Le baromètre de l’Enseignement supérieur et de la recherche pour 2023 est paru ! 2460 répondants de toutes disciplines et fonctions dans l’ESR l’ont rempli tout ou partie. Voici les résultats intégraux en un seul fichier ainsi que sur le site de la CPESR (Conférence des praticiennes et praticiens de l’enseignement supérieur et de la recherche). Cette dernière a mené le travail de conception et traitement des résultats que TMN a accompagné dans la diffusion. Avant de se plonger dans les chiffres, précisons que les répondants sont représentatifs de toute la population de l’ESR en ce qui concerne la pyramide des catégories et des responsabilités. Les enseignants-chercheurs titulaires sont sur-représentés, ainsi que les disciplines Lettres Langues Arts (LLA) / Sciences humaines et sociales (SHS) et STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques). >> Cet article est le second et dernier de notre série (lisez le premier). Tous les verbatims sont issus du baromètre. |
Pas kif-kif. Après s’être penché dans le premier épisode de notre série d’article consacrée au baromètre CPESR sur vos rapports parfois contrariés avec vos institutions, ce second sera consacré à des ressentis plus personnels. Partons d’un constat global tenant à vos conditions de travail : c’est l’équilibre qui prévaut puisque 40% des répondants perçoivent positivement leurs conditions de travail, 42% en ayant une perception négative, tout particulièrement en ce qui concerne l’évolution de carrière (61%) et les rapports avec l’administration (66%), véritable fil rouge de ce baromètre (et de cet article). Fort heureusement, vos conditions générales de vie vous satisfont à une courte majorité (56%), ainsi qu’à plus forte raison vos relations avec les autres corps de métier (60%).
« C’est les douze travaux d’Astérix en permanence »
Déclinologie. Signe du temps surement, les chiffres se dégradent dès que la question de l’amélioration de ces mêmes conditions de vie et de travail relatives à la recherche ou à l’enseignement est abordée. Seule une minorité — moins de 10% sur ces items — constate un mieux ces derniers temps. Tout comme pour la question précédente, la part de celles et ceux qui voient la vie en moins noir sur ces sujets estiment que leur évolution de carrière ou leurs conditions de vie en général (12%) se sont améliorées. La lanterne rouge en terme d’opinions positives étant encore fois détenue par les relations avec l’administration, en rapide dégradation pour près d’un tiers d’entre vous.
Dos à dos. Les verbatims recueillis par le baromètre pointent un ras-le-bol général de ce point de vue. Pourtant, tout le monde est dans le même bateau, rappelle anonymement un répondant : « Il y a des limites au travail que l’on peut ajouter aux enseignants-chercheurs, notamment dans le but d’économiser des emplois administratifs ». De l’autre côté de la barrière, ce répondant, BIATSS de son état, juge durement un système qui cherche à « créer des processus “qualité” qui sont supposés faciliter le travail des personnels en charge de l’administration de la recherche et qui au final permettent de justifier la suppression des postes de tels agents et à grever le temps de travail des enseignants-chercheurs ». Ce qu’il juge est sur le long terme « totalement contre-productif ».
« La multiplication des appels d’offre de toutes natures (…) entraine mécaniquement une dispersion des énergies »
La maison qui rend fou. C’est un fait, l’administration, poliment qualifiée « tatillonne », selon un répondant, est également jugée en « sous effectif ». « C’est les douze travaux d’Astérix en permanence », plaisante un répondant. Une donnée qui apparait clairement dans le rapport 2021 du CPESR : les effectifs de BIATSS de catégorie C — en première ligne — ont littéralement fondu entre 2015 et 2021 : – 20% au profit de catégories A et B. Cette exaspération partagée s’incarne parfois en une anecdote : « On n’a plus le droit de s’inscrire à une conférence avec notre carte bancaire personnelle, il faut aller prendre rendez-vous à la présidence (5km) et perdre 2-3h pour le faire. Ce genre d’exemples se multiplie conduisant à un épuisement, un découragement, parfois pour certains collègues à un renoncement ». Des titulaires tenus de remplacer des personnels parfois eux-mêmes précaires en diminution… Un serpent qui se mord la queue, en somme.
Bouc émissaire. Côté recherche, ces rapports contrariés à l’administration s’inscrivent dans une évolution plus large de son financement (que nous explorions dans le premier numéro de cette série). Les mauvais scores de réputation du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hceres) et de l’Agence nationale de la Recherche (ANR), deux institutions relativement nouvelles dans le paysage, en sont le témoin. Comme le pointe un répondant : « [la] perte de confiance entre les acteurs institutionnels et [la] défiance systématique à l’égard des individus ou structures utilisant des financements publics pour leur recherche (…) a conduit à un contrôle excessif et des procédures de gestion trop lourdes ». Une inflation des procédures qui revient continûment dans les verbatims : « La multiplication des appels d’offre de toutes natures (…) entraine mécaniquement une dispersion des énergies et s’accompagne d’un reporting administratif incessant extrêmement chronophage. Ceci explique cela : à la question « Êtes-vous optimiste pour l’évolution des conditions de travail ? », les répondants expriment un pessimisme plus marqué envers leurs rapports à l’administration, ainsi qu’encore une fois sur leur évolution de carrière.
« Il y a des limites au travail que l’on peut ajouter aux enseignants-chercheurs »
Simple comme un Nobel. Qu’on se rassure néanmoins : les praticiens de l’ESR et leurs établissements partagent cette fatigue des appels à projets. Même si il est trop tôt pour voir cette tendance lourde de la gestion publique s’inverser, le ministère a annoncé avoir pris la mesure du poids de l’administratif dans vos vies. Suite au rendu du rapport de la mission Gillet en juillet dernier (relisez notre analyse sur le sujet), une première salve d’expérimentations — sans moyens dédiés — sera lancée dans les mois à venir. Les premières réunions ont eu lieu début octobre dans les unités mixtes de recherche de l’université Toulouse-III Paul-Sabatier avec les organismes de recherche correspondants (CNRS, Inrae, l’Inserm et l’IRD), signalent nos confrères de l’AEF. Et figurez-vous que, toujours selon nos confrères d’AEF, Emmanuel Macron s’est entretenu avec un aréopage de scientifiques (Jean-Marie Lehn, Albert Fert, Jules Hoffmann, Jean Tirole, Alain Aspect…) sur ce sujet de la simplification et du financement, laissant augurer d’autres annonces. Compliqué, l’ESR français ? Si même les prix Nobel le pensent… À moins d’appeler ChatGPT à la rescousse (voir notre numéro sur le sujet).
Et moi et moi et moi… Finissons sur une note positive, même si les élans d’optimisme dans les commentaires proviennent de fait de praticiens dont la situation personnelle s’est améliorée (délégation, promotion, nomination…) et qui s’excusent presque de leur bonheur : « Je suis en délégation CNRS cette année, ce qui explique que je suis super contente de ma vie mais c’est avec un gros biais ». Autre exemple de cet autre répondant aux prises avec un dilemme personnel : « Si j’ai précisé que la LPR avait eu un effet plutôt positif, c’est uniquement vu de ma fenêtre car une CPJ [chaire de professeur junior, relisez notre analyse sur le sujet, NDLR] se dessine pour moi. En revanche, je me suis mobilisé contre cette loi en 2020 et j’ai déjà refusé un premier CPJ l’année dernière. Aujourd’hui, il se trouve que je n’ai plus le choix ». |