Fréderique Vidal : « On ne peut pas faire plus sécurisant »

— Le 6 janvier 2021
C’est un tournant pour la ministre : après avoir fait voter « sa » loi, elle va devoir maintenant assurer le SAV. Et faire campagne pour les régionales en PACA ? 

On ne vous a pas épargné avec la loi Recherche ou plutôt la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), rebaptisée « tout simplement » LPR en fin de parcours. Depuis son annonce en février 2019 par Edouard Philippe, suivie de la remise de rapports préparatoires, sans oublier la sortie « darwinienne » d’Antoine Petit (remember, remember), le texte n’a jamais fait l’unanimité. Cet investissement sur dix ans a été présenté comme « historique » par Emmanuel Macron lui-même, juste avant le premier confinement. Mais cela n’a pas éteint les doutes ni l’opposition aux chaires de professeurs junior ou aux CDI de mission scientifique, opposition qui a culminé le 05 mars dernier. Et pourtant, pourtant. Presque deux ans plus tard, la LPR est entérinée, accompagnée de revalorisations salariales pour les chercheurs, et d’un plan de relance post-Covid. Alors, « historique » ? Pas sûr. Mais on a préféré poser la question à la principale intéressée. Cette interview consacrée à la politique — on ne se refait pas — n’est que la première partie de notre entretien avec Frédérique Vidal. La seconde partie, plus personnelle, est consacrée à la recherche.

Après 23 mois de gestation, la LPR a été définitivement votée (et même publiée). Quelle assurance avez-vous que le budget mis sur la table ne sera pas renégocié par une future majorité ?

Une loi de programmation est ce qu’il y a de plus sûr pour garantir un budget. Je souhaitais la durée la plus longue possible car cela permet de garantir en moyenne un apport de 500 millions d’euros supplémentaires chaque année dans la recherche pendant 10 ans. Une loi peut certes en défaire une autre mais je pense qu’il sera très difficile pour un parlement ou une majorité de décider de ne plus financer la recherche à partir du moment où une trajectoire a été donnée — ce qui est le cas —  et qu’un engagement financier a été pris. Cet engagement est également de revoir ce volume financier de façon à soutenir l’ambition affichée : passer de 15 à 20 milliards par an — c’est-à-dire augmenter le budget de la recherche de 30% au global en 2030. On ne peut pas faire plus sécurisant que ça. C’est la première fois qu’une loi de programmation pluriannuelle est dédiée à la recherche.

Un euro de 2020 n’est pas un euro de 2030, compte tenu de l’inflation. Aurait-il fallu proposer ce budget en euros constant et pas en euros courant ?

Toutes les programmations sont en euros courant car personne n’est capable de traduire sur dix ans les sommes en euros constant. Rien ne justifie de faire une exception pour la LPR. En revanche, ce qui a été introduit par le Parlement, c’est la possibilité de réajuster le budget tous  les trois ans, notamment pour prendre en compte l’inflation

On aurait pu faire plus et tout de suite, en particulier pendant les dernières années du mandat d’Emmanuel Macron…

La LPR est en chantier depuis le 1er février 2019. Les sommes que nous investissons pour la recherche avec la loi de programmation sont déjà très importantes et aucun engagement financier de ce niveau n’a jamais été réalisé auparavant. Le plan de relance prévoit par ailleurs 6,5 milliards supplémentaires les deux prochaines années pour du soutien à des programmes de recherche ou en lien avec la recherche. Nous venons d’annoncer 420 millions supplémentaires pour des équipements structurants [les EquipEx, NDLR] et 1,3 milliards pour la rénovation des bâtiments. Quand on fait la somme de tout ce qui va être mis à disposition de la recherche dans les deux prochaines années, cela représente  de l’ordre de 8 milliards pour les établissements d’enseignement supérieurs et de recherche, hors LPR ! Et ce qui est important selon moi, c’est qu’au-delà de ce « coup de boost » prévu ces deux prochaines années, nous ayons de la visibilité sur le long terme. Et c’est exactement ce que permet la LPR.

Avoir étendu les budgets de l’ANR — + 400 millions dès l’année prochaine — ne va-t-il pas privilégier la recherche à court ou moyen terme et financer une recherche plus “dirigée” ?

On a augmenté le budget de l’ANR mais aussi les dotations de base des laboratoires. Quand on aura terminé la programmation, le budget de l’ANR représentera 8% du budget de la recherche [budget total, incluant également la masse salariale qui s’élève à environ 76% selon la ministre, NDLR], ce qui n’est pas démesuré, d’autant que l’immense majorité des projets financés à l’ANR ne sont pas des projets dirigés mais des projets à l’initiative des chercheurs ; de plus l’augmentation des crédits de base des laboratoires sera de 25% en 2023. Celle-ci va aller beaucoup plus vite que la loi de programmation qui s’étale sur dix ans. D’autres mesures ont été ramenées sur sept ans, comme l’augmentation des salaires ou celle du budget de l’ANR.

On sait que les sciences sociales vont peu à l’ANR et que cela crée une inégalité entre disciplines. Comment comptez-vous résoudre cela ?

J’ai demandé à Thierry Damerval [que nous avons récemment interviewé, NDLR], de regarder pourquoi les sciences sociales déposaient peu de projets à l’ANR et d’adapter les financements aux besoins. Globalement, les  financements de l’ANR, peut-être par souci de simplicité, étaient des modèles uniques : des sommes importantes sur des durées assez courtes. Ce que me disent les collègues de SHS, c’est qu’ils ont peut-être besoin de la même somme mais sur un temps beaucoup plus long. Dépenser 300 000 euros en trois ans, si on n’a pas un gros équipement à acheter, ce n’est pas évident. Dans ma discipline ou en physique expérimentale, 300 000 euros peuvent représenter à peine un cinquième du prix d’un appareil. Si on laisse une agence s’auto-organiser, elle le fait pour son bénéfice, que ce soit l’ANR, les universités, toute administration centrale. Elles mettent en place des process qui simplifient la vie de ses agents administratifs. Je voudrais donc des process qu i simplifient la vie des chercheurs, qu’on inverse le système.

Cette disparité entre sciences dures et sciences sociales, est-ce que cela n’a pas aussi joué dans la perception qu’ont eu ces derniers de la LPR, chez qui elle a suscité beaucoup d’opposition ? 

Les chercheurs en sciences sociales n’ont pas de problème de fond pour répondre à un appel à projet. La preuve : on a des ERC en sciences humaines et sociales. Le problème n’est donc pas les appels à projet mais le fait qu’ils ne correspondent pas à leurs besoins. C’est ça le travail que j’ai demandé à l’ANR : avoir des tuyaux de financements qui correspondent aux besoins spécifiques des chercheurs, pas des tuyaux de financement identiques pour tout le monde. 

A propos de l’amendement sur le CNU, dont la réforme avait été pourtant été écartée, que s’est-il passé dans la nuit du 28 au 29 octobre au Sénat ? 

Ce n’était effectivement pas dans la loi au départ. Un sénateur a déposé un amendement de  suppression de la qualification du CNU. En discutant, j’arrive à convaincre un autre sénateur du même bord politique que c’était peut-être aller trop loin. Supprimer la qualification pour passer professeur, ça ne me gêne pas en réalité, parce qu’on est déjà maître de conférences, on a passé son HDR, que ça fait des années qu’on est évalué, voire surévalué. Par contre, n’avoir aucune procédure nationale pour rentrer dans le corps des enseignants-chercheurs, c’est un autre sujet… on y est attaché.

C’est passé quand même – même si c’est expérimental pour les maîtres de conférence. Vous n’étiez pas donc d’accord avec ça ?

On est passé d’une suppression totale de la qualification à sa conservation pour les maîtres de conférences sauf en cas d’expérimentation sur demande au ministère qui publiera un décret d’exception poste par poste. Cette expérimentation peut répondre à de réels besoins, notamment pour permettre à de jeunes chercheurs ayant une démarche interdisciplinaire très marquée de se présenter à un concours. Par ailleurs, pour l’accès au professorat, je veux réfléchir à de nouvelles modalités d’organisation dans certaines disciplines comme le droit, en complément de l’agrégation.

Vous avez l’air de verrouiller pour qu’il n’y pas de modification dans ce sens…

Il faut réfléchir à la modification du fonctionnement des sections du CNU, tout le monde s’accorde pour le dire. Les CNU sont très disparates : certains CNU qualifient à 70%, d’autres à 30% comme en droit. En réalité je pense qu’il faut qu’on reprenne tout depuis le début. Les thèses doivent justifier d’un vrai travail de recherche. 

Vous trouvez donc qu’on donne parfois des thèses trop facilement ?

Je l’ai lu dans les tribunes qui défendaient la qualification par le CNU : dans certaines disciplines, on délivrerait des thèses qui n’en sont pas et que donc il fallait bien qu’une instance vérifie qu’elles avaient de la valeur. On m’a confié qu’après 8 ans de doctorat, c’était un peu difficile de ne pas donner sa thèse à quelqu’un. Dans les disciplines que j’ai plus l’habitude de côtoyer, on ne fait pas ça. Nous allons nous concerter, mais on a le droit de tout reprendre : le doctorat, l’école doctorale, l’HDR et comment on organise un label national.

Vous voulez également remettre à plat l’HDR ? Ce n’était pas dans votre programme initial. 

Dans la lettre de concertation que j’ai envoyée, j’ai proposé d’y réfléchir car les HDR sont très différentes en fonction des disciplines. Si c’est justifié, soit – je ne vais pas tout normer. Mais quand on me dit qu’un maître de conférence avec dix ans d’ancienneté n’a pas le niveau pour être professeur, il faut m’expliquer pourquoi, parce que je trouve cela très injuste pour eux. 

Est-ce que vous retournerez à la paillasse un jour ? Ou vous resterez en politique ?

Je pense que je peux vous répondre non aux deux questions. J’adorerais faire ce que j’ai déjà fait une partie de ma carrière : travailler avec des philosophes, faire de l’épistémologie des sciences. Quant à continuer à faire de la politique… J’étais très heureuse avant et je pense que je serais très heureuse après. 

Les régionales en PACA, ça vous tente ?

Oui. Mon seul enjeu, c’est que PACA ne soit pas la première région qui vire RN. Je ne le supporterais pas.

C’est pour cette raison que vous pourriez “y aller”, comme on dit ?

C’est ma région, je l’aime évidemment, je regarde ça de très près.

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