Arrivée au port. Beaucoup d’appelés et assez peu d’élus. Un an après la mise en place du Régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs (RIPEC) voulu par la loi recherche, l’heure est à un premier bilan… et déjà à un remaniement de ce système de prime échelonné en trois parties. Avec une prime statutaire dite C1 (700 euros en 2023) et une autre fonctionnelle dite C2 (de 6000 à 18000 euros mensualisés), récompensant les activités annexes des chercheurs et enseignants chercheurs, les deux premières n’ont pas fait de vagues. Reste la dernière, de loin la moins consensuelle : une prime d’excellence qui ne dit pas son nom : la C3, minimum 3 500 euros et maximum 12 000 euros. Celles et ceux qui ont rempli ou analysé des dossiers de collègues au premier semestre n’en gardent pas tous un souvenir béat.
« Beaucoup de temps pour remplir les dossiers [et les] évaluer, en termes de bureaucratie chronophage inutile, on atteint des sommets »
Un témoignage anonyme
Mille feuille excellent. C’est donc la C3 qui a fait la plus parler d’elle en 2022 : ce super bonus a succédé à la prime d’encadrement doctoral et de recherche (PEDR), en place depuis les années Jospin pour récompenser, comme son nom l’indique, le suivi de thèse ou des travaux de recherche particulièrement en vue. Avec un principe clair (et profondément inégalitaire avec le recul) : pour l’obtenir, encore fallait-il la demander et être au courant de son existence. Cette politique de guichet entraînait une sous représentation des maîtres de conférence et des femmes, comme le décryptait quelques mois avant son enterrement cette note du ministère. À noter que la PEDR perdure aujourd’hui à l’hôpital (sans explication rationnelle), ainsi que dans certains cas de « super excellence », comme celui des détachés à l’Institut universitaire de France.
Comitologie. À nouvelle prime, nouvelle méthode ? Pas vraiment. « C’était pourtant une de nos revendications essentielles, que nous avons portée encore à l’été 2022 », regrette Boris Gralak, secrétaire général du syndicat SNCS. Bien que destinée potentiellement à tous (et toutes, donc) la C3 ne change pas la donne dans sa philosophie : pour l’obtenir en 2022, il fallait la demander — et donc se sentir légitime de le faire — puis remplir un dossier conséquent soumis à la fois à sa section disciplinaire du Conseil national des universités (CNU) pour les universités (voir encadré pour le CNRS et consorts) et à un comité académique restreint au sein de son établissement. Charge à eux de rendre à la direction de l’établissement chacun trois notes, six au total donc, sur la performance des impétrant·es en termes d’enseignement, de recherche et de service rendus à « l’intérêt général ». La direction ayant le dernier mot sur leur distribution et leur montant. Au risque évident de déplaire.
« Mon CNU m’a notée C en pédagogie : j’ai été ravie d’apprendre que j’étais une mauvaise maîtresse de conférence »
Un témoignage anonyme
Unanimité. Dans leur principe même, ces primes nouvelles génération n’ont pas remporté une adhésion pleine. Malgré des sommes parfois conséquentes, leur montant ne suffit pas à combler le différentiel avec les autres fonctionnaires de catégorie A et, au grand dam des syndicats, ces augmentations n’ont pas été obtenues en points d’indice, c’est-à-dire de manière plus pérenne et plus favorable au calcul des retraites. Parmi les témoignages que nous avons recueillis et anonymisés (mais aussi sur Twitter à la face du monde), beaucoup de chercheurs ont eux aussi la dent dure : « beaucoup de temps passé pour remplir le dossier, beaucoup de temps passé par les sections et autres instances pour évaluer les dossiers… en termes de bureaucratie chronophage inutile, on atteint des sommets (…) d’une part tout le monde n’était pas nécessairement au courant au moment opportun (…) et, cerise sur le gâteau, tout le monde ne l’a pas eu, forcément ».
De la tubulure. Allons donc faire un petit tour dans « l’usine à gaz » dénoncée par le PDG du CNRS Antoine Petit en juillet dernier, ainsi qu’en termes plus feutrés par France Universités. Une fois rassemblé et transmis dans les temps – ce qui selon les témoignages peut prendre jusqu’à deux jours – le dossier passe à l’examen des pairs du CNU et d’un comité académique au sein de l’établissement. Sylvie Bauer, présidente du CP-CNU peut en témoigner : « Nous avons reçu un nombre de dossiers faramineux, avec des sections comportant plus de 700 dossiers à examiner, qui remontent à quatre ans sur l’activité des candidats. Ça prend évidemment beaucoup de temps ». Une fois l’examen réalisé, reste à décerner les notes (généralement A, B ou C pour l’année 2022), qui serviront aux directions d’établissement pour statuer sur les primes.
« Je vais faire un recours auprès de la présidence (…) j’ai été étonné de l’évaluation des différents critères »
Anna Colin-Lebedev, sociologue
Sur le carreau. Si les “gagnants” sont évidemment plus discrets — c’est le jeu —, les mécontents de la C3 pointent un système parfois cruel pour leur parcours académique : « J’ai eu trois « très favorables » (et une appréciation élogieuse) du CNU et trois « réservé » en interne (sans aucune appréciation). Et il s’avère que les rapports internes qui ont permis au Comité académique de délibérer sont truffés d’erreurs », nous confie un confrère. « Mon CNU m’a notée C en pédagogie : j’ai été ravie d’apprendre que j’étais une mauvaise maîtresse de conférence après huit ans à la direction des études de mon Institut d’études politiques (IEP) et dix ans à la tête d’un master ». Même bien notés, le sentiment d’injustice ne s’éteint parfois pas pour autant. Car parmi des dizaines ou des centaines d’excellents confrères, les présidences d’établissement ont dû trancher dans le vif.
IA faible. Cette collègue du Sud de la France en témoigne : « En fait, l’établissement a décidé d’un algorithme… parce qu’il fallait bien décider : nous avions en fait affaire à une PEDR bis où la recherche primait sur le reste. Nous sommes tombés des nues que l’investissement pédagogique ne soit pas valorisé ». Autre exemple, « À l’université du Havre, pour avoir la Ripec, il fallait avoir deux A dans le même item (pédagogique/scientifique/investissement) ce qui fait qu’un dossier avec 2 A et 4 C pouvait avoir le Ripec et un dossier avec 3A et 3B pouvait ne pas l’avoir », témoigne un autre enseignant chercheur, fort marri. Pour certains, l’heure des recours est donc arrivée, d’autant que les dossiers d’évaluation sont logiquement publics à condition d’être demandés.
« Nous avons reçu un nombre de dossiers faramineux avec des sections comportant plus de 700 dossiers à examiner »
Sylvie Bauer, CP-CNU
Sur appel. C’est notamment le cas d’Anna Colin-Lebedev (Paris Nanterre), chercheuse très exposée médiatiquement depuis le début de la guerre en Ukraine, car spécialiste des sociétés post soviétiques : « Je vais faire un recours auprès de la présidence, je ne conteste pas la non attribution de la prime, certains sont peut être plus méritants que moi, mais j’ai été étonnée de l’évaluation des différents critères : « très favorable » en pédagogie « favorable » en recherche mais « réservé » sur l’item intérêt général alors que parler au grand public fait partie de mes missions. Je le fais depuis plusieurs années, y compris avant la guerre en Ukraine ». La notion d’intérêt général — comme les autres items — peut en effet grandement varier d’un établissement à l’autre. C’est le prix de l’autonomie.
Revoir la copie. Comme toute sélection, la C3 a donc ses biais et ses insuffisances. D’après un premier bilan publié en novembre (un autre plus complet avec les montants perçus est attendu fin janvier), les nombres de femmes d’un côté et de maîtres de conférence de l’autre ont bel et bien augmenté durant ce cru, sans pour autant atteindre l’objectif fixé. Au total, un quart des chercheurs et un peu moins d’un tiers des enseignants chercheurs ont pu bénéficier des émoluments de la C3. Un chiffre qui ne pourra in fine qu’augmenter puisque la prime est valable trois ans ; l’objectif final est de 55% de bénéficiaires.
Retour vers le futur. Tout à ses promesses de simplification, le ministère de Sylvie Retailleau a également publié un texte de clarification, voire de retour en arrière, fin décembre. En 2023, l’ordre d’examen des dossiers redevient ainsi celui qu’il était pour l’ancienne PEDR : le CNU puis le Comité académique de l’établissement et les instances rendront un avis unique sur vos dossiers avant décision finale par la présidence. L’année de carence est également supprimée. La montée en charge de la RIPEC se faisant sur jusqu’en 2027, le nouveau régime a encore quelques années devant lui pour se faire pardonner ses erreurs de jeunesse.
CNRS et consorts ont choisi leur sort Pas plus ravis que les universités du fonctionnement de la part C3 en 2022, les organismes de recherche ont opté pour des politiques de distribution assez différentes. Si, selon nos informations, l’Inserm comme l’IRD ont opté pour une redistribution très égalitaire, à raison de 3500 euros par personne, le CNRS a décidé d’une politique légèrement plus “darwinienne” (comprenne qui pourra) en octroyant 3500 euros à tous ses ouailles, sauf à 5% d’entre eux, qu’on imagine être les plus méritants : le montant de leur prime est décidée par la direction générale. À l’autre bout de la chaîne alimentaire, l’Inria a lui décidé de dispatcher les montants selon les minimas et maximas légaux, de 3500 à 12000 euros. |