Créer sa revue : ils et elles l’ont fait (Ep.2)

Second volet de notre enquête sur les épirevues, qui ont permis à des chercheurs de toutes disciplines de s’affranchir, partiellement, des grands éditeurs.

— Le 28 avril 2023

Créer sa revue sur le modèle des “épirevues” – l’épisode 1 vous a peut-être donné envie – oui mais comment ? Certains d’entre vous ont peut-être déjà une expérience d’éditeur, ce qui est un bon point de départ. « D’autres partent de zéro, sans savoir tout à fait par quel bout prendre la chose », témoigne Céline Barthonnat, chargée de l’accompagnement des revues chez Episciences. Rien d’évident en effet : « Il faut se poser les bonnes questions, notamment au niveau du cadre légal et juridique à donner à la revue, explique-t-elle. Par exemple, mettre en place un contrat d’édition entre l’éditeur et les auteurs permet de sécuriser chacune des parties ». Le fait est que beaucoup de revues ont longtemps fonctionné sans, dans un vide juridique. 

« Avec Episciences, on a l’assurance que les publications seront toujours accessibles »

Jens Gustedt

Droit d’inventaire. Rassurez-vous, il est toujours possible de faire évoluer la structure de la revue en cours de route. La géographe Marion Maisonobe a trouvé très enrichissantes les discussions avec les autres membres du comité éditorial de la revue ARCS – Analyse de réseaux en sciences sociales pour décider des règles très détaillées de son fonctionnement – avec trois cercles de chercheurs impliqués à différents niveaux, une interdiction pour certains de soumettre des papiers, etc. Elle reconnaît néanmoins aujourd’hui qu’ils avaient créé « une grosse machine par rapport à l’activité encore restreinte de la revue ». Après une petite pause due à l’éloignement de l’équipe durant la Covid – mais aussi, soyons honnête, par manque de soumissions –, la revue a repris du service en 2022. « La structure de la revue est dorénavant plus simple et les prises de décisions plus rapides », témoigne-t-elle. 

À 360 degrés. Episciences n’apporte pas qu’un accompagnement éditorial et juridique – d’ailleurs plutôt récent – mais aussi, et c’était son but premier, une solution d’hébergement. C’est ce qui a motivé l’équipe de Discrete Mathematics & Theoretical Computer Science, à l’époque totalement autonome, à finalement passer chez Episciences en 2016 : « Le logiciel de gestion Open Journal Systems que nous utilisions à l’époque nous convenait parfaitement mais nous devions gérer nous-mêmes les serveurs, la base de données… C’était beaucoup de boulot, pour lequel il est préférable d’avoir un professionnel qui gère », raconte Jens Gustedt. L’archivage au niveau national est également pour lui très important : « Avec Episciences, on a l’assurance que les publications seront toujours accessibles ».

« Il est crucial que les chercheurs aient leurs propres outils »

Raphaël Tournoy

Expérience utilisateur. Les créateurs de revue, beaucoup de matheux à l’origine, semblent prendre facilement en main le logiciel de gestion éditoriale, testent en toute autonomie et échangent avec l’équipe technique d’Episciences, mais aussi avec celle de l’Inria – près d’une dizaine de personnes en tout. Après avoir essuyé les plâtres, Jens Gustedt reconnaît que la plateforme s’est grandement améliorée, en prenant en compte les retours des utilisateurs. Un service qui satisfait aujourd’hui totalement Olivier Faugeras, éditeur en chef de Mathematical Neuroscience and Applications : « L’interface est beaucoup plus simple que celle de Springer ! », témoigne le chercheur qui a claqué la porte du géant de l’édition scientifique – relire notre premier épisode.

Trandisciplinaires. « À l’écoute des communautés », c’est ainsi que se définit Raphaël Tournoy, responsable de l’accompagnement technique au sein d’Episciences : « Nous avons parfois des demandes particulières, notamment sur la gestion des jeux de données ou les métadonnées qui permettent le référencement des revues. » Née au sein de la communauté des mathématiques, Episciences essaie aujourd’hui de s’adapter aux usages d’autres disciplines. Raphaël Tournoy et son équipe travaillent donc au branchement à d’autres archives ouvertes comme bioRxiv ou medRxiv pour la soumission des articles – qui se fait actuellement via HAL, arxiv ou Zenodo.

« Dans certains pays, notamment en Italie, si la revue n’est pas référencée dans Scopus, la publication n’existe pas »

Benoît Claudon

C’est toi le produit. Avoir la main sur sa revue et les données qu’elle génère est aussi un geste militant en soi. Si les maisons d’éditions privées bénéficient gratuitement du travail des chercheurs, elles s’adonnent aussi au “tracking” des chercheurs, récoltant des données qu’elles peuvent utiliser pour maximiser leurs profits, par exemple en lançant de nouvelles revues en fonction des dernières consultations. Dans ce contexte, « il est crucial que les chercheurs aient leurs propres outils », explique Raphaël Tournoy. Indépendance donc, mais toujours avec un besoin d’être en réseau.

Jouer le jeu. Le référencement est en effet un enjeu de taille pour ces jeunes revues indépendantes. Certains de leurs éditeurs snobent l’impact factor, contraire à l’éthique de la science ouverte ; la mesure, produite par le géant Clarivate, reste le symbole d’une évaluation purement bibliométrique des chercheurs. Mais la plupart souhaitent tout de même être référencés dans les bases internationales les plus connues comme Scopus ou Web of Science. « Dans certains pays, notamment en Italie, si la revue n’est pas référencée dans Scopus, la publication n’existe pas pour les dossiers de promotion », témoigne Benoît Claudon. Mais pas si facile d’intégrer les plus grandes bases pour une revue naissante : il faut plusieurs années d’existence et un certain nombre de publications par an pour espérer y figurer. Le référencement dans d’autres comme le Directory of Open Access Journals (DOAJ), recensant plus de 18 000 revues en accès ouvert, ou encore des bases disciplinaires, parfois tenues par des sociétés savantes, peut être une étape intermédiaire. Chaque demande prend du temps et exige la constitution d’un dossier, pour lequel Episciences aide, en plus de conseiller sur la conformité des métadonnées.

«On ne voulait pas que open access rime avec mauvaise qualité [graphique] »

Maurine Montagnat

Viens, on est bien. Convaincre les collègues de soumettre leurs papiers reste le nerf de la guerre. Beaucoup de revues jouent la carte de la niche, ne faisant de concurrence ni n’étant concurrencée par aucune autre revue  qu’elles soient à cheval entre plusieurs disciplines, comme ARCS, ou bien sur un domaine bien particulier, comme EpiDEMES. De plus, « une revue autogérée par les chercheurs possède un gros capital sympathie », témoigne Benoît Claudon de la revue Épijournal de Géométrie Algébrique qui ne semble pas observer de difficultés à attirer des soumissions. Dans les disciplines autres que les maths et l’informatique, toutefois, la mise en pratique est moins évidente. En effet, s’ils soutiennent l’idée, au moment de publier, les collègues sont souvent rattrapés par le vieux réflexe de choisir une revue traditionnelle et plus connue dans la communauté. Une décision motivée par des considérations très pragmatiques, comme garnir le CV des doctorants et postdocs de l’équipe – qui ont parfois bon dos. 

Avance de phase. « On se heurte au fait qu’en France, on est assez pionniers », analyse Maurine Montagnat, membre de l’équipe fondatrice de la revue Journal of Theoretical, Computational and Applied Mechanics. Au sein d’une communauté relativement conservatrice, l’équipe innove au niveau éditorial, proposant de publier les échanges avec les reviewers et les données sources, le tout avec une mise en page soignée, qui leur prend du temps  : « On ne voulait pas que open access rime avec mauvaise qualité [graphique, NDLR], comme c’est parfois le cas dans des revues de chez MDPI ou autres », explique Maurine Montagnat.

« En dix ans d’existence, le modèle a montré sa pérennité »

Laurent Romary

Faire ses preuves. Créer sa revue est chronophage, c’est certain. Cela ferait-il hésiter les chercheurs à se lancer ? Céline Barthonnat reconnaît que le problème, présent dans toutes les disciplines, est particulièrement marqué en sciences humaines et sociales : « La diffusion des connaissances fait partie des missions des chercheurs, pourtant, l’investissement dans une revue n’est pas vraiment valorisé, même si ça tend à s’améliorer ». Pour Laurent Romary, aujourd’hui directeur de la culture et de l’information scientifiques à l’Inria, c’est le sérieux de la plateforme d’hébergement, en l’occurrence Episciences, jouant sur l’image finale de la revue, qui va décider les chercheurs. « En dix ans d’existence, le modèle a montré sa pérennité », estime-t-il, confiant.

L’heure du bilan. Les créateurs de ses revues considèrent-ils (ou elles) l’opération comme un succès ? C’est un “oui” à l’unanimité pour tous les interviewés. « Ce n’est pas un succès stratosphérique mais ça marche. Epiga fait partie du paysage », répond modestement Benoît Claudon, sept ans après le début de l’aventure. Parmi les plus jeunes revues, le besoin de pérennité se fait sentir : « Nous avons bon espoir que ça va marcher, même si certains doutes », explique Hussein Sabra. Mais la satisfaction de contribuer à faire bouger les lignes est largement partagée. Jens Gustedt se réjouit que sa revue soit « accessible à tout le monde, pour les Européens mais aussi en Afrique, en Iran, partout où les universités n’ont pas l’argent d’acheter les revues ». Maurine Montagnat est l’une des plus enthousiastes : « Le succès est à la fois humain – on s’entend bien dans l’équipe, les réunions sont très joyeuses – et philosophique – pour le commun de la connaissance. Je suis hyper fière de mettre mon énergie là-dedans et de faire sans les grands éditeurs ».

Episciences, ok… et les autres ?

Toujours dans la mouvance science ouverte, d’autres structures publiques d’hébergement des revues existent, comme OpenEdition, relativement connu dans les sciences humaines et sociales avec plusieurs centaines de titres, ou le Centre Mersenne, diffusant une vingtaine de revues en mathématiques.

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