Cet article est le troisième d’une série sur les concours, librement accessible à tous ceux qui le souhaitent. Si vous n’êtes pas abonné·e et souhaitez recevoir les suivants cliquez ici.
Janvier donne habituellement le top départ de la période d’épluchage des candidatures aux concours de chercheurs et d’enseignants chercheurs. Qui seront les heureux élu·es auditionnés quelques mois plus tard ? Tout se joue actuellement. Les membres des jurys se réuniront du 4 mars au 5 avril pour le CNRS – le calendrier ayant été décalé cette année pour cause d’incertitude budgétaire –, en mars pour l’Inserm puis se succéderont ceux des autres institutions (re-téléchargez notre agenda du candidat). Catherine Schuster, directrice de recherche à l’Inserm et présidente de la commission intitulée “Immunologie, Microbiologie, Infection”, aura du pain sur la planche, comme l’an dernier : les membres de sa CSS auront quatre jours pour sortir la liste des auditionnés d’une vingtaine de noms à partir d’environ 70 dossiers.
« Ce n’est que le jour de la commission qu’on apprend l’identité des rapporteurs »
Catherine Schuster
Sur le grill. Pour chaque candidature à un poste de chargé de recherche de classe normale (CRCN), deux rapporteurs sont désignés en fonction de leur domaine d’expertise, afin de lire en détail le dossier (relire notre article à ce sujet) et faire un rapport. « Ils seront en quelque sorte les avocats du candidat », analyse Catherine Schuster. Les rapporteurs rédigent leur rapport de manière indépendante, sans se concerter, pour ne pas s’influencer l’un l’autre : « Ce n’est que le jour de la commission que tout le monde apprend leur identité : l’un présente, l’autre complète ». Leur rapport restera confidentiel, notamment par peur des recours.
Formation continue. Au CNRS, 41 sections disciplinaires et six commissions interdisciplinaires couvrent l’ensemble du large éventail scientifique de l’institution. À l’Inserm, ce sont sept commissions scientifiques spécialisées (CSS) qui occupent ce rôle. Chacune d’elle est composée de vingt à trente membres dont une moitié d’élus, une moitié de nommés – les nominations permettant notamment de combler les vides thématiques ou rééquilibrer la proportion homme-femme. Toutes et tous sont mandatés pour quatre ans. Arnaud Legrand, chercheur en informatique, fait partie de la section 6 du CNRS depuis l’été dernier. Ses motivations ? « Le sens du devoir : chacun doit prendre sa part. » D’autres membres mentionnent également une bonne occasion de se tenir à jour scientifiquement grâce à une meilleure connaissance de leur communauté.
« Il est rassurant de voir que quand on prend le temps, on peut bien faire ce travail de sélection »
Arnaud Legrand
AG de copro. Arnaud Legrand était plutôt enthousiaste lors des grandes journées de rentrée ayant réuni en septembre dernier dans les sous-sol du siège parisien du CNRS les presque 50 sections fraîchement renouvelées : « Évaluation qualitative, prise en compte des questions de science ouverte, d’intégrité scientifique, de genre et de handicap… j’étais content de constater que les attentes du CNRS étaient alignées avec les miennes. » Bien que les concours de recrutement ne représentent qu’une des missions des sections parmi d’autres comme le suivi des carrières ou la rédaction du rapport de conjoncture (kesaco ? les voici), l’un des premiers travaux auxquels elles se sont attelées était d’établir les procédures précises pour leur travail de jury. Au programme : gestion des conflits d’intérêts mais aussi grilles d’évaluation, forme des rapports ou règles de répartition des dossiers. « On le fait à partir des pratiques de la mandature précédente – dont certains membres sont restés – : on revoit, on amende… »
Pax academica. Un devoir pour la communauté qui représente une quantité de travail non négligeable, avec des déplacements pour certains. « Il faut compter quatre semaines sur place [à Paris], plus la préparation, donc au total environ deux mois dans l’année », affirme Catherine Schuster, qui habite Strasbourg. Même appréciation pour Arnaud Legrand, résidant à Grenoble : « Il est rassurant de voir que quand on prend le temps, on peut bien faire ce travail de sélection. » Dans sa section, chaque rapporteur lit au moins deux ou trois articles du candidat, en profite pour regarder si le code est disponible en accès ouvert… De manière générale, les membres de section disciplinaire témoignent d’un travail de qualité fait dans une ambiance sereine. Pour Catherine Schuster, « les discussions et les décisions sont collégiales ». « On se connait, on sait qu’on peut se faire confiance les un(e)s les autres », témoigne Arnaud Legrand.
« L’ambiance est marquée par l’exigence et la rigueur mais aussi par une certaine tension »
Pierre Pellenard
Bancs de la fac. Dans les universités, le recrutement des maîtres de conférences (MCF) diffère notablement, se faisant au niveau local avec un comité ad hoc pour chaque poste ouvert. « Les membres des comités ne se connaissent pas forcément », explique Pierre Pellenard, maître de conférences à l’Université de Bourgogne en géosciences, qui a participé à quelques jurys de recrutement. « L’ambiance est marquée par l’exigence et la rigueur mais aussi par une certaine tension, c’est normal étant donné les enjeux », complète celui qui entame par ailleurs son deuxième mandat au sein de la section 36 intitulée “Terre solide” du Conseil national des universités (CNU) dont les sections sont l’équivalence — sans tout à fait l’être — des sections disciplinaires du CNRS.
Faux jumeaux. Tout comme le Comité national du CNRS, le CNU se compose d’une cinquantaine de sections disciplinaires dont les membres, certains élus et d’autres nommés, assurent pour quatre ans plusieurs tâches. En font partie le suivi de carrière des enseignants chercheurs, l’attribution des primes et des fameux congés pour recherche ou conversion thématique (CRCT), ainsi que les avancements de grade. En revanche, le CNU n’a aucune prise sur le recrutement des enseignants chercheurs mais il garde, pour l’instant du moins (relire notre interview de Sylvie Bauer), la main sur la qualification qui, selon Anne Joulain fraîchement élue à la tête de la Commission Permanente du CNU (CP-CNU), garantit la qualité des candidats aux postes de MCF, certifie leur appartenance disciplinaire et protège des dérives locales. C’est également l’avis de Pierre Pellenard et de sa collègue Emmanuelle Vennin, présidente de la même section 36, qui ont à cœur de défendre une vision nationale du métier d’enseignant chercheur.
« Faire son dossier pour la qualification n’est pas toujours évident pour les jeunes docteurs »
Emmanuelle Vennin
Starting blocks. Pour décerner la qualification obligatoire pour candidater ensuite aux postes de MCF, les membres de chaque section CNU se réuniront fin janvier – dépôt des dossiers le 24 janvier 2024 pour ceux ayant soutenu entre le 24 novembre et le 12 janvier – avec évidemment moins de pression qu’un concours de recrutement en l’absence de quotas sur le nombre de qualifiés. Dans la pratique, environ trois quarts des près de 150 candidats l’obtiennent chaque année en section 36. Les échecs sont souvent causés par une insuffisance de pièces ou d’explications : « Faire son dossier pour la qualification n’est pas toujours évident pour les jeunes docteurs et nous restons à disposition des candidats qui n’auraient pas compris la raison de leur échec – celle-ci donnée de manière assez impersonnelle sur Galaxie », commente Emmanuelle Vennin. Si avoir une expérience d’enseignement n’est pas obligatoire « pour ne pas pénaliser les doctorants dont le type de contrat ne leur y a pas donné accès, nous leur demandons de bien expliquer leur vision de l’enseignement ». Enfin, quelques candidats à la qualif’ sont refusés par manque de publication mais ce point est de plus en plus contrôlé par les écoles doctorales, témoigne Emmanuelle Vennin.
Collégialité. Comment sont constitués les jurys locaux pour les postes de MCF ? Au sein des universités d’une certaine taille existent des Bureaux des commissions de proposition (BCP) par famille disciplinaire chargés de proposer un président et jusqu’à 20 jurés qui sélectionneront le candidat le plus adapté avec le moins de biais possibles. Emmanuelle Vennin, professeure à l’Université de Bourgogne, préside également au sein de son établissement le BCP pour les sections CNU 34 à 37. « La nomination du président est cruciale et peut donner une certaine coloration au jury », explique-t-elle. Alors qu’en interne, chacun peut avoir une vision différente des besoins en enseignement et en rechercher, la pluralité des jurés – 8 à 16 en général – assure quant à elle l’objectivité : « La plupart sont extérieurs à l’établissement. » Le classement des candidats est ensuite transmis au Conseil académique de l’établissement pour validation.
« Nous sommes complètement sortis de la dictature du métrique »
Guy Launoy
Priorités. Ces préoccupations éthiques se retrouvent également au sein des organismes de recherche. « Les conflits d’intérêts sont bien gérés par l’institution », estime Guy Launoy, président par intérim lors du jury de recrutement des chargés de recherche en 2023 ; le président de sa commission (la CSS 6 de l’Inserm) avait co-signé une publication avec un candidat. Or « si un membre du jury a publié avec un candidat ou fait partie du même labo, il ne peut pas présider et doit sortir lors des discussions concernant ce candidat », abonde Catherine Schuster, présidente d’une autre commission. D’où l’intérêt d’avoir une commission large car en pratique le nombre de jurés autorisés à participer aux décisions peut vite chuter. Après y avoir été sensibilisée via des formations internes, Catherine Schuster se dit vigilante aux questions d’intégrité scientifique et de parité – elle est requise parmi les membres de la commission mais pas parmi les candidats retenus, relire notre analyse au sujet des quotas – mais n’oublie pas l’essentiel : « L’expertise scientifique prime. »
Du quali. « Nous sommes complètement sortis de la dictature du métrique », constate Guy Launoy avec satisfaction. La sélection des candidats à auditionner se fait dans leur commission selon quatre grands critères : le cursus (avoir fait un postdoc hors de son labo de thèse), le projet scientifique (notamment les retombées attendues), l’animation (encadrement, participation à la vie collective) et la production. Les jurés attribuent une note pour chaque critère, complétée lors de l’audition par deux autres sur la qualité de la présentation et celle des échanges. « Durant les discussions suivant les auditions, on va être fortement influencé par le membre du jury qui prend la parole en premier. Que chaque membre ait une grille d’évaluation écrite permet d’éviter ces effets d’ancrage », explique Karim N’Diaye, ingénieur de recherche au CNRS qui s’est penché sur ces questions de biais de jugement lors de sa participation à un jury interne à l’Institut de la moelle épinière et du cerveau (ICM). Des règles sur l’ordre et le temps de parole entre les jurés peuvent également être mises en place pour compenser les disparités qui s’imposent assez naturellement. Car après tout, ces jurys sont constitués d’humains !
Jurys en cascade
« Le jury d’admission joue le rôle du contrôleur qualité », image Fabien Jobard, président de la Conférence des présidents du comité national (CPCN) qui regroupe la cinquantaine de présidents des sections disciplinaires et commissions interdisciplinaires du CNRS. Constitué par l’institut concerné (physique pour les sections de physique, SHS pour les sciences sociales, etc…) et présidé par le directeur ou la directrice de l’institut, ce jury, où siègent des membres de section choisis par l’institut, examine le classement (environ une dizaine de candidats pour typiquement 4 ou 5 postes) établi par le comité de section – nommé alors jury d’admissibilité – sur la base de la lecture des dossiers par deux ou trois rapporteurs, de l’audition d’un certain nombre de candidates et d’une délibération collective. Le jury d’admission peut à cette occasion décider de renverser un classement s’il estime que le travail en jury d’admissibilité a mal été fait, phénomène rare mais qui s’est notamment produit en section 36 en 2019 et en 2022. C’est alors souvent l’occasion de « lourds affrontements entre les directions d’institut et les sections, ces dernières estimant qu’elles ont fait un énorme boulot et longuement mûri leur décision », explique Fabien Jobard. À l’Inserm, c’est le conseil scientifique (CS) qui se réunit pour entériner les décisions des CSS. « Chaque président a 30 minutes pour défendre son classement. Le CS peut demander en quoi le dossier du candidat classé en huitième position a été jugé meilleur que celui en douzième position, il faut donc avoir tous les cas en tête », témoigne Catherine Schuster. Mais leur vision “macro” permet de juger de situations où un candidat serait retenu dans plusieurs sections pour le CNRS ou commissions spécialisées pour l’Inserm.