dans le rapport de l’EASAC (European Academies Science Advisory Council) sur les « technologies d’émissions négatives » de carbone, qui comprend la capture et le stockage du CO2 atmosphérique, mais aussi d’autres solutions comme la reforestation. Datant de 2018, ce rapport conclut à un « potentiel réaliste limité » de ces technologies pour la réalisation de l’Accord de Paris. Rien ne laisse penser qu’elles seront au point dans les prochaines décennies, sans même parler de leurs potentiels impacts sur la biodiversité ou les terres arables.
À cette critique technique du stockage de carbone, on peut déjà ajouter une critique économique. Les analyses comparatives (voir ici et là) montrent en effet qu’à l’heure actuelle, la plupart des options de capture et stockage du CO2 ont un coût largement supérieur à celui des options de réduction des émissions, notamment les actions d’efficacité énergétique et de transition vers les énergies renouvelables.
Cependant, plutôt que de se focaliser sur ces arguments, notre réponse vise à mettre en avant les aspects politiques de la mise en œuvre de solutions techniques à la crise climatique en cours. Car si les technologies de stockage ont réussi à s’imposer dans l’écrasante majorité des scénarios étudiés par le GIEC dans son dernier rapport, malgré les doutes sur leur faisabilité et leur viabilité économique, c’est avant tout grâce à leur promesse de maintenir le fonctionnement « business as usual » de nos sociétés. Le regard des sciences humaines et politiques permet ainsi de voir que le stockage du carbone empêche nos sociétés de se défaire de leur
dépendance aux énergies fossiles.
« Plutôt qu’un bien commun de l’humanité, le stockage est donc un leurre dangereux, fournissant une excuse pour ne pas atténuer nos émissions. »
C’est le sens de la tribune co-écrite par l’ancien président du GIEC Robert Watson et d’autres collègues, récemment parue dans The Conversation. Tous climatologues et non experts de sciences humaines et sociales, ces scientifiques se livrent pourtant à une critique des technologies de capture et stockage du CO2 qui repose en grande partie sur des arguments (géo)-politiques. Le constat est simple : même si ces technologies présentent en théorie un potentiel immense de réduction du carbone atmosphérique, elles sont en réalité instrumentalisées dans le cadre des négociations climatiques pour minimiser la nécessité d’engager par ailleurs de profonds changements sociétaux permettant une baisse des émissions de CO2 mondiales. Plutôt qu’un bien commun de l’humanité, le stockage est donc un leurre dangereux, fournissant une excuse pour ne pas atténuer nos émissions.
En gagnant une place prépondérante dans les modélisations du climat et dans les négociations internationales, ces technologies de capture du CO2, encore très hypothétiques, ont eu l’effet indirect mais bien réel, lui, de réduire les débats portant plutôt sur les moyens bien connus de réduire rapidement et drastiquement les émissions de CO2 : transition vers 100% d’énergies renouvelables, changement des pratiques agricoles, efficacité énergétique, sobriété volontaire, etc. Ce constat n’est pas seulement fondé sur le retour d’expérience de quelques climatologues ayant assisté aux négociations internationales : il s’appuie aussi sur des travaux de recherche en sciences humaines, qui suggèrent qu’informer les individus au sujet des technologies de stockage amoindrit leur perception des risques associés au changement climatique, ainsi que leur soutien à des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
La chimère de la capture du CO2 participe en outre à ce paradoxe de vouloir réguler la question climatique par le bout de tuyau (le CO2, donc) sans jamais questionner l’amont (l’extraction des combustibles fossiles). C’est ce type de logique, imposée sous la pression des intérêts pétroliers, qui permet d’aboutir à un accord international sur la limitation du réchauffement climatique, l’Accord de Paris, qui réussit l’exploit de ne pas contenir une seule occurrence des termes “pétrole”, “charbon” ou “fossiles”.
En somme, le discours globalement enthousiaste de la newsletter BeyondLab sur le stockage du CO2 doit être tempéré. Ces technologies, qui n’existent pas aujourd’hui à l’échelle industrielle, suscitent des interrogations sur leur viabilité technique et économique, ainsi que des inquiétudes concernant leurs effets délétères sur les politiques d’atténuation. Souvent présenté comme indispensable pour compenser des émissions dites « incompressibles », le stockage tend à devenir une parade à toute velléité de transformation de nos industries et de nos modèles économiques.
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