C’est une décision budgétaire lourde de conséquences. Fin janvier 2025, le dispositif « Jeunes Docteurs » intégré au Crédit d’Impôt Recherche (CIR) a été supprimé dans le projet de loi de finances (PLF) 2025. Sa suppression, présentée comme une mesure d’économie, a suscité un tollé parmi les acteurs de l’innovation et du doctorat. Créé sous l’impulsion d’Adoc Talent Management, de l’Association Nationale des Docteurs (ANDès) et de PhD Talent, le collectif JD-CIR qui rassemble aujourd’hui près de 300 acteurs — startups, associations de docteurs, structures de soutien à la recherche, etc. — dénonce depuis cette suppression « brutale » et se bat pour son rétablissement. Début avril, le député Paul Midy, fervent défenseur du dispositif, a déposé une proposition de loi en ce sens. Proposition qui attend encore à ce jour son étude par les parlementaires. À l’heure où la France clame vouloir accueillir à bras ouverts des chercheurs étrangers, le paradoxe est notable.
« C’est l’équivalent d’un grand plan social pour l’innovation en France »
Paul Midy, député
Pièce de puzzle. « La suppression de ce dispositif est une erreur qu’il faut corriger au plus vite », s’indigne le député de l’Essonne. Il faut dire que pour beaucoup, ce dispositif avait largement fait ses preuves. Intégré au CIR en 1999 puis réformé en 2008, il avait été conçu pour encourager les entreprises à embaucher des doctorants, permettant par la même occasion de faciliter le lien entre recherches académique et privée. Les entreprises éligibles pouvaient ainsi bénéficier d’un CIR bonifié — avec un crédit d’impôt pouvant aller jusqu’à 120 % des coûts salariaux — durant les 24 premiers mois suivant l’embauche en CDI d’un jeune docteur. En 2024, ce sont ainsi plus de 9000 contrats qui ont été signés grâce à ce dispositif. « Les jeunes docteurs sont des éléments essentiels dans le développement et la création d’une startup », souligne Laure Jamot, CEO de la startup HuntXPharma, membre du collectif JD-CIR. Et, Paul Midy le rappelle : « Le CIR, c’est un investissement ». Pour 1 euro investi par l’État via le CIR le gain serait ainsi jusqu’à 4,5 euros de PIB pour la France, selon France Stratégie.
Incompréhension. Sa suppression avait été évoquée dès novembre 2024 mais finalement annulée suite à une forte contestation parlementaire. Puis, pour des raisons essentiellement budgétaires, le couperet est finalement tombé fin janvier 2025 lors du passage en 49.3 de la loi de Finances pour 2025. « Sans concertation, sans étude d’impact récente et sans alternative viable », précise Linda Lahleh, présidente de l’ANDès. Le coût du dispositif est pourtant modique : 90 millions d’euros par an, soit à peine 1,3% du CIR estimé à près de 7,7 milliards d’euros, pour l’année 2024. « Il est incohérent de s’attaquer à ce 1% alors qu’il est efficace et absolument indispensable », souligne Linda Lahleh. D’autant plus indispensables que « près de 100% des startup y ont recours », ajoute-t-elle. Un autre dispositif disparaît au passage : les subventions liées aux brevets qui représentaient près de 300 millions d’euros par an. Une économie totale de 400 millions d’euros donc… « mais à quel prix ? », s’interroge Laure Jamot.
« On estime déjà à 20% le nombre de chercheurs qui partent [à l’étranger]. Et demain, combien ? »
Le Collectif JD-CIR
En mal d’amour. Si les conséquences de cette suppression ne seront réellement visibles qu’en début d’année prochaine — le CIR de l’année 2025 se déclarant en 2026 — elles sont déjà prévues par le collectif JD-CIR. Selon ses estimations — rassemblées dans ce document —, ce sont ainsi près de 3000 postes qui ont d’ores et déjà été supprimés pour 2025. Sur le plateau de Saclay par exemple, le collectif chiffre à 205 le nombre d’emplois de jeunes docteurs supprimés — pour les 40 startup deeptech ayant répondues à leur sollicitation. « C’est l’équivalent d’un grand plan social pour l’innovation en France », se désole Paul Midy. L’annonce de cette suppression est arrivée alors que les entreprises avaient déjà intégré dans leur modélisation financière l’appui du dispositif, les laissant ainsi faire face à des coûts imprévus (et souvent conséquents). Nombreux sont celles et ceux à devoir revoir à la baisse leurs ambitions : « On va devoir ralentir, ce qui est problématique dans l’univers ultra-compétitif dans lequel nous évoluons », explique Laure Jamot. Dans le secteur de la santé, ce seraient ainsi entre 150 et 200 projets de recherche qui risquent l’abandon ou la délocalisation, peut-on lire dans une tribune au Point.
Fuite organisée. Autre préoccupation majeure : que cette suppression décourage les entreprises françaises, encore hésitantes, à recruter des doctorants ayant fraîchement soutenu. Dans toutes les disciplines de la deeptech et plus particulièrement dans le cas des sciences humaines et sociales, pour lesquelles le lien avec l’industrie est fragile ; le dispositif donnait un argument de poids à l’embauche. Certains jeunes docteurs sont déjà impactés. « À cause de la suppression du dispositif (…), mon employeur a suspendu mon contrat avant même que celui-ci ne commence », explique Mouloud Bahae-Eddine dans une série de témoignages récupérée par le collectif. Alors que la voix du privé est aujourd’hui empruntée par près de 40% des titulaires du plus haut diplôme français, le collectif craint de voir s’amplifier la « fuite des cerveaux » : « On estime déjà à 20% le nombre de chercheurs qui partent [à l’étranger, NDLR]. Et demain, combien ? », écrit le collectif. Pour Laure Jamot, l’incompréhension est d’autant plus grande que la France investit chaque année près d’un milliard d’euros dans leur formation : « On les forme pour ensuite les pousser à partir, ça n’a pas de sens ».
« C’est une chose de vouloir accueillir les chercheurs étrangers mais il faut aussi donner l’envie aux talents français »
Linda Lahleh, ANDès
Double discours. « C’est une chose de vouloir accueillir les chercheurs étrangers [dans le cadre de Choose France for Science, NDLR] mais il faut aussi donner l’envie aux talents français — et il y en a beaucoup — de rester travailler en France », poursuit Linda Lahleh. Alors que nos voisins européens augmentent leurs aides — l’Allemagne a augmenté de 10 % son soutien à l’embauche des jeunes docteurs et l’Angleterre a débloqué 250 millions pour attirer les scientifiques post-Brexit —, « nous allons dans le sens inverse », poursuit Laure Jamot. Une mesure qui pénaliserait donc in fine l’attractivité française. « À quoi ça sert d’avoir France 2030 ou les concours d’innovations comme i-PhD [lire nos portraits dans Vous avez dit PhD ?, NDLR] si on ne promeut pas ensuite le doctorat ? », s’indigne Laure Jamot avant de pointer du doigt la contradiction entre cette décision et les ambitions affichées du gouvernement français, lors du sommet de l’IA par exemple (dont nous vous parlions), mais aussi avec le rapport sur la valorisation du doctorat de Sylvie Pommier et Xavier Lazarus (dont nous vous parlions également). « Cette décision n’est pas en accord avec la politique menée par le président de la République depuis 2017 », souligne Paul Midy.
What’s next. La proposition de loi du député de l’Essonne étant déposée, que faut-il attendre pour la suite ? Deux options sont envisagées : que le dispositif soit réintroduit dans le PLF 2026 — « l’impact serait alors limité à un an », explique Paul Midy — ou que sa proposition soit étudiée puis votée d’ici quelques mois. La première option étant celle la plus probable. « L’innovation ne doit pas être une variable d’ajustement budgétaire », répète Laure Jamot. Ne reste plus qu’à en convaincre les parlementaires. Et pour appuyer leurs arguments, le collectif JD-CIR réalise une étude d’impact qui devrait paraître dans les mois à venir. « Sans jeunes docteurs, il n’y aura pas d’innovation ou de souveraineté », maintient Paul Midy.