Tempêtes sous des crânes.
Au départ, une pétition. Vous vous souvenez peut-être du cas de Christine Fassert, licenciée pour insubordination par l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), dont les travaux ont été relus et modifiés par l’Institut. Cette histoire a une suite : seize chercheurs, la plupart en sciences humaines et sociales (SHS), l’ont soutenu dans cette tribune parue début janvier.
Under control. Le cas de Christine Fassert serait en effet loin d’être isolé : « Notre tribune est un cri d’alerte sur une situation vécu par de nombreux chercheurs ayant eu des liens avec les agences nucléaires », analyse Sezin Topçu, sociologue au CNRS, à l’origine de la tribune. Que dénoncent ses signataires ? « [Le] contrôle que veulent exercer ces agences sur tous types de travaux menés en sciences sociales. »
Un pouvoir illégitime ? Si cette règle de relecture par la direction est écrite noir sur blanc dans les contrats liant l’IRSN à ses agents, « il n’est écrit nulle part qu’ils puissent intervenir dans les résultats, par exemple ceux d’un programme de recherche financé par l’ANR comme Agoras [Plus de détails sur Agoras ici, NDLR] ». Et pourtant, des chercheurs témoignent de cette « auto-attribution de pouvoir ».
« Le cas de Christine Fassert montre une confrontation avec sa hiérarchie autour des résultats de sa recherche, renforcée par des règles comme la relecture de toutes publications produites par les agents de l’IRSN. »
Sezin Topçu, sociologue (CNRS)
« Dans les colloques, je disais pour rire à Christine Fassert qu’elle était “l’œil de l’IRSN”. Cette mauvaise blague exprimait maladroitement le malaise que nous ressentions tous car elle avait en fait déjà perdu sa liberté. »
Francis Chateauraynaud, sociologue à l’EHESS
Pris au piège. « C’est toujours la même stratégie : au début, la séduction – « vous êtes libre » – et à la fin, cela tend vers une forme de censure, ou plutôt de reprise de contrôle », résume Francis Chateauraynaud, co-auteur de la tribune. Et certains sont prisonniers du “système”, en particulier les employés d’organismes comme l’IRSN ou d’entreprises comme EDF.
Guerre médiatique. C’est pour eux que les signataires de la tribune prennent position. « Si on laisse ce discours [celui de l’IRSN, NDLR] devenir vérité, nous risquons de mettre en danger les conditions de travail, en particulier celles des jeunes chercheuses et chercheurs qui ne bénéficient pas des quelques bourses du CNRS ou du ministère », alerte Sezin Topçu. Et ceci ne concerne pas que la sociologie mais aussi l’anthropologie, l’histoire, la philosophie…
Acceptologie. « Les attentes de la part des acteurs techno-industriels sont souvent de voir les sociologues se comporter en “acceptologues”, en cas de contestation de leurs activités », constate Sezin Topçu. Étudier les groupes militants, OK, mais les instances officielles, attention. Mais à l’évidence, pour les deux sociologues, la gestion du nucléaire doit aussi pouvoir être étudiée.
100% public ? « Aujourd’hui le système est hybride, avec un mélange de financements publics et privés, qui ne satisfait personne », analyse Francis Chateauraynaud. Des financements entièrement publics seraient la solution : « Il faudrait un système plus vertueux qui garantirait la liberté de recherche – et de critique quand c’est nécessaire ». Pour le nucléaire, mais aussi pour d’autres sujets qui « fâchent » comme les violences policières ou les conflits armés.
Une affaire toujours en cours L’étape de conciliation avec l’IRSN s’étant soldée par un échec, Christine Fassert est dans l’attente du jugement qui sera rendu par les Prud’hommes en octobre. Elle espère obtenir un dédommagement financier car retrouver un travail à 56 ans n’est pas chose aisée, qui plus est dans l’académie. Aujourd’hui, la sociologue donne des cours à l’université dans le cadre de vacations.