L’ESR au rendez-vous des promesses (non tenues)

En cette rentrée abracadabrantesque, l’Enseignement supérieur et la recherche se retrouvent projetés dans le flou.

— Le 8 octobre 2025

En une dizaine d’heures tout a basculé. Alors que nous pensions dimanche 5 octobre au soir avoir — après plusieurs semaines d’attente — un nouveau gouvernement, l’annonce surprise le lendemain matin de la démission de Sébastien Lecornu a rebattu les cartes. Le président de la République Emmanuel Macron voit ainsi son Premier ministre renoncer à son poste avant même sa déclaration de politique générale, plongeant de nouveau le pays dans le flou. « Nous vivons une période de grande incertitude politique et budgétaire », pointait déjà du doigt Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale de la CFDT Éducation, Formation, Recherche publiques lors de la conférence de presse de rentrée du syndicat, le 29 septembre dernier. Un constat encore plus valable aujourd’hui. Car si l’adoption d’un budget avant la fin de l’année 2025 semblait encore envisageable après la chute du gouvernement Bayrou et la nomination de Sébastien Lecornu, cette perspective s’éloigne aujourd’hui.

« Le bilan de l’ESR ne peut que reprendre le précédent en montrant que la situation s’est encore dégradée »

Emmanuel de Lescure, Snesup-FSU

Tirelire cassée. Et pour cause : pour respecter le calendrier institutionnel, le projet de loi de finances (PLF) pour l’année 2026 devait être déposé avant le 13 octobre pour qu’il puisse ensuite être examiné avant le 31 décembre par le Parlement. Le futur gouvernement pourra donc difficilement respecter ce délai. François Bayrou avait néanmoins présenté un plan budgétaire le 14 juillet dernier, prévoyant 40 milliards d’euros d’économies. Principal motif de la censure de son gouvernement, ses annonces ont mené à de nombreuses manifestations — celles du 10 septembre pour commencer puis celles du 18 et 25 septembre. Les syndicats de l’ESR avaient appelé d’une voix commune à la grève, dénonçant un budget d’austérité aux conséquences désastreuses. Selon le Snesup-FSU, en cette rentrée 2025-2026, ce serait ainsi 80% des universités qui annoncent démarrer l’année en déficit et qui se voient obligées d’aller piocher dans leurs fonds de roulement — déjà mobilisés en 2024. « D’année en année, le bilan de l’ESR ne peut que reprendre le précédent en montrant que la situation s’est encore dégradée et que les promesses n’ont pas été tenues », dénonce Emmanuel De Lescure, nouveau secrétaire général du Snesup-FSU lors de la conférence de presse de rentrée du syndicat, le 22 septembre dernier.

Oui, mais… Le 28 août dernier, le désormais ex-ministre chargé de l’ESR Philippe Baptiste avait pourtant affirmé lors de l’assemblée générale de rentrée de France Universités que le projet budgétaire de François Bayrou prévoyait une augmentation des crédits de la Mission interministérielle Recherche et Enseignement supérieur (Mires) de 500 millions d’euros. « Malgré les incertitudes du moment, cela montre que l’enseignement supérieur et la recherche sont identifiés comme une priorité pour notre pays », avait-il déclaré devant l’assemblée, selon nos confrères d’AEF. Pour autant, ses annonces n’avaient pas suffit à rassurer les syndicats. Car si, comme l’annonçait Philippe Baptiste, l’ESR a pu paraître épargné par le budget présenté en juillet, « il n’en est rien, car il essuie depuis quinze ans une baisse continue des moyens, l’inflation devrait être prise en compte », expliquait Emmanuel De Lescure. Le budget de la Mires en euros constant — en prenant en compte l’inflation — serait ainsi de 640 millions d’euros inférieur à celui de la loi de finances 2024. 

« Aucun des trois buts affichés par la Ministre en 2020 [Frédérique Vidal, NDLR] ne semble en passe de se réaliser »

Patrick Lemaire, Collège des sociétés savantes

Arlésienne. « Le projet de budget de François Bayrou était une renonciation », pointait ainsi Christophe Bonnet, secrétaire national de la CFDT. Une renonciation car il aurait dû, si la trajectoire prévue par la loi de programmation de la recherche (LPR) avait été respectée, progresser d’un milliard d’euros par rapport à 2024. De quoi découle le sempiternel constat d’une stagnation de la part du PIB consacrée à la dépense intérieure de recherche et développement (Dird) à 0,79 %. Loin donc de l’objectif de 1 % pour la recherche publique fixé depuis plus de vingt-cinq ans. Temps de recherche accru, moyens augmentés, meilleure visibilité dans le temps… « Aucun des trois buts affichés par la Ministre en 2020 [Frédérique Vidal, NDLR] ne semble en passe de se réaliser », explique Patrick Lemaire, président du Collège des sociétés savantes académiques de France, dans une communication au sujet de la LPR. Dans une enquête — dont nous étions partenaire — réalisée auprès de plus de 2 200 scientifiques, le Collège des sociétés savantes a ainsi souhaité établir une vision générale du ressenti du financement actuel de la recherche publique et de son évolution récente, LPR en tête. Et la communauté scientifique affiche sur le sujet « une unité frappante », selon l’analyse du Collège. 

En peine. Moins de 15 % des répondants jugent ainsi le système actuel de financement de la recherche publique satisfaisant. Un système décrit par beaucoup comme « sous-financé, court-termiste, inéquitable, chronophage, souvent opaque et décourageant les recherches les plus innovantes ». Les répondants notent également une baisse notable du temps accordé à la recherche — un constat qui n’est pas nouveau —, impactant directement le travail des scientifiques, leur santé — certains répondants parlent d’angoisse — mais également l’attractivité du métier. « Depuis 2017, une même logique s’impose : demander toujours plus avec toujours moins », s’insurgeait Morgane Viviers, secrétaire générale de l’UNSA éducation, en présentant les résultats de l’enquête annuelle du syndicat sur les métiers de l’éducation. Et les plus de 53 000 répondant·es — dont 2,9 % issus de l’ESR — ont confirmé le mal-être grandissant. Ils sont de moins en moins nombreux à se dire heureux d’exercer : 73 % en 2025 (contre 65 % en 2018). En cause notamment, des conditions de travail jugées insatisfaisantes par 66,8 % d’entre eux, soit 11 points de plus qu’en 2018.

« Il y a un mouvement de remise en cause de la science assez brutal et violent dont la France n’est pas exclue »

Christophe Bonnet, CFDT 

Prouve que tu existes. « La recherche publique n’est pas une simple pourvoyeuse de résultats transférables à une industrie nationale largement désengagée de cette activité, malgré des incitations fiscales coûteuses et inefficaces », poursuit Patrick Lemaire. Dans le viseur entre autres : le Crédit Impôt Recherche, largement critiqué dans la section commentaire libre de l’enquête du Collège des sociétés savantes. « Pour faire face à la crise budgétaire, il va de toute façon falloir aller chercher en dehors de l’ESR », pointe le Snesup-FSU. Le syndicat demande de son côté un investissement de deux milliards d’euros pour la recherche publique pour respecter les engagements de la LPR — que la majorité des syndicats décriaient pourtant au moment de son vote. Avec en ligne de mire : les dépenses exponentielles de la loi de programmation militaire. « La recherche n’est pas une variable d’ajustement budgétaire. Comme l’armée, elle protège la société face à des risques existentiels », pointe Patrick Lemaire. 

En discussion. Outre le budget, un autre sujet préoccupe les syndicats en cette rentrée universitaire : le projet de loi relatif à la régulation de l’enseignement supérieur privé — également appelé Loi Baptiste, du nom de son instigateur. Si avec le tumulte politique des dernières semaines ce projet est aujourd’hui en suspens, il prévoyait entre autres (côté recherche) de proroger de trois ans l’expérimentation des regroupements sous la forme d’établissements publics expérimentaux (EPE). « L’auto-gouvernance des universités n’est pas un gadget, elle suppose un cadre de qualité », souligne Christophe Bonnet, qui déplore d’une part l’absence de « discussions préalables sur ce texte avec les partenaires sociaux » et d’autre part les conséquences de ces nouveaux établissements sur la démocratie universitaire — le problème de gouvernance de l’université Paris-Saclay au début de l’année 2024 (dont nous vous parlions) en est un exemple. Une mission d’évaluation des EPE a été confiée par Philippe Baptiste à Jean-Pierre Korolitski, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche honoraire ; le rapport doit être rendu fin novembre. 

« L’Histoire jugera sévèrement les gouvernements qui auront délibérément choisi d’affaiblir la science »

Patrick Lemaire

J’écris ton nom. « La reconnaissance du rôle des universitaires et de la liberté académique est cruciale », pointe le Snesup-FSU. Car les syndicats alertent : la liberté académique ne saurait également être épargnée par la crise. « Que reste-t-il de cette liberté quand on impose des sujets de recherche à courte vue et que l’on cesse de financer des thématiques jugées peu intéressantes ? », interroge le syndicat. Une liberté académique déjà bien attaquée dans les discours politiques où les universités sont régulièrement taxées d’« islamo-gauchisme ». « Il y a un mouvement de remise en cause de la science assez brutal et violent dont la France n’est pas exclue », ajoute la CFDT. L’épisode de la loi Duplomb — « où les discours scientifiques avaient été complètement discrédités » — ou encore le cas plus récent de Gabriel Zucman — dont la crédibilité universitaire a été remise en question par le milliardaire Bernard Arnault — ne font ainsi que renforcer leurs craintes. 

En froid. De fait, « la place de la recherche dans l’éclairage des politiques publiques apparaît quasi nulle », pointe Patrick Lemaire. Dans l’enquête publiée au début du mois de septembre par l’UNSA éducation, les résultats sont sans appel : seuls 6% des répondants se disent aujourd’hui en accord avec la politique menée par le pouvoir en place. Ils étaient 4 fois plus nombreux, il y a 10 ans. « Ce n’est pas le casting [du gouvernement, NDLR] qui pose problème, c’est le cap », clame Morgane Viviers. « L’Histoire jugera sévèrement les gouvernements qui auront délibérément choisi d’affaiblir la science », conclut le président du Collège des sociétés savantes.

À lire aussi dans TheMetaNews

La résistible ascension des DBA

DBA. Trois lettres qui gagnent en popularité mais qui font grincer des dents les défenseurs du doctorat, le plus haut diplôme français. Spécifiques aux sciences de gestion, les Doctorate of Business Administration (DBA donc) proposent à des cadres et managers...

L’Académie en dernier recours

« Tout le monde a le droit à un procès équitable », nous expliquait fin août Stéphanie Ruphy, alors encore présidente de l’Office français de l’intégrité scientifique (Ofis). Juste avant que nous partions nous dorer la pilule, l’Ofis avait en effet publié le 21...

Une relation hors normes

Pour comprendre les fondements de l’histoire jugée aujourd’hui par le Cneser disciplinaire, il faut remonter au mois de juin de l’année 2018. M. X, alors maître de conférences à la faculté de droit de l’université Lumière Lyon 2 et doyen de cette même faculté, entame...