« La majorité se sent esclave du système »
Les doctorants et jeunes chercheurs sont au centre de toutes les attentions. La chercheuse Chérifa Boukacem-Zeghmouri les connaît bien pour les avoir étudiés au sein de l’étude Harbingers, voici son analyse.
TMN. La génération montante voit-elle les choses différemment de ses aînés ?
CB. Ils ont envie que ça bouge. Ils ont souvent une vision très diffĂ©rente de celle leurs pairs, notamment sur la question de la publication, y compris sur la question du facteur d’impact. Ils trouvent qu’on publie trop et trop vite pour rĂ©pondre Ă des politiques d’évaluation ou rechercher des financements. Ils n’adhèrent pas Ă cette approche quantitative, qui met la qualitĂ© en difficultĂ©. De manière gĂ©nĂ©rale, ils ne sont pas forcĂ©ment dans la “slow science” mais prĂ´nent un système plus consolidĂ© qui assure la reproductibilitĂ© qui leur permette d’être plus satisfaits des rĂ©sultats qu’ils produisent et publient..
TMN. Pour autant, font-ils évoluer le système ?
CB. Les choses bougent très lentement, Ă©videmment parce qu’ils ne sont pas dĂ©cisionnaires voire prisonniers du système d’évaluation. Ceux qui sont en poste disent qu’ils vont faire bouger les lignes mais sans grande conviction. L’Open Access est le credo d’une minoritĂ© agissante… qui parfois doit revoir ses pratiques d’ouverture, pour prĂ©server ses chances de dĂ©crocher un poste ou un contrat. Dans le panel français, un militant OA a dĂ» mettre ses pratiques “open” de cĂ´tĂ© pour obtenir un poste ; il faut d’abord capitaliser avant de partager et d’ouvrir. Cette personne a clairement Ă©tĂ© prudente par rapport Ă la rĂ©alitĂ© des processus de recrutement. Encore aujourd’hui, ce qui compte est de publier dans des revues indexĂ©es, reconnues par les communautĂ©s de recherche et les critères des politiques d’Ă©valuation..
TMN. Rien ne différencie donc les jeunes du reste des chercheurs ?
CB. Cette gĂ©nĂ©ration a grandi avec le numĂ©rique et les rĂ©seaux sociaux. L’Ă©tude a clairement montrĂ© un dĂ©tachement de cette gĂ©nĂ©ration vis-Ă -vis des institutions acadĂ©miques ou des revues en tant que marques, alors qu’elle est très concernĂ©e par ce qu’elle estime ĂŞtre sa communautĂ© de recherche.  La jeune gĂ©nĂ©ration a un cĂ´tĂ© “freelance”, “dĂ©brouille”, une autonomie plus importante, qui s’explique notamment par sa grande mobilitĂ© internationale. Cette stratĂ©gie utilitariste est liĂ©e Ă la prĂ©caritĂ© actuelle du statut des jeunes chercheurs, qui créée un dĂ©tachement que certains appelleraient du cynisme. A tel point qu’à la question – qu’il nous coĂ»tait de poser lors des entretiens –, « Diriez-vous que vous vous considĂ©rez comme un esclave du système? », Les rĂ©ponses recueillies sur l’ensemble des pays de l’Ă©tude ont Ă©tĂ© majoritairement « oui ».Â
L’étude Harbingers a toujours besoin de vous. Prenez quelques minutes (SVP, hein) pour répondre à ce questionnaire. Réponses et analyses détaillées à la rentrée ! |