Votre dossier a un incroyable talent

Monter son dossier pour les concours : l’étape incontournable pour toutes celles et ceux qui se sont lancé·es dans ce parcours du combattant. Ex-candidats et membres de jury vous donnent leur conseils.

— Le 17 novembre 2023
Cet article est le second d’une série sur les concours, librement accessible à tous ceux qui le souhaitent. Si vous n’êtes pas abonné·e et souhaitez recevoir les suivants cliquez ici


La saison de rédaction des dossiers pour les concours va bientôt commencer ! Si vous vous êtes décidé·e à candidater et que vous avez trouvé votre équipe d’accueil – relire notre épisode 1 –, vous aurez à rendre un dossier assez conséquent début 2024. À quelles dates exactement ? Les concours CNRS ayant été reportés, vous n’aurez pas à boucler votre dossier entre les huîtres et la bûche mais pour le 9 février 2024. À l’Inserm, l’ouverture des inscriptions semble maintenue entre décembre et janvier. Quant aux concours Inrae, Inria et de maître·sse de conférences (MCF) – du moins pour la campagne dite “synchronisée” –, les inscriptions seront clôturées en mars. 

«  Les candidats pensent qu’ils doivent se mettre en avant et n’aiment en général pas cela »

Arnaud Legrand, CNRS

Des p’tites pièces. Le contenu du dossier ? Comme mentionné dans notre poster (comment ça, vous ne l’avez pas encore téléchargé et affiché dans tous les couloirs du labo ?), chaque concours a ses exigences mais certaines sont communes. Fonction publique oblige, des documents administratifs du type pièce d’identité, diplôme de doctorat (ou équivalent) et rapport de soutenance sont impérativement demandés. Vous devrez également fournir un CV, une sélection de vos meilleures productions scientifiques (publis, présentations…), ainsi – c’est là que ça se corse – qu’un résumé de vos activités précédentes et actuelles, accompagné de votre projet de recherche (et d’enseignement pour les postes de MCF).

Analytiquement vôtre. Son dossier de candidature, la maîtresse de conférences en géographie Ninon Blond le présente sous la forme d’un CV analytique sur le blog Academia, en soulignant l’importance d’une présentation soignée et claire. Les petits détails (charte graphique et table des matières) comptent. Après une courte introduction, elle y dispose un CV synthétique, la liste de ses productions – sans oublier les liens –, ses recherches antérieures mais aussi sa participation à la vie scientifique et collective du labo ainsi que ses expériences d’enseignement. La forme compte : tout ce qui peut faciliter la vie aux deux rapporteurs du jury qui liront en détail votre dossier est bienvenu. La preuve : « Le rapport du jury reprenait mon tableau présentant le nombre d’heures d’enseignement », explique-t-elle à TheMetaNews.

« Je me suis inspirée des dossiers de deux ou trois collègues qui venaient de réussir les concours et j’ai adapté »

Ninon Blond

With a little help… « Lors de sa première candidature, on se pose beaucoup de questions : quel format pour mon CV ? À quel point dois-je détailler mes activités ? Dois-je donner des exemples d’exercices, de production d’étudiants ? » La géographe Ninon Blond n’est pas partie de zéro : « Je me suis inspirée des dossiers de deux ou trois collègues qui venaient de réussir les concours et j’ai adapté ». Une fois le premier jet écrit, il faut passer à la relecture : « J’ai été coachée par trois-quatre chercheurs CNRS qui m’ont apporté une aide énorme, témoigne Ariane Amado. Je suis allée jusqu’à une version 13 de mon dossier ! ». Un dossier qui doit tout dire à la fois : « Le projet de recherche doit à la fois esquisser l’orientation de toute une carrière et être précis sur les premières années ». Mais lorsque les sources se multiplient, les conseils peuvent aussi devenir contradictoires. 

Introspection. Plusieurs sections disciplinaires du CNRS mettent en ligne des recommandations plus ou moins précises à destination des candidats. Arnaud Legrand, chercheur en informatique et membre de la section 06, est conscient de la difficulté de l’exercice : « Les candidats pensent qu’ils doivent se mettre en avant et n’aiment en général pas cela, alors que l’on cherche avant tout à comprendre leur stratégie ». Ce qui les bloque dans une description pourtant bien utile de leurs activités : « Écrire que l’on a pris telle ou telle responsabilité ne suffit pas car, pour certains membres du jury, cela va correspondre à une réunion par mois alors que le candidat y a peut-être consacré beaucoup plus de temps. » Décrire exactement ses tâches, leurs amplitudes horaires et leur intérêt dans une stratégie de carrière a donc toute son importance. 

Choses promises. « Idem pour les publis », continue Arnaud Legrand qui souligne l’importance de détailler sa contribution aux papiers et d’expliquer son rang dans la liste des auteurs. « En maths [comme dans certaines disciplines de SHS, NDLR], les encadrants ne signent pas avec leurs doctorants. En informatique, les pratiques varient grandement alors si ça n’est pas précisé, au sein du comité, on essaie de deviner… », témoigne l’informaticien. Formés à la science ouverte, les jurys regardent également la disponibilité des données et du code : « L’open science, ce n’est pas juste juste cocher une case », avertit Arnaud Legrand qui a plusieurs fois été déçu de découvrir des répertoires vides ou ou contenant un code binaire sans le source – les informaticiens comprendront.

« Le jury veut entendre en quoi le ou la candidate a effectué un travail original, profond, intéressant »

Anne Canteaut, Inria

Incroyable talent. Anne Canteaut, chercheuse à Inria et jusqu’à août dernier présidente de la commission d’évaluation, conseille aux candidats de se mettre à la place du jury : « Le jury veut entendre en quoi le ou la candidate a effectué un travail original, profond, intéressant ». Inria, qui a constitué un guide très détaillé – à télécharger ici –, propose deux types de postes : ceux de chargé de recherche de classe normale, comme au CNRS, et les “Inria Starting Faculty Position” (ISFP), des CDI de la fonction publique avec un service d’enseignement dans un établissement partenaire. Même dossier, mêmes critères et même jury pour l’admissibilité… « L’admission est plus réglementée pour les postes de chargé de recherche de classe normale mais 90% candidatent aux deux », explique Anne Canteaut qui incite les candidats à « ne pas se censurer parce qu’ils auraient l’impression de pas avoir le profil type ». En informatique, l’attractivité du privé diminue de fait les taux de pression et pousse les organismes à recruter plus tôt que dans d’autres disciplines. 

Entre pairs. Si, comme en témoigne Arnaud Legrand pour le CNRS mais qui est valable pour pratiquement tous les jurys, il y a « un effort pour couvrir toutes les thématiques », seuls un ou deux jurés connaîtront réellement votre sujet sur le bout des doigts. Certaines commissions à l’Inserm font même parfois appel à des experts externes. Mais à destination des membres non spécialistes de votre sujet, il faut vulgariser un minimum et montrer la portée scientifique de votre projet. Encore plus dans les sections interdisciplinaires ou qui le sont de fait, comme la 36 du CNRS : « En tant que juriste, je devais aussi convaincre des sociologues », explique Ariane Amado, tout juste recrutée.

Les lettres de recommandation, le grand non-dit des concours… Si elles ne figurent pas dans la liste des pièces à fournir, une adresse email à laquelle vos référents – encadrants ou collaborateurs – pourront les adresser est spécifiée dans certains concours. À l’Inria, indiquez juste le nom de ces référents, une personne se chargera de collecter leurs avis. De manière générale, beaucoup de jurés affirment ne pas en tenir compte, alors que certains des chercheurs qui vous soutiennent restent convaincus de l’inverse. Comme pour tout, multipliez les points de vue.

Adéquation totale. Ninon Blond a eu la chance d’être recrutée en tant que maîtresse de conférences seulement deux ans après sa soutenance, à l’endroit où elle était en contrat d’ATER : « Je connaissais déjà le fonctionnement de l’école, son organisation… J’ai pu proposer un cours qui correspondait à leurs attentes. » Lorsqu’on n’est pas le ou la candidate “en local”, les informations sont en principe données par le responsable pédagogique désigné sur la fiche de poste : « Identifier les besoins permet de donner de la consistance au dossier ». Mathieu Souzy, interrogé dans notre premier épisode, va même plus loin et conseille de contacter au minimum cinq personnes sur les deux volets, recherche et enseignement. « Le plus long dans une candidature est de partir à la pêche aux infos. La fiche de poste n’est souvent pas transparente sur les attentes en dehors de la thématique de recherche : implications administratives (responsabilité au sein d’un master par exemple), relations avec des industriels, etc », explique le mécanicien des fluides qui avait fait ses armes en candidatant à plusieurs postes de maître de conférences.

« Le plus long dans une candidature est de partir à la pêche aux infos »

Mathieu Souzy, Inrae

Multicartes. Lors de sa candidature couronnée de succès à Inrae en 2021, Mathieu Souzy a dû produire un seul et même dossier pour plusieurs fiches de poste, ce qui ne lui permettait pas de personnaliser sa candidature : « Un projet de recherche n’était pas exigé – relire notre premier épisode – mais le comité était quand même sensible à ce qu’on offre des perspectives. On doit gérer cette ambiguïté », explique-t-il, rappelant que les pratiques sont en évolution depuis la fusion entre Inra et Irstea en 2018. Côté CNRS ou Inserm, le projet a une importance énorme. Pour les postes de MCF, l’enseignement joue-t-il un rôle plus important ? « Vu les pressions sur les enseignements, le jury est attaché à recruter un ou une collègue motivé·e. Mais le profil “recherche” n’est pas négligeable : originalité, faisabilité…», explique Ninon Blond. Rien n’est donc à négliger.

Pas de pré-concours. En sciences humaines et sociales, octobre est la saison de ce qui est devenu un rituel : pratiquement tous les labos envoient un message sur la liste de diffusion ANCMSP – Association nationale des candidat·es aux métiers de la science politique – à destination des candidat·es qui souhaitent être soutenus pour les concours du CNRS. Pour les labos, le recrutement de nouveaux collègues est un enjeu de taille (voir encadré), les poussant à proposer un accompagnement à tous les prétendants. Le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip) accompagne ainsi une quinzaine de candidats chaque année : « Nous en refusons très rarement et principalement pour des raisons thématiques. Nous pouvons également donner des conseils si nous estimons que le dossier n’est pas prêt », explique Jacques de Maillard, professeur à l’Université Versailles Saint-Quentin. 

« On aide les candidats à formuler leur projet pour qu’il soit compris par le jury »

Lucie Bony, CNRS

Dézoomer. Les chercheurs en charge de l’organisation, souvent eux-mêmes CNRS, reçoivent en général les dossiers d’intention comprenant CV, rapport de soutenance et projet scientifique mi-novembre – mais attention cette année tout est décalé –,  et trouvent deux collègues connaisseurs du sujet pour relire et commenter : « On aide les candidats à formuler leur projet pour qu’il soit compris par le jury – celui-ci comprend souvent des chercheurs d’autres spécialités. Il vaut mieux ne pas trop entrer dans le détail », témoigne Lucie Bony, chercheuse au Laboratoire Architecture Ville Urbanisme Environnement (Lavue), recrutée au CNRS en 2016.

Rester soi-même. Pour Grégory Salle du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé), ce type d’accompagnement peut avoir des effets pervers, tant sur les candidats que sur la discipline dans son ensemble : « En prenant en compte les conseils de tout le monde, on converge vers un formatage excessif avec des projets qui se ressemblent trop », remarque le sociologue. Si cette stratégie de vouloir plaire à tout à chacun a du sens, ce n’est pas forcément la meilleure selon le chercheur au CNRS, ancien membre de la section 36 : « La stratégie de rupture paye ! ». Il est donc très prudent dans le type de suggestions qu’il donne aux candidats, en se limitant à des éléments qui lui semblent consensuels : « Par exemple un trou dans la bibliographie ou la faisabilité d’une enquête ». De manière générale, « il faut se faire confiance. Il n’y a rien de pire que de travestir son projet puis de se faire éjecter. »

À la recherche de ses nouveaux poulains

Attirer de nouvelles recrues CNRS est un des nerfs de la guerre pour beaucoup d’UMR, notamment celles qui ne comptent plus que quelques chercheurs CNRS dans leurs rangs et qui craignent la “désUMRisation”, c’est-à-dire le retrait du CNRS parmi leurs tutelles – qui reste assez rare, disons-le. La perte de budget mais également des personnels ITA – ingénieurs, techniciens et administratifs – employés par le CNRS en seraient les conséquences. Parce qu’ils disposent de plus de temps comparé aux enseignants-chercheurs, les “CNRS” peuvent sur le papier prendre en charge plus facilement des responsabilités lourdes comme l’animation d’une revue ou la direction du labo… ainsi que l’organisation de ce fameux soutien pour les concours ! « L’accompagnement prend beaucoup de temps mais c’est un investissement pour le labo. Je le prends comme une tâche collective », témoigne Lucie Bony. Sans parler évidemment de la stimulation intellectuelle de rencontrer de jeunes chercheurs avec de beaux projets plein la tête.

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