Savoir se fondre entre deux disciplines
BinĂ´me. Commençons par une Ă©vidence : les recherches en sciences complexes allient gĂ©nĂ©ralement plusieurs disciplines : « l’une formelle apporte des connaissances en modĂ©lisation, comme les maths ou l’informatique, l’autre appliquĂ©e, typiquement un domaine qui rĂ©sistait Ă modĂ©lisation, comme la biologie, la santĂ© ou l’urbanisme », dĂ©taille Pablo Jensen, physicien de formation, aujourd’hui sociologue de cĹ“ur.
Universel. Mais entre un physicien et un économiste, la communication peut s’avérer difficile. Paul Valcke navigue entre les deux au sein de l’Environmental Justice Program : « Un même mot peut vouloir dire des choses différentes. Faire la traduction est un vrai boulot. » Le langage mathématique devient alors un moyen de communiquer.
RĂ©inventer l’eau tiède. « La physique apporte le quantitatif et les liens causals, mais les rĂ©sultats ont-ils bien du sens en Ă©conomie ? » En effet, les chercheurs de sciences dites “dures” sont parfois tentĂ©s de (re)crĂ©er des modèles sans prendre connaissance de l’existant dans la discipline. Une application sans recul des outils de physique qui n’est souvent ni efficace, ni respectueuse des sciences humaines (voir notre interview â–Ľ).
Tournure politique. Elle peut mĂŞme ĂŞtre parfois fausse. Par exemple, le modèle de Thomas Schelling prĂ©dit une sĂ©grĂ©gation totale entre Blancs et Noirs de l’autre… bien que chaque individu veuille plus de mixitĂ©. « A trop avoir confiance dans le modèle, on en conclut qu’il n’y a rien Ă faire, que le rĂ©sultat est une fatalitĂ© », alerte Pablo Jensen.
La richesse du quali. Pour Pablo Jensen, il s’agit « d’un impĂ©rialisme des sciences de la matière qui s’attaquent aux sciences sociales. » Et pour s’en rendre compte, il faut se pencher au cĹ“ur de la sociologie, avec des sociologues : « au final leurs descriptions sont souvent plus riches et plus pertinentes que les modèles ».
Outils indispensables. Faut-il alors s’abstenir de modĂ©liser ? Non, car mĂŞme s’ils sont rĂ©ducteurs, les modèles « mettent Ă l’Ă©preuve notre manière de pensĂ©e et permettent de nous amĂ©liorer », nuance Pablo Jensen. En Ă©conomie, le modèle dĂ©veloppĂ© par The Limits to Growth (relire notre numĂ©ro sur la croissance) a apportĂ© un tout nouvel Ă©clairage.
Animorphs. Reste alors Ă devenir un scientifique hybride, comme en tĂ©moigne Paul Valcke : « En sciences complexes, on a une connaissance approximative de tout. Dans l’idĂ©al, il faudrait qu’on ne soit plus du tout spĂ©cialisĂ© ni monodisciplinaire. Le champ des systèmes complexes peut d’ailleurs ĂŞtre vu comme une rĂ©ponse Ă la surspĂ©cialisation de la recherche. Mais le chercheur reste en règle gĂ©nĂ©rale une bĂŞte spĂ©cialisĂ©e ! » |