Un collectif de chercheurs regrette la disparition de la recherche du débat public en France et interpelle les politiques (et les journalistes).
Depuis quelques années, le malaise grandissant chez les chercheur·se·s s’exprime régulièrement dans les colonnes de nos journaux. À coup de tribunes, nos prix Nobel alertent l’opinion sur l’effondrement des crédits publics et les nouvelles générations de chercheur·se·s exposent leur détresse face à la précarité de leur carrière. Paradoxalement, l’ensemble du spectre politique semble s’accorder sur ce constat. En février 2019, à l’occasion des 80 ans du CNRS, Édouard Philippe annonçait en grandes pompes le démarrage de longs travaux pour réformer le financement de la recherche grâce à une Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR). Le président de la République invitait même à l’Élysée quelques dizaines de chercheur·se·s pour les assurer de l’engagement de l’État en mars 2019. Plusieurs mois plus tard, lors de l’examen de cette même loi (rebaptisée LPR), les oppositions aussi diverses que le Parti Communiste et les Républicains se rejoignaient sur le fait que la loi n’était pas assez ambitieuse. Le consensus paraît donc total : il faut réinvestir dans la recherche, et massivement !
« Il est grand temps de sortir des formules creuses (…) et d’entrer dans le concret des mesures budgétaires »
Pourtant, nous sortons d’une campagne présidentielle durant laquelle le sujet a brillé par son absence de l’espace médiatique. Ce silence semble d’autant plus étonnant qu’il intervient à la suite de deux années de pandémie, lors desquelles l’importance de la recherche a été rappelée à l’envi par la plupart des acteurs politiques. Seuls de rares médias spécialisés (ici et là) ont traité le sujet pendant la campagne. Alors que la campagne des législatives est désormais lancée, la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) est en attente d’un retour du sujet au sein des programmes et l’espace médiatique.
Nous appelons donc les journalistes et les politiques à se saisir enfin de ces questions pour qu’elles soient remises en centre du débat. Si la technicité des sujets de recherche peut inquiéter, de nombreux aspects restent accessibles au plus grand nombre : les questions budgétaires sont communes à de nombreux secteurs de l’action publique et méritent une véritable exposition médiatique. En particulier, il est grand temps de sortir des formules creuses et convenues sur le caractère “essentiel” que revêt le maintien de “l’excellence” de la recherche tricolore, et d’entrer dans le concret des mesures budgétaires. Un véritable intérêt pour ces questions remettrait en perspective les artifices de communication du précédent gouvernement qui a présenté un réinvestissement “historique” de 25 milliards d’euros effectué à l’occasion de la LPR. Ce chiffre trompeur cumule les augmentations de budget étalées sur dix ans, dont l’essentiel du fardeau (97 % !) devra être supporté lors des huit années à venir, sans que l’inflation soit prise en compte. Il nous apparaît donc important de détailler précisément ces engagements.
« Si le salaire des doctorant·e·s a été augmenté, une part toujours non négligeable n’a pas de contrat de travail »
Pour entrer dans le concret de la vie des jeunes chercheur·se·s, certain·e·s d’entre nous avions déjà décrit nos conditions de travail dans une tribune lors de l’annonce de la LPR en février 2020. Nous y décrivions entre autres l’effondrement (division par deux) des recrutements lors des vingt dernières années, la précarité de nos contrats courts mais aussi la dégradation des conditions d’enseignement dans les universités. Deux ans plus tard, la situation des jeunes chercheur·e·s ne s’est pas améliorée. Si le salaire des doctorant·e·s a été augmenté, une part toujours non négligeable n’a pas de contrat de travail pendant une partie de leur thèse. La précarité les attend toujours à la fin du doctorat : l’enchaînement des CDD est toujours la norme et les perspectives d’emplois pérennes ne se sont pas améliorées, comme en témoignent les dernières campagnes de recrutement. Quant à la rémunération en début de carrière, elle reste largement inférieure à celle pratiquée dans de nombreux pays (37% inférieure à la moyenne de l’OCDE pour un·e maître·sse de conférence) et à celle du privé pour un tel niveau d’étude. En effet, les revalorisations annoncées ne concernent que très peu de cas dans la pratique.
« Nous demandons des réponses détaillées »
À l’image des dix questions concrètes posées par TheMetaNews aux candidat·e·s à l’élection présidentielle, nous demandons des réponses détaillées aux questions suivantes : comment le nouveau gouvernement compte-t-il limiter l’enchaînement de CDD des jeunes chercheur·se·s après le doctorat ? Combien de postes de chercheur·se·s et d’universitaires seront ouverts au cours des cinq années à venir, et avec quel statut ? Quelles actions seront mises en place pour donner aux jeunes chercheur·se·s titulaires les moyens de financer leur travaux au début de leur carrière sans passer par des appels à projet chronophages ? Quelle politique de réévaluation salariale sera conduite ?
Il en va de la responsabilité de chaque acteur·rice du débat public – journalistes, partis politiques, syndicats, chercheur·se·s – de redonner à la recherche la place qu’elle mérite dans notre société.
Co-auteur·rices (par ordre alphabétique) :
Dr. Hugo Doré, chercheur contractuel en écologie microbienne
Dr. Nina Marchi, chercheuse post-doctorante en anthropologie génétique
Dr. Arthur Michaut, chercheur post-doctorant en biophysique du développment embryonnaire
Dr. Arnaud Raoux, professeur agrégé à l’université en physique
Dr. Maxime Trebitsch, chercheur post-doctorant en astrophysique
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