Bourdieu ou Shakespeare ?

03.11.2023 • LA RECHERCHE ET SA PRATIQUE


Des équations à la craie

Eureka. Dans la recherche, on a toutes et tous vécu cette exaltation qui culmine lorsqu’on est sur le point de découvrir quelque chose de nouveau. Partagée avec les collègues, elle est encore plus forte et j’ai retrouvé cette sensation dans une salle de cinéma.

Inspiration. Cette exaltation ressentie au contact des mathématiciens, c’est justement ce qu’avouait envier Anna Novion, la réalisatrice du film Le Théorème de Marguerite, sorti cette semaine. Elle l’expliquait dans l’interview qu’elle avait accordée à Noémie.

Fait rare. Certains critiqueront les stéréotypes sur les matheux ou le mutisme des deux protagonistes devant le tableau noir mais, tout de même, ce n’est pas toutes les semaines que le personnage d’une doctorante devient la star du grand écran.

Langue natale. Et si l’on continue sur les clichés, un sociologue doit-il publier en français ou en anglais, selon vous ? Du questionnement des jeunes chercheurs aux politiques scientifiques, on analyse cette semaine le cas des sciences humaines et sociales.

À très vite, 
— Lucile de TheMetaNews

PS Bluesky, vous connaissez ? Si si, le potentiel remplaçant de feu Twitter. Et bien nous y sommes depuis quelques jours… Rejoignez-nous !

Sommaire

→  ANALYSE  Publier en anglais ou en français ? Le dilemme des SHS
→  OUTIL  Plongez dans les archives diplomatiques
→  CHIFFRE  Le nombre de publications bat des records
→  EXPRESS  Votre revue de presse
→  ET POUR FINIR Bouh !

TEMPS DE LECTURE : 5 ou 10 MINUTES

℗ Contenu réservé à nos abonné·es

ANALYSE

Publier en anglais ? Le dilemme des SHS

Les sciences humaines et sociales doivent-elles favoriser la langue de Skakespeare pour publier ? Quelques réponses à cette question qui n’a rien d’évident.

   ↳ To be or not to be.Alors que le Président de la République en personne vient d’inaugurer la Cité internationale de la langue française, comment se porte la langue de Molière dans les labos de sciences humaines et sociales ? Camille Bayet est doctorante en relations internationales, une discipline où les chercheurs publiaient presque exclusivement en français jusqu’à il y a encore une vingtaine d’années (…)

OUTIL

Plongez dans les archives diplomatiques

Ça va consulter. Les aficionados sont sûrement déjà au courant mais on vous communique tout de même l’info : le gouvernement lance un site de recherche et de consultation des Archives diplomatiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, du XVIe siècle à nos jours. À vos tablettes !

EXPRESS

Des infos en passant

● Hissez haut sur la banquise. Le comité d’éthique du CNRS (Comets) publie un nouvel avis suite à l’interpellation des Scientifiques en rébellion au sujet de la Compagnie du Ponant en octobre 2022. Le Comets exprime « une profonde réserve » à l’égard des campagnes d’opportunité actuellement proposées à bord de navires brise-glace en Arctique et en Antarctique qui ne présentent « qu’un intérêt scientifique modeste au regard de leur impact sur l’environnement et sur les sociétés humaines ». Les sages recommandent au CNRS de clarifier les critères d’acceptabilité et de se doter d’un cadre permettant le respect de la déontologie académique.

● Paradoxale ouverture. Sci-Hub annule l’effet bénéfique de l’open access sur les citations, conclut une étude publiée dans Scientometrics (et disponible sur HAL). En les rendant accessibles, le site pirate permet d’augmenter le nombre de citations des articles publiés dans des revues réputées et fermées mais il n’augmente en aucun cas la visibilité des petites revues en open access. « Tenir compte du prestige des revues est crucial pour une politique de science ouverte efficace », confie à TheMetaNews l’un des auteurs, Abdelghani Maddi, qui signe également un billet sur le blog Impact of Social Science.

● Dans les bacs. On nous signale la sortie de plusieurs livres intéressants, les voici pêle-mêle : Le Monde des mathématiques aux Éditions du Seuil, une radiographie socio-historique du champ (nous avions consacré un numéro aux résultats préfigurant l’ouvrage). Mais aussi Une recherche responsable – L’intégrité scientifique aux éditions Quae (et en accès ouvert) par des référents intégrité scientifique et d’autres spécialistes : un ouvrage à destination des étudiants et professionnels de la recherche. Et enfin La rédaction pour la recherche en santé – Un guide pratique pour vos publicationspar Hervé Maisonneuve (la Rédaction médicale), Marie-Ève Rougé-Bugat et Evelyne Decullier, parce que rédiger n’est pas inné, loin de là.

ÇA VOUS A FAIT RÉAGIR

« ChatGPT est un assistant administratif incompatible avec la recherche engagée dans les démarches de développement durable et de responsabilité sociétale : il fait exploser les limites planétaires et favorise l’isolement social. Consommant bien moins d’énergie que l’IA, l’intelligence humaine mobilisée dans des réunions courtes, ciblées et multi acteurs (étudiant·es, chercheur·ses administratif·ves) pourra réinventer une administration de la recherche supprimant les demandes inutiles. »

Sophie Cambon-Grau | Ingénieure de recherche I Université Gustave Eiffel. Sophie réagit à notre article sur l’utilisation de ChatGPT pour les tâches administratives

CHIFFRE

+47%

En 2023, le nombre total de publications était presque 50% plus élevé qu’en 2016, révèle une étude déposée en preprint sur arXiv. Une croissance démesurée face à celle, limitée, du nombre de chercheurs, alerte les auteurs. En effet, le nombre de nouveaux docteurs est même en diminution au sein de l’OCDE. L’explosion des “special issues” est notamment pointée du doigt, MDPI et Frontiers en tête – vous pouvez d’ailleurs relire notre analyse sur ces éditeurs de la zone grise. Dans leur article sur le blog Impact of Social Science, les auteurs invitent à imaginer un modèle de l’édition scientifique désintéressé. Comment serait-il selon vous ?

EXPRESS

Votre revue de presse

→ Science très politique. La revue eLife change de rédac’ chef. Décision politique ? À ce poste depuis 2019, le biologiste Michael Eisen avait partagé sur X mi-octobre l’article d’un titre de presse satirique américain, défendant ainsi la population palestinienne. Malgré les pressions, le chercheur connu pour son esprit provocateur n’est pas revenu sur ses propos, conduisant ainsi à son éviction, explique Science. Le contexte international sème également la zizanie au sein de l’agence de financement britannique, rapporte le même média.

→ Tierce personne. Après avoir dénoncé un harcèlement encore trop ancré dans la culture des plus grandes universités britanniques, l’astrophysicien Wyn Evans continue sa réflexion dans Times Higher Education : pour mettre fin à l’omerta, il appelle à la création d’une entité extérieure chargée des enquêtes et de la médiation. On vous signale au passage l’existence d’une instance de ce type en Allemagne pour l’intégrité scientifique.

→ Rétractations en série. Deux études publiées dans Scientific Reports par l’équipe de Didier Raoult viennent d’être rétractées : les auteurs ne pouvaient fournir l’approbation des comités d’éthique du Niger et du Sénégal, rapporte Retraction Watch. Ces publications faisaient partie des nombreuses de l’IHU de Marseille pointées par une récente étude – on vous en parlait le 20 octobre. Dans les colonnes du même média, la responsable intégrité de Sage explique les rétractions groupées que la maison d’édition effectue depuis près de dix ans suite à des manipulations de peer review.

→ Macaques en cage. Des singes de laboratoire maltraités ? L’association de protection animale OneVoice a lancé l’alerte à partir de rapports d’inspection vétérinaires obtenus de haute lutte ↯, rapporte le Parisien. Les militants demandent au tribunal administratif que l’agrément du centre NeuroSpin (CEA) à Saclay soit retiré. Le Gircor, représentant la recherche ayant recours aux animaux, déplore quant à lui « le discrédit systématique de la communauté scientifique » – relire notre analyse sur le sujet.

→ Crash pas test. L’université Bordeaux-Montaigne est submergée par la vague #metoo. Suite au signalement d’agression sexuelle rapporté par la chercheuse Barbara Stiegler, la parole s’est libérée chez plusieurs étudiantes, faisant imploser le département de philosophie ↯, titre le quotidien Sud Ouest. La commission disciplinaire de l’université a été saisie mais la gestion de l’enquête est vivement critiquée, explique France 3 Nouvelle Aquitaine. Une affaire qui se retrouvera peut-être devant le Cneser – relire notre dernier épisode de Comparutions

↯ : articles protégés par un paywall

BOUH !

Et pour finir…

Vos collègues aussi ont fêté Halloween et voici ce qui leur fait le plus peur.