Aline Houdy : « Les chercheurs ont très envie de communiquer »

Productrice de documentaires scientifiques, Aline Houdy est présidente de l’AST/Pariscience. Le festival célèbre fin octobre ses vingt ans et se projette dans l’avenir de façon positive.

— Le 27 septembre 2024

La science occupe-t-elle la place qu’elle mérite dans l’audiovisuel français ?

L’Association Science & Télévision (AST), regroupe environ 120 producteurs de documentaires scientifiques, a été créée il y a plus de 20 ans pour promouvoir la place de la science à la télévision. Nous avons pu ainsi observer une grande évolution, avec aujourd’hui de belles cases dans les grilles de programmation de documentaires scientifiques, comme Science Grand Format sur France 5, plusieurs sur Arte le samedi et sur Ushuaïa TV [lire aussi le bilan du journaliste et réalisateur Charles Behr, NDLR]. Au vu des enjeux auxquels la science est confrontée aujourd’hui, en termes de complexité des connaissances, des crises sociétales et environnementales, il nous semble essentiel de rester vigilants quant à son traitement. Notamment avec les réseaux sociaux, où l’on assiste à la montée des fake news. Nous continuons donc à nous mobiliser pour renforcer la présence des sciences dans l’audiovisuel. D’ailleurs, les journalistes scientifiques se sont récemment alarmés du traitement de la science à la télévision [L’AJSPI a écrit une lettre ouverte à France Télévision, NDLR].

« Les documentaires scientifiques prennent beaucoup de temps à se faire »

Aline Houdy

En quoi la création d’un documentaire scientifique est-elle spécifique ?

La phase de développement d’un documentaire scientifique est primordiale et imposée par les diffuseurs. Elle aboutit à l’écriture d’un scénario qui permet de voir où on va : avec quels interlocuteurs, de quelles images on va avoir besoin. Les images virtuelles (infographies, 3D, animation…) ont énormément progressé et sont de plus en plus utilisées : elles permettent de montrer à quel point la science est spectaculaire, de rentrer dans l’infiniment petit ou l’infiniment grand, de reconstituer des sites archéologiques… Cependant ces images coûtent très cher à fabriquer. Minuter chacune d’entre elles permet donc de préciser le budget et de planifier le financement. Dans le film sur le télescope Hubble que j’ai produit pour Science grand format, une grande partie des images provenait d’archives gratuites de la NASA. Pour réunir des budgets plus conséquents, il faut trouver des financements complémentaires à ceux du diffuseur et des différentes aides voire organiser une coproduction internationale. De manière générale, les documentaires scientifiques prennent beaucoup de temps à se faire. 

Les sciences humaines et sociales (SHS) sont-elles plus difficiles à filmer que les sciences de la nature (physique, chimie, biologie…) ?

La façon de filmer n’est pas du tout la même : elle consiste principalement en des interviews et des témoignages. Les images sont moins spectaculaires mais plus humaines. À la télévision, les thèmes de recherche des SHS sont abordés sous un angle plus sociétal que scientifique. Du coup, ces documentaires ne sont pas encore très présents dans les cases scientifiques des diffuseurs mais se retrouvent plutôt dans les programmes société. Pariscience ajoute chaque année un peu plus de sciences sociales dans sa programmation, notamment grâce à des partenariats que nous développons avec des universités (Sorbonne nouvelle, Nanterre…) et la Fondation de la Maison des Sciences de l’Homme (FMSH). Par exemple, en 2022 le prix du public de Pariscience est revenu au film À la vie écrit et réalisé par Aude Pépin, sur le travail d’une sage-femme.

« Parler d’environnement de façon neutre est compliqué »

Aline Houdy

Quel rôle tient Pariscience dans tout ça ?

Le festival se veut un point de rencontre entre les mondes scientifiques, audiovisuels et le grand public. Chaque projection est suivie d’un débat avec un scientifique et un membre de l’équipe du film. Nous favorisons l’émergence de nouveaux talents, notamment avec le prix du premier documentaire scientifique en partenariat avec Ushuaïa TV. Et cette année, avec Arte France, nous lançons Éclair de série, autour du développement d’une série documentaire sur la science et l’environnement, pour une diffusion numérique.

L’écologie est à l’honneur de Pariscience cette année, une thématique dans laquelle les documentaires (et parfois les scientifiques) sont souvent taxés de prendre parti. Qu’en pensez-vous ?

Parler d’environnement de façon neutre est compliqué. D’ailleurs, le documentaire est en soi un parti-pris sur un événement du réel, donc forcément engagé, quel que soit le domaine. Mais il y a plusieurs façons de parler d’environnement : des magazines d’investigation comme Vert de rage [France Television en a arrêté la diffusion, aujourd’hui sur Canal+, NDLR] dénoncent ce qui ne va pas pour infléchir les décisions politiques. Ce positionnement clair est très important mais peut être vécu par le public comme anxiogène. D’autres réalisateurs, comme Cyril Dion, préfèrent montrer des solutions possibles, notamment à l’échelle individuelle, ce qui rend l’engagement accessible à tous, avec le risque d’avoir une portée plus limitée. L’environnement reste malheureusement une variable d’ajustement politique, et non l’enjeu national qu’il devrait être. À Pariscience, nous avions d’ailleurs diffusé il y a deux ans un documentaire sur les origines cognitives de cet immobilisme [Climat : mon cerveau fait l’autruche, NDLR]. Cette année, l’accent a été mis sur l’engagement face aux défis écologiques, avec une nouvelle compétition thématique intitulée “Empreinte” et un « Prix campagne d’impact » en partenariat avec l’Office français de la biodiversité afin de valoriser des films appelant la société à se mobiliser sur les enjeux de protection du vivant.

« Les chercheurs (…) n’ont pas toujours les outils »

Aline Houdy

Pariscience fête ses 20 ans. Qu’avez-vous prévu de spécial pour l’occasion ?

L’Agora, un espace éphémère de convivialité, sera installé dans le Jardin des plantes durant le festival : on y parlera de la place des femmes avec le collectif « Nous, réalisatrices de documentaires », les enfants pourront jouer, lire ou découvrir la science entre deux séances. Le festival Pariscience sera également présent pour deux live Twitch, l’un avec Arte dans leur magazine “Le Dock”, l’autre avec le Cnes autour de la sonde Hera. La journée d’ouverture du 24 octobre débutera avec deux sessions à destination des professionnels du documentaire mais ouvertes au public : « Le film scientifique de demain sera-t-il réalisé par des IA? » et « Comment décaler notre regard sur le vivant pour le raconter autrement ? » Les intervenants seront principalement des réalisateurs et des chercheurs. Ces rencontres se dérouleront au Centre de conférences internationales de Sorbonne Université (Jussieu)

Comment justement resserrer les liens entre chercheurs et documentaristes ?Pariscience accueille en son sein un incubateur, le salon des idées scientifiques. Les chercheurs proposent leur thématique de recherche ; cette année nous avons sélectionné 20 projets sur 50 reçus. Nous leur proposons ensuite une session de pitch pour les préparer à une rencontre avec des professionnels de l’audiovisuel où ils expliquent leur recherche. L’objectif est qu’elle puisse trouver un écho et pourquoi pas être le point de départ d’un documentaire. En parallèle, le programme Symbiose met en binôme un jeune chercheur et un réalisateur avec le défi de réaliser un court-métrage en seulement 48 heures [nous avions interviewé la co-gagnante du prix 2021, Silvia Melzi, à l’époque doctorante et narcoleptique, NDLR]. De manière générale, les chercheurs ont très envie de communiquer, de faire connaître leurs recherches mais n’ont pas toujours les outils. Quelques-uns le font via Youtube, nous ouvrons la porte au documentaire.

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