Christine Musselin : « Les tenure tracks vont créer des tensions dans les labos »

— Le 24 juin 2020
Tels des itinéraire bis pour les profs, les chaires juniors vont faire cohabiter des statuts très différents. Analyse de Christine Musselin pour TMN.

Les chaires de professeur balaieront-elles l’existant ?  

Dans un premier temps, elles ne seront qu’un dispositif parmi d’autres mais si à terme 300 chaires sont créés tous les ans [à partir de 2030, voir page 23, NDLR] sur cette base — contre environ 1 000 postes classiques ouverts au recrutement chaque année — le système sera progressivement chamboulé, d’autant que les universités sont aujourd’hui extrêmement frileuses quand il s’agit de créer des postes. Quant à leur but, des versions différentes circulent : il s’agirait d’attirer tantôt des chercheurs actuellement en poste à l’étranger et qui n’ont pas encore un dossier leur permettant de devenir professeur, tantôt de créer des postes interdisciplinaires après la thèse. Dans les deux cas, il y a une incertitude sur le public visé, même si les problèmes à résoudre sont très clairs : l’attractivité de la France dans un cas, l’accès plus précoce à des postes, dans l’autre.

Cela va-t-il créer des tensions au sein des laboratoires ?

C’est certain. C’est d’ailleurs déjà le cas entre les universitaires et les chercheurs dans certains labos. Chargés de recherche, maîtres de conférence, l’état d’esprit reste le même et la logique de gestion des carrières est semblable. Mais faire travailler ensemble des “professeurs juniors” avec des maîtres de conférence aux salaires inférieurs et aux moyens inférieurs avec des statuts différents accroît la complexité. On sous-estime la difficulté — je parle en connaissance de cause, je l’ai fait quand je m’occupais de la direction scientifique de Sciences po — qu’il y a à gérer des systèmes de gestion de carrière différents. Cela suscite des sentiments d’injustice.

D’où viendraient ces injustices exactement ?

On crée avec les “tenure track” des différences de statuts, de conditions de travail et de rémunérations qui ne sont pas nécessairement indexées sur des différences d’activité ou de résultats. A chaque étape de carrière, les personnels se retrouvent en compétition. Or, dans la “tenure track”, rien de cela : si la personne satisfait les critères fixés lors de son recrutement, elle est titularisée. A la fin, on sera donc jugé sur “ses propres résultats”, pour le dire vite. Rien n’est simple dans cette proposition et je ne parle même pas des CDI de mission scientifique. Si je trouve le principe général des “tenure track” intéressant, il devrait en ce cas progressivement être appliqué à tout le monde. Si ce principe devient le moyen d’accéder à un poste de professeur, cela ne cassera pas la fonction publique, comme il est craint aujourd’hui.

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