Une histoire de parcelle au CNRS

C’est l’épilogue d’un dossier vieux de dix ans, qui a connu de récents rebondissements : la vente de parcelles du CNRS à Meudon. Comment en est-on arrivé là ?

— Le 22 mars 2023

L’huissier est passé. La partie Ouest du site du CNRS de Meudon-Bellevue devrait bel et bien être vendue aux promoteurs Vinci et Kaufman & Broad, après de nombreux rebondissements. Les locaux sont vides et ont été rendus inaccessibles, des panneaux « accès interdit » ont été accrochés aux portes. Localisé sur les collines de Meudon-Bellevue, les lieux offrent une vue imprenable sur la tour Eiffel et les toits parisiens. Les promoteurs prévoient d’y construire des logements privés, accompagnés de quelques logements sociaux mais aussi des commerces, parkings et autres infrastructures. 

« Les agents avaient initialement un an et trois mois pour voir venir le déménagement et l’organiser un minimum »

Boris Gralak, SNCS

Dernier recours. Cette vente a fait couler beaucoup d’encre depuis la révélation en janvier 2023 d’une lettre de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau, à la direction du CNRS lui enjoignant d’accepter l’offre « au rabais » des promoteurs de 38,8 millions d’euros, soit 8 millions de moins que ce qui était initialement souhaité. Lettre que nous n’avons pas pu consulter. Pourtant, suite à l’approbation de la vente par le conseil d’administration (CA) du CNRS en février, une procédure d’urgence avait été entamée par les syndicats pour suspendre cette décision auprès du tribunal administratif de Paris. « Il y avait un réel danger psychologique derrière ce déménagement ; c’est une véritable agression qu’on fait subir [aux personnels présents sur le site, NDLR] », explique Josiane Tack, co-secrétaire générale du syndicat SNTRS-CGT.

Face à face ultime. L’audience a eu lieu un jour avant la date officielle de signature de la vente. Une urgence entre autres justifiée par « une atteinte au fonctionnement et à la continuité des services présents sur le site sans que des solutions de relogement n’aient été anticipés », comme expliqué par l’avocate représentant les différents syndicats des agents CNRS lors de l’audience examinant le référé de suspension.  Au tribunal, les représentants et avocats de Vinci et du CNRS se sont opposés à ceux des syndicats et agents CNRS. D’un côté, Vinci clamait qu’il est trop simple de vouloir le faire passer pour le grand méchant du privé et le représentant du CNRS rappelait de manière surprenante les bienfaits du télétravail en appui de la transaction. De l’autre, les représentants des syndicats ont plaidé tant bien que mal le caractère inadmissible d’un prix de vente revu à la baisse sans raisons valables et les conséquences des multiples rebondissements de l’affaire sur les agents. Les juges ont tranché : la vente aura lieu.

« La restructuration du site de Meudon (…) est un projet ancien que le CNRS a entrepris depuis déjà dix ans »

Ministère de la Recherche

Il était une fois dans l’Ouest. Comment en est-on arrivé là ?  Le projet ne date pourtant pas d’hier. « La restructuration du site de Meudon (…) est un projet ancien que le CNRS a entrepris depuis déjà dix ans », nous explique le ministère. À l’époque, le produit de la vente de la moitié du terrain devait permettre au CNRS de construire de nouveaux locaux sur l’autre moitié du site conservée, en contrebas du château, par l’organisme de recherche. De nouveaux locaux où devaient ensuite être rapatriés les agents jusqu’alors présents sur la partie vendue. Mais en 2021, le projet change d’allure : plus question de reconstruire, seulement d’encaisser le produit de la vente. 

Le juste prix. Le prix était alors fixé à 46,7 millions d’euros. « La vente était prévue un an plus tard, fin 2022. Cela donnait aux agents un an et trois mois pour voir venir le déménagement et l’organiser un minimum », explique Boris Gralak, élu SNCS-FSU au CA du CNRS. Les agents meudonnais de la Division technique (DT) de l’Institut national des sciences de l’univers (INSU) ont dès lors commencé à préparer leur départ. « On a réussi à trouver des locaux qui pouvaient potentiellement nous accueillir à Gif-sur-Yvette mais le bâtiment ne pouvait pas être livré avant la fin du premier semestre 2023, soit quelques mois après la vente », nous racontent des agents de la DT. L’organisation du déménagement occupera une grande partie de leur temps de travail tout au long de l’année 2021-2022.

« On a demandé l’anticipation de travaux complémentaires (…) sans le savoir, on se tirait une balle dans le pied »

Des agents CNRS

Hors jeu. Mais en été 2022, deuxième coup de théâtre : le prix du promoteur baisse de 8 millions d’euros. La raison avancée ? Une augmentation du coût de la construction. Pour le CNRS, pas question de vendre à ce prix quand une seconde expertise annonce un montant pour les 15 000 m2 d’au moins 43,7 millions. En octobre de la même année, le CA du CNRS refuse définitivement l’offre du promoteur et renonce à la vente des terrains du site.  

Retourné acrobatique. La vente refusée, le départ des équipes concernées des locaux meudonnais n’est plus urgent. « Comme on n’était plus pressé de déménager, on a demandé l’anticipation de travaux complémentaires qui ont rendu le site [devant les accueillir, NDLR] inaccessible dans sa globalité jusqu’à la mi-2023 voire fin 2023. Ça nous permettait d’emménager dans des locaux complètement terminés et d’éviter d’avoir à travailler dans des conditions dégradées », nous expliquent des agents de la DT de l’INSU. « En fait, sans le savoir on se tirait une balle dans le pied », ajoutent-t-ils.

« ​​La vente de ces parcelles est effectuée pour un montant en cohérence avec l’évaluation des services des domaines »

CNRS

Surprise du chef. Qui en effet aurait pu prévoir la suite des évènements ? Le 25 janvier 2023, le PDG du CNRS Antoine Petit reçoit le fameux courrier de la ministre Sylvie Retailleau lui ordonnant de vendre au prix du promoteur, un peu moins de 39 millions d’euros. Et deux jours plus tard, la vente est annoncée aux agents du site de Meudon Bellevue avec une injonction supplémentaire : les locaux doivent être vidés d’ici le 15 mars. Les agents du CNRS présents sur le site n’ont donc plus que six semaines pour déménager et trouver des solutions de remplacement.    

Et que ça saute. Pourquoi une telle urgence ? Le permis de construire du promoteur, aujourd’hui purgé de tout recours, expirait le 14 avril 2023. « Si cette échéance n’avait pas été respectée, un nouveau projet aurait dû être entièrement repris de zéro alors que le site est aujourd’hui partiellement inexploité et en voie de délabrement », explique le ministère. Mais pour que les travaux aient été bien entamés le 14 avril et que le permis ne puisse plus être sujet à des recours, il faut les commencer le plus rapidement possible. D’où la nécessité pour le promoteur de boucler la transaction le 15 mars et de débuter les travaux dès le lendemain. 

« L’opération ne profite certainement pas à la recherche publique, ni au personnel du CNRS »

Josiane Tack, SNTRS CGT

Une addition salée. Outre la précipitation de l’accord de vente, c’est aussi le préjudice financier auquel fait face le CNRS qui inquiète syndicats et agents. Pourtant, l’organisme insiste : « ​​La vente de ces parcelles est effectuée pour un montant de 38 780 000 euros, en cohérence avec l’évaluation des services des domaines. » En cohérence, c’est la seule information donnée aux syndicats lorsqu’il s’agit de l’estimation faite par les promoteurs. Contacté par nos soins, le CNRS n’a pas souhaité apporter plus de commentaires que ceux donnés dans l’article.

Adjugé, vendu. À qui profite l’opération ? « Certainement pas à la recherche publique, ni au personnel du CNRS », répond Josiane Tack. Aux yeux des syndicats, les justifications avancées ne suffisent pas pour expliquer la vente. En témoignent les nombreux communiqués ainsi qu’une pétition dont le nombre de signataires s’élèvent aujourd’hui à près de 8000. « Dans notre milieu, on manque d’argent partout. Chaque centime, chaque euro est vérifié pour que ça soit dépensé au mieux et pas gaspillé. Mais là huit millions en moins ça ne pose pas de problème ! », s’exclame Boris Gralak. 

« Heureusement, les locaux à Gif qu’on nous avait proposés en 2021 étaient encore disponibles »

Des agents CNRS

Points bonus. Les contestations ont beau être nombreuses, le CA du CNRS a donné son aval pour la vente le 10 février, malgré un vote serré – 12 voix pour, huit voix contre et deux abstentions . « Le plus déroutant est que le jour même Vinci a expliqué qu’il avait fait quatre milliards de bénéfice. Mais ça ne leur suffit pas, on enlève huit millions de bénéfices au CNRS », explique Josiane Tack. En plus d’un prix revu à la baisse, les termes de la vente ont changé. L’organisme de recherche est désormais dans l’obligation d’entreposer du matériel dans ses locaux [ceux de la partie Est du site de Meudon, NDLR] tout au long de la construction, de réaliser des travaux d’assainissement sur les lieux – dont le coût s’élèverait à plus d’un million d’euros selon les syndicats – mais aussi de « proposer un projet pour aménager la partie restant au CNRS, en contrebas du château, pour la dissémination de la culture scientifique », explique Boris Gralak. Frais auxquels il faut évidemment ajouter ceux du déménagement, estimés à près d’1,6 millions d’euros.

Sur la route. 44 agents sont concernés par ce déménagement. Le personnel du CNRS Images ainsi que celui du service concours, en manque de locaux prêts à les accueillir, ont dû se replier sur la partie Est du site. Le CNRS Images a dû trouver dans la hâte des locaux réfrigérés pour y déposer ses archives. Et les concours de recrutement du CNRS, débutés le 27 février à peine un mois après l’annonce de la vente, ont vu leur organisation totalement chamboulée. Bien que certaines sections de jurys aient pris l’habitude depuis plusieurs années d’organiser les audiences hors des locaux meudonnais, pour certaines il a fallu en quelques semaines trouver des salles disponibles qui permettaient d’accueillir les candidats dans de bonnes conditions. Malgré la réorganisation de dernière minute, les concours semblent finalement avoir pu débuter sans encombres.

« Une partie de nos activités vont rester en suspens (…) donc notre fonctionnement sera dégradé pendant plusieurs mois »

Des agents CNRS

Un peu de lumière. La DT de l’INSU a de son côté dû trouver des locaux pour accueillir l’intégralité de l’équipe jusqu’à la livraison des nouveaux bâtiments, pour l’instant en rénovation, normalement prévue entre juin et septembre 2023. « Heureusement, les locaux à Gif qu’on nous avait proposés en 2021 étaient encore disponibles », nous explique-t-on au sein de la DT. « On a vraiment eu beaucoup de chance parce que le service technique de la délégation qui nous accueille a été super réactif pour faire en sorte qu’on arrive dans un bâtiment viable. C’était vraiment très appréciable et très apprécié. » Un coup de chance, oui, mais qui ne prive pas pour autant l’équipe d’un déménagement lourd de conséquences.

Pause à durée indéterminée. Car une fois les nouveaux locaux trouvés, il fallait encore y transbahuter en un temps record tous les équipements de recherche. « Nous étions vraiment tiraillés : d’une part nous avions envie de laisser l’organisme se débrouiller avec les conséquences de ses décisions et d’autre part nous ne voulions pas prendre le risque que ce soit fait n’importe comment et qu’ils abîment nos outils de travail », explique les agent de la DT. Certains équipements se trouvent ainsi à présent dans les cartons et dans l’impossibilité d’être réinstallés, par manque de lieu adapté. « Une partie de nos activités vont rester en suspens jusqu’à ce qu’on ait intégré le nouveau bâtiment. Et une fois installés, il faudra encore tout remettre en route, donc notre fonctionnement sera dégradé pendant plusieurs mois ».

« On espère que ça ne donnera pas envie aux agents de changer de laboratoire »

Des agents CNRS

Silence radio. « Nous travaillons pour préserver au maximum les conditions de travail de la quarantaine de personnes concernées ainsi que pour limiter au maximum l’impact sur les activités scientifiques et administratives concernées », nous explique le CNRS. Pourtant, s’ils ont conscience du soutien de leurs collègues, les agents n’ont pas tout à fait le même ressenti lorsqu’il s’agit de leurs supérieurs hiérarchiques. « C’est seulement quand on leur pointe du doigt certaines choses par écrit qu’ils commencent à réagir », raconte les agents de la DT. Un exemple : l’absence de médecine du travail sur le site de Meudon depuis plusieurs mois, résolue depuis, malgré les demandes répétées des agents face au nombre d’heures sup’ grandissant avec l’organisation du déménagement. 

Coup au moral. Des conséquences sur le travail, sur la santé mais aussi sur la vie quotidienne. Certains avaient ainsi établi leur lieu de vie près de Meudon, ou en fonction des transports desservant Bellevue, et se voit obliger de tout réorganiser – achat d’une nouvelle propriété, d’une voiture, ou temps de transport plus long. « On espère que ça ne donnera pas envie aux agents de la DT de changer de laboratoire sinon on aura du mal à s’en relever », expliquent les agents. 

« Le collectif des agents de l’unité a permis de réaliser cette opération (…) parce que l’on est resté très solidaires »

Des agents CNRS

Contradiction. Une situation d’autant plus difficile à accepter pour des passionnés de leur travail. « De voir comment notre organisme estime ça à pas grand-chose, puisque ce n’est apparemment pas un problème de le déplacer ou le dégrader, c’est très difficile à accepter », raconte les agents de la DT. Des projets pourtant labellisés « EquipEx+ » depuis 2021, gage de projets d’avenir et d’excellence souvent mis en avant par l’Élysée. Mais, puisqu’il n’avait pas d’autre choix, les agents ont réalisé une tâche qui semblait impossible, au prix de longues heures de travail supplémentaires, partiellement indemnisées. « Le collectif des agents de l’unité a permis de réaliser cette opération dans les temps et uniquement parce que l’on est resté très solidaires », concluent les agents de la DT. Des projets qui resteront en grande partie dans les cartons jusqu’à la disponibilité des nouveaux locaux puisque, malgré toutes les contestations et tentatives de suspension, la vente a bien été signée mi-mars. Le début des travaux ne saurait donc tarder.

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