MDPI et consorts, des éditeurs dans la zone grise

Prédatrice pour certains, opportunité de publication sans égale pour d’autres, la maison d’édition MDPI explose ses scores de publication mais reste un sujet de questionnement pour la communauté académique.

— Le 17 novembre 2022

Avez-vous encore reçu cette semaine un email de MDPI ou de Frontiers vous proposant de contribuer à un numéro spécial ? Si ce n’est pas le cas, vous avez de la chance car certains de vos collègues ne sont pas épargnés, avec parfois plusieurs sollicitations par semaine de la part de ces éditeurs aux méthodes douteuses, et ce depuis des années. « En 2010, nos collègues chercheurs ont commencé à recevoir de tels emails et nous ont demandé conseil », se souvient Cécile Fovet-Rabot qui travaille au sein de la délégation à l’information scientifique et technique (DIST) du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Après avoir commencé à répondre aux interrogations des chercheurs via un forum sur l’intranet de l’organisme, la rubrique sur les éditeurs douteux a très rapidement grossi, débouchant finalement sur la publication d’un rapport se concentrant sur la maison d’édition MDPI en juin dernier.

Double face. Surfant sur le “publish or perish”, souvent « contre toute intégrité et fondement de ce qu’est la recherche scientifique » selon Cécile Fovet-Rabot, MDPI fait partie de ces maisons d’édition aux pratiques plus que questionnables – pour reprendre les termes de l’InterAcademyPartnership – mais toutefois difficilement catégorisables parmi les revues prédatrices, nous vous en parlions en 2019 des débats autour de leur définition. « MDPI appartient à la “zone grise” de l’édition scientifique et les avis divergent fortement à leur sujet. Certains chercheurs adorent publier dans leurs revues, d’autres ne les supportent plus », explique-t-on à la DIST du Cirad. Bien pratique pour les chercheurs pressés, le délai de publication très court – quatre semaines en moyenne – éveille les soupçons quant à la qualité du peer review. Le taux d’acceptation affiché par MDPI – la moitié des articles soumis sont acceptés pour publication – le différencie cependant d’un éditeur réellement prédateur qui n’effectuerait aucune sélection : pourquoi perdre de l’argent ?

« Pour certains chercheurs, les “special issues” de MDPI sont devenues indispensables »

Cécile Fovet-Rabot, DIST du Cirad

Dans l’ombre de l’open science. Maison d’édition suisse créée en 1996 par Shu-Kun Lin, docteur d’origine chinoise, Multidisciplinary Digital Publishing Institute (MDPI) se targue d’être la première maison d’édition tout en open access. Un modèle de vertu ? À y regarder de plus près, leurs revues fonctionnent exclusivement sur le modèle “gold” dans lequel les auteurs paient des frais de publication ou APC (Article Processing Charge) pour que leurs articles soient en accès ouvert – entre 1200 et 2500 francs suisses par article, un franc suisse valant pratiquement un euro aujourd’hui. 

Plein les poches. Depuis une dizaine d’années, ses profits explosent grâce à une croissance effrénée des publications : leur nombre annuel a été multiplié par 45 entre 2008 et 2018 jusqu’à dépasser 255 000 en 2022 au 15 novembre, correspondant à un total cumulé d’articles publiés par MDPI approchant le million ! La maison suisse se rapproche donc du géant de l’édition tel Elsevier qui publiait en 2021 plus de 600 000 articles dans ses 2700 revues. Plusieurs chercheurs estiment les revenus de MDPI provenant des APC autour de 200 millions de dollars en 2020 (ici et ). Entre 2017 et 2020, le Cirad avait consacré 12% de ses dépenses en frais de publication à MDPI, correspondant à 64 000 € pour 45 articles.

En quête de notoriété. Cells est devenue l’une des revues phare dans l’offre éditoriale de MDPI. Pour les biologistes, son nom évoque immédiatement la très prestigieuse revue Cell de chez Elsevier dans laquelle tous rêvent de publier, avant même Nature ou Science. Fortement suspectée d’être prédatrice à son lancement, la revue de MDPI affiche aujourd’hui fièrement comme gages de qualité un facteur d’impact supérieur à 7 et son recensement dans PubMed, LE moteur de recherche de la discipline, géré par une agence gouvernementale américaine. Prédateur ou non ? Les indices contradictoires sèment la confusion dans l’esprit des chercheuses et chercheurs.

Copinage. La spécificité de MDPI et de ses camarades éditeurs douteux comme Frontiers est qu’une large majorité des articles sont publiés dans des “special issues”. Au sein d’une revue, ces numéros thématiques sont sous la responsabilité de “guest editors” qui, en plus des tâches habituelles telles que sélectionner les reviewers et suivre le processus de peer review, sollicitent leurs confrères pour soumettre leurs manuscrits et peuvent y publier facilement leurs propres articles. Selon son rapport annuel, MDPI comptait plus de 115 000 “guest editors” en 2021, auxquels ils confèrent de petits avantages tels que des réductions sur les frais de publications. « Ces entreprises ont réussi à instaurer une relation de fidélisation, voire de vassalité. Pour certains chercheurs, elles sont devenues indispensables », analyse Cécile Fovet-Rabot. Certains “guest editors” honnêtes réagissent tout de même – ceux de Frontiers témoignent ici

« MDPI et Frontiers communiquent peu (pour ne pas dire pas) sur PubPeer »

Guillaume Cabanac

Parasitage. Le fonctionnement de ces éditeurs crée un terrain de jeu parfait pour les “paper mills”, ces entreprises qui vendent aux chercheurs une place d’auteur sur un article déjà écrit et accepté dans une revue, prêt à être publié. Le chercheur Guillaume Cabanac retrouve en effet des “phrases torturées” caractéristiques d’articles générés par des robots et souvent présentes dans les productions des “paper mills” dans de nombreuses publications des éditeurs de la zone grise et les signale sur PubPeer : voici la liste de signalements pour MDPI et pour Frontiers. Sans vraiment de réaction : « Contrairement à IOP Publishing [maison d’édition britannique en physique dont voici un exemple de signalement, NDLR], ces deux éditeurs communiquent peu (pour ne pas dire pas) sur PubPeer. Pourtant les posts PubPeer mériteraient réévaluation des articles… », regrette le chercheur toulousain – à relire en interview avec Cyril Labbé dans TMN.

Technique de l’autruche. Les maisons d’édition sont-elles complices ? C’est ce que laisse entendre Leonid Schneider dans son récent billet où il raconte comment un chercheur allemand devenu “guest editor” pour une “special issue” de MDPI s’est vu proposer de 500 à 800 dollars par article pour les accepter sans peer review ni évaluation. Son signalement à l’éditeur en chef de la revue chez MDPI serait resté lettre morte, peut-on lire sur son blog For Better Science. Mais ceci n’est qu’un exemple. Étant donné la quantité de commentaires pointant des publications de MDPI sur PubPeer et d’articles rétractés – dont un certain nombre pour problème de peer review comme le montre la base de Retraction Watch –, il semble difficilement imaginable que la direction de la maison d’édition ne soit pas consciente du problème. Elle n’a en tous cas pas souhaité répondre à nos questions.

Intimidant. MDPI reste ainsi toujours enveloppée d’un sentiment de malaise dans le monde académique. Si elle n’a figuré qu’une courte année, entre 2014 et 2015, dans la liste des éditeurs prédateurs de Jeffrey Beall – qui n’a d’ailleurs jamais fait l’unanimité –, c’est certainement grâce à sa communication, souvent perçue comme agressive. La fermeture en 2017 de la fameuse liste de Beall a également marqué les esprits : des pressions sous la forme de menaces de poursuites judiciaires envers l’université du Colorado qui l’hébergeait en seraient à l’origine. Les établissements préfèrent donc, encore aujourd’hui, rester prudents et ne jamais attaquer frontalement MDPI, tout comme Frontiers. Afin d’améliorer les pratiques des revues, certains chercheurs comme le sociologue américain Jerry Jacobs plaident pour une transparence absolue des éditeurs, notamment sur la durée du peer review et le taux d’acceptation des articles. Un sujet sur lequel MDPI possède encore une bonne marge de progression.

Publier ou non chez MDPI ?

Finalement, que recommandent les établissements français ? Même si de la bonne science y est publiée, la DIST du Cirad considère que MDPI ou Frontiers sont des maisons d’édition de faible qualité et conseille aux chercheurs de privilégier d’autres éditeurs, sans aucune obligation : « Nous les renvoyons au rapport afin qu’ils se fassent leur propre opinion », explique Cécile Fovet-Rabot. Constatant également une forte augmentation du nombre de publications chez MDPI parmi ses chercheurs, l’Inrae consacre une page à la maison d’édition suisse dans sa récente fiche à destination des chercheurs en alertant sur les pratiques questionnables sans toutefois classer MDPI dans la catégorie des prédateurs.

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