« Tout le monde a le droit à un procès équitable », nous expliquait fin août Stéphanie Ruphy, alors encore présidente de l’Office français de l’intégrité scientifique (Ofis). Juste avant que nous partions nous dorer la pilule, l’Ofis avait en effet publié le 21 juillet une série de recommandations portant sur le traitement des manquements à l’intégrité scientifique. La plus inattendue ? L’instauration d’une possibilité d’appel en cas d’insatisfaction sur la procédure menée par un établissement ou un organisme de recherche. Une chose inédite en France. Fruit d’un travail conjoint de l’Ofis et de l’Académie des sciences, cette “cour d’appel” – qui donnera uniquement un avis consultatif – pourra non seulement être saisie par les protagonistes d’une affaire donnée – mis en cause, auteurs du signalement… – mais aussi des « tiers d’intérêt public », par exemple des journalistes. Son nom ? Inadis.
« Si l’Inadis avait existé en 2022, elle aurait pu s’autosaisir sur le traitement de l’affaire Didier Raoult »
Stéphanie Ruphy
Objection, votre honneur. « L’Instance nationale d’analyse des dossiers d’intégrité scientifique (Inadis) pourra se prononcer sur la forme ou le fond de la procédure, mais aussi sur l’absence de déport [mise en retrait de dossiers dans lesquels il pourrait y avoir conflit d’intérêts, NDLR] s’il y a un soupçon de conflit d’intérêts », détaille Stéphanie Ruphy. Les potentiels manquements à l’intégrité peuvent en effet depuis quelques années être signalés auprès du référent intégrité scientifique (RIS). Chaque établissement et organisme de recherche français doit en nommer un : c’est la loi depuis 2021. Si le RIS estime le signalement recevable, une investigation est ouverte, s’ensuit l’audition des mis en cause et des témoins, ainsi que le recours à des experts de la discipline. Le cas peut se résoudre par une simple médiation – la plupart des signalements sont des désaccords entre auteurs de publication – ou mener à la rédaction d’un rapport à destination du chef d’établissement, qui prendra les mesures de sanction, d’accompagnement ou de réhabilitation nécessaires le cas échéant.
Secret de l’instruction. Un processus largement interne : l’intégralité dudit rapport d’enquête n’est pratiquement jamais diffusé publiquement – nous vous en parlions. Pourtant l’Ofis rappelle dans ses recommandations l’importance de communiquer « au sein de l’établissement et éventuellement au-delà » les conclusions de l’investigation et les éventuelles sanctions « afin de crédibiliser la procédure de signalement et de traitement » mais aussi pour des enjeux de correction de la science. C’est ce qu’a en partie fait le CNRS dans la récente affaire impliquant la chimiste Jolanda Spadavecchia – nous vous en parlions – en publiant dans son Bulletin officiel la sanction non anonymisée, ainsi qu’une liste des articles à rétracter. « Les établissements doivent veiller à ce que les auteurs de signalement ne subissent pas de représailles ni de répercussions sur leur carrière. La protection fonctionnelle peut être activée dans ce type de situation », rappelle également Stéphanie Ruphy.
« Le choix de l’Académie des sciences s’est fait naturellement »
Stéphanie Ruphy
Duralex. En mai dernier, l’Ofis publiait son premier rapport sur les traitements des manquements potentiels à l’intégrité scientifique en France, pour les années 2022 et 2023. « Environ la moitié des établissements ont répondu à notre questionnaire et ils représentent en effectif les deux tiers de la recherche française », précise l’ex directrice de l’Ofis. Dans cet intervalle, jusqu’à 152 investigations ont été finalisées ; certaines étant menées conjointement par plusieurs établissements, elles peuvent être comptabilisées plusieurs fois. Avec une bonne surprise à la clé : « La durée des instructions est de moins de 6 mois dans environ 40% des cas et de moins d’un an dans 60% », analyse Stéphanie Ruphy. Parmi elles, près des deux tiers ont conclu à un manquement. Mettant en cause 88 personnes, ces procédures ont débouché sur 16 sanctions et 63 mesures de réhabilitation – qui correspond à la communication officielle du RIS ou de l’établissement auprès des parties concernées « pour des personnes mises en cause à tort, en particulier si le cas a été publicisé ».
Entre pairs. La création de l’Inadis vient donc compléter le dispositif. Pour autant, « l’instance ne rendra pas d’avis sur l’adéquation de la sanction », prévient Stéphanie Ruphy. Un référentiel national, une sorte de quantum des peines, dans les cas de manquements à l’intégrité scientifique serait d’ailleurs à construire, admet l’ex-directrice de l’Ofis – un futur chantier pour son nouveau directeur Michel Dubois ? Les membres de l’Inadis ne seront pas des juges mais bien des collègues, analysant les aspects scientifiques du dossier : « Le choix de l’Académie des sciences s’est fait naturellement : ce sont des pairs indépendants et bénéficiant d’une forte légitimité. Ils incarnent l’autonomie et l’autorégulation de la science », analyse celle qui est philosophe des sciences de profession – nous l’avions interviewée sur ce qui guide l’orientation des sujets de recherche. Créer une instance d’appel ayant le pouvoir de casser les décisions prises par les établissements aurait nécessité de modifier la loi, une démarche, évidemment longue à mettre en place – surtout en ces temps troublés.
« L’idée n’est pas du tout de remettre en cause le travail des référents intégrité et des établissements, mais d’avoir un second regard »
Stéphanie Ruphy
Mission : possible. La lettre de mission signée par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Philippe Baptiste le 17 juillet 2025, à destination de Françoise Combes, présidente de l’Académie des sciences, va donc dans ce sens. Le ministre sollicite les Sages pour la mise en place de l’instance préconisée par l’Ofis, « à l’instar des dispositifs existant dans de nombreux pays », au sein de l’Académie. Pièce manquante de ce puzzle made in France, ses objectifs seront de renforcer l’équité, la confiance – des chercheurs et du grand public – dans les institutions, mais aussi la transparence. « L’idée n’est pas du tout de remettre en cause le travail des RIS et des établissements mais d’avoir un second regard. Il pourra d’ailleurs leur donner raison dans certains cas face à des protagonistes mécontents », précise Stéphanie Ruphy. L’Inadis ne devra d’ailleurs être saisi qu’après un premier recours gracieux auprès de l’établissement, détaille l’Ofis.
Oeil de Sirius. « Même si cela ne concerne qu’un nombre limité de cas, il était important de sortir de l’échelle locale pour renforcer la crédibilité et l’efficacité des procédures d’intégrité scientifique », estime Stéphanie Ruphy. Dernier détail et pas des moindres, l’Inadis aura le pouvoir de s’autosaisir. Les mésaventures de la Covid restent gravées dans les mémoires : « Si l’Inadis avait existé en 2022, elle aurait pu s’autosaisir sur le traitement de l’affaire Didier Raoult », analyse l’ancienne directrice de l’Ofis. Alors que l’office a accueilli un nouveau directeur en la personne du sociologue des sciences Michel Dubois – que nous avions interviewé dans le cadre de ses travaux sur… l’intégrité scientifique, justement, la balle est dans le camp de l’Académie des sciences. Le démarrage de l’Inadis est prévu pour l’automne, nous a confirmé sa présidente Françoise Combes. Une douzaine d’académicien·nes y seront nommés, ainsi que des experts extérieurs de toutes disciplines. Alain Fischer, ancien président de l’institution – qui avait participé à notre événement No Future ?, souvenez-vous – est pressenti pour en prendre la tête, mais, contacté par nos soins, l’intéressé temporise. Affaire à suivre – ce que nous ne manquerons pas de faire.