Citez-moi, citez-moi, citez-moi !

— Le 14 février 2020
Hallucinante, cette révélation de manipulation massive de citations par un bioinformaticien. Mais qu’est-ce qui pousse à frauder aussi effrontément ?

Un après-midi de février, la nouvelle est tombée : le chercheur sino-américain Kuo-Chen Chou vient d’être banni du Journal of Theoretical Biology (Elsevier) pour avoir profité de son statut d’éditeur et forcé la citation de ses articles (parfois plus de 50 d’un coup !). Ce n’est pas tout, le chercheur à la retraite aurait également demandé à être co-auteur des articles qu’il gérait, après les avoir reviewé. Et l’on vous passe les conflits d’intérêt (voir plus bas). Auprès de Nature, le bioinformaticien accusé de coercition réfute et affirme que ses algorithmes sont mentionnés car ils sont « très efficaces et reconnus par de nombreux utilisateurs ». Au point que ces derniers y consacreraient des articles entiers : publié en 2019 dans Journal of Theoretical Biology, cet article est par exemple un bel hommage au travail de Chou… qui est d’ailleurs le dernier auteur de l’article. Coïncidence ?
La méthode Chou en quatre étapes

D’après le bureau éditorial d’Elsevier, le Kuo-Chen Chou est accusé d’avoir :
– géré des articles de collègues proches (conflits d’intérêt) ;
– attribué comme reviewers des collègues proches ou lui-même sous un pseudonyme ;
– demandé aux auteurs de mentionner ses travaux dans le titre, de les discuter dans l’introduction ou la conclusion, ou de citer une longue liste de ses articles (parfois jusqu’à 50);
– demandé à être auteur de l’article à la fin du processus de reviewing.
Après la manipulation de citations par les revues, c’est la manipulation de citations par des chercheurs eux-mêmes, en tant que reviewers ou éditeurs, qui est dénoncée depuis quelques années. Pourquoi frauder ? Pour intégrer la fameuse liste des highly cited researchers (HCR pour les intimes) ! For recognition of course mais aussi pour l’argent… En effet, « certaines universités payent des chercheurs reconnus afin d’apparaître dans leurs affiliations et monter dans les classements internationaux » rappelle Didier Torny, sociologue des sciences. Le classement de Shanghai, ça vous dit quelque chose, non ?

Jusqu’en 2016, Kuo-Chen Chou a justement pour seconde affiliation l’université King Abdulaziz en Arabie Saoudite. Cette université est connue pour ses pratiques douteuses et son entrée fracassante dans les classements en 2014. Admis dans les HCR en 2014, le chercheur sino-américain n’apparaît plus dans la liste de 2019. L’entreprise Clarivate Analytics qui la publie a en effet décidé de retirer les chercheurs présentant un nombre anormalement élevé d’auto-citation. Au total, Kuo-Chen Chou a tout simplement doublé son nombre de citations en 2019 !
Ce scandale sans précédent est-il un arbre qui cache la forêt ? Comme nous confie Didier Torny qui est spécialiste en peer-review et bibliométrie, « uniquement les mauvais se font prendre, ceux qui ne sont pas prudents ». Mais la responsabilité incombe surtout au bureau éditorial de la revue d’Elsevier, qui n’a rien vu (ou rien voulu voir). Le journal propose maintenant d’enlever les citations forcées, reste à savoir comment les identifier.

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