Ana-Maria Lennon-Duménil : « Se plaindre, ça ne marche pas »

— Le 19 février 2021
Comment parler de son métier dans les grands médias ?
Invitée de l’émission Quotidien avec son collègue Raphaël Rodriguez, Ana-Maria Lennon-Duménil débriefe pour TMN ce passage télé.

Avec quel état d’esprit êtes-vous arrivés sur le plateau télé ?

Notre temps d’intervention était très court – 12 min dont les questions à propos du vaccin. Nous voulions donner une vision positive de notre métier plutôt que nous plaindre car cela fait des années que la communauté se plaint – à juste titre – et cela ne marche pas. Nous avons pensé qu’il fallait une stratégie plus créative pour convaincre la société de l’utilité de la recherche. Aux Etats-Unis – où j’ai vécu – les métiers de la recherche sont beaucoup plus valorisés et cela donne de véritables leviers pour assurer son financement et les conditions de travail des chercheurs.

Qu’est-ce que vous n’avez pas eu le temps de dire ?


Le drame de la France, c’est d’avoir un pool de chercheurs en biologie – jeunes et moins jeunes, avec ou sans postes fixes – brillants mais sans moyens suffisants pour bien travailler. Ils passent donc leur vie à écrire des demandes de financement qui, pour la plupart, impliquent des sommes d’argent trop faibles et sont de durée trop courte. Il nous faut des financements plus longs et plus conséquents, de l’ordre d’un million d’euros sur cinq ans par équipe, plutôt que 2 ou 300 000 euros sur deux ans actuellement. De tels financements existent en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Hollande ou en Italie…

Quel serait le système de financement idéal selon vous ?


Ces financements seraient bien sûr attribués aux labos sur la base de leur production scientifique et permettraient de faire de la recherche de qualité tout en assurant de meilleures conditions de travail aux plus jeunes. Idéalement, ils comprendraient à la fois des fonds non ciblés en termes de thématique, ce qui permettrait de lancer des projets nouveaux et éventuellement risqués, ainsi que des fonds obtenus sur la base d’appels à projets thématiques.

Quels retours avez-vous eu de votre intervention ?


J’ai reçu de nombreux messages de personnes disant que je leur avais donné envie de découvrir le métier de chercheur. Les non scientifiques m’ont trouvée très revendicative – le grand public connaît peu les problématiques de la recherche – mais nos collègues chercheurs en sciences de la vie ont approuvé notre discours. Sur Twitter, certains ont critiqué le fait qu’on n’ait pas parlé du manque de poste. Ce manque est réel, en recherche comme dans tous les services publics, mais ce n’était pas le propos. Le problème des chercheurs en poste sans moyens pour travailler est tout aussi grave – à la fois pour eux et pour l’argent public.

Et vous avez voulu terminer par une note positive.


Encore une fois, on n’obtiendra rien si on ne fait que demander et revendiquer car c’est un discours qui s’est banalisé et que la société ne veut ou ne peut plus entendre. Certes, devenir chercheur est un parcours du combattant mais c’est un parcours au long duquel on s’élève et on apprend beaucoup, même si c’est dur. Je m’estime infiniment chanceuse d’exercer un métier aussi enrichissant. Je pense que nos sociétés se porteraient bien mieux si chacun pouvait vivre d’une activité qui le passionne. Pour moi, c’est vers cela qu’on devrait tendre !

À lire aussi dans TheMetaNews

Yves Moreau, le passe Muraille

Crédit : Lies Willaert Yves Moreau ne mettra certainement jamais les pieds en Chine – ce serait trop risqué – mais il commence à bien connaître la région du Xinjiang. C’est en effet là que vit la population ouïghoure, largement discriminée par le gouvernement chinois,...