Élodie Vercken : « Le mouvement Scientifiques en Rébellion est pour l’instant très protéiforme »

— Le 18 mars 2022
­Directrice de recherche à l’Inrae, cette écologue, fatiguée d’expliquer vainement la science aux politiques, est passée à l’action.­­­­­ 

Si vous avez raté le début  Né en 2020 autour d’activistes britanniques, le mouvement écologiste Scientist Rebellion est inspiré – vous le devinez sans mal – par son grand frère Extinction Rebellion, bien connu pour ses actions de désobéissance civile. Sa version scientifique s’est élargie, internationalisée et compte aujourd’hui plus de 1000 chercheuses et chercheurs impliqués dans au moins viingt pays différents dont un réseau en France. Des actions sont prévues en avril prochain.­­­

Pourquoi êtes-vous entrée dans le mouvement Scientifiques en Rébellion ?

Par frustration de voir que les choses n’avancent pas suffisamment vite, même dans le monde de la recherche. Certaines évidences pour moi, comme ne plus prendre l’avion, ne le sont malheureusement pas pour mes collègues. Si ne nous sommes pas capables d’être vertueux, comment voulons-nous être entendus ? Cela crée une véritable dissonance cognitive : on alerte mais on n’effectue aucun changement dans nos comportements.

Les scientifiques doivent-ils montrer l’exemple ?

Oui, déjà parce que nous sommes des citoyens comme les autres. Et il faut que cesse cette désinvolture, cette impression qu’on donne d’être au-dessus de la mêlée. Certains chercheurs ont une très haute opinion de l’utilité de leur travail qui les dispenserait de faire des efforts sur leur empreinte carbone, par exemple. Selon moi, le modèle productiviste de la recherche – multiplier les conférences internationales, les publications, les projets de recherche – est aussi à remettre en cause.

L’objectif du mouvement est-il la désobéissance civile ?

Scientifiques en Rébellion est pour l’instant très protéiforme, avec une ligne pro désobéissance civile et une autre plus centrée sur la communication par les scientifiques. Les chercheurs ont des habitudes de bons élèves et c’est dur de les mobiliser. Mais lorsque des scientifiques ont été arrêtés suite au blocage d’un pont durant la COP26, il y a eu un effet rebond et les universitaires britanniques ont largement réagi. Personnellement, voir des collègues se mettre ainsi en danger m’a beaucoup émue. C’était un symbole fort.

Et que répondez-vous à ceux qui veulent garder une posture de scientifique neutre ?

C’est un débat que nous avons régulièrement entre collègues… À ceux qui invoquent le mythe de la neutralité scientifique, je réponds que nous avons une responsabilité. De plus, en tant qu’écologue, nous avons une relation d’affect avec notre objet de recherche qu’est la nature. Enfin, on ne peut pas se reposer sur les politiques : j’étais experte pour le ministère de l’Écologie et j’ai vu ces hommes en cravates nous écouter mais faire tout l’inverse de ce que nous recommandions. On dit souvent que les politiques sont mal informés mais il s’agissait bien de choix délibérés. Toute cette énergie pour n’être au final qu’une caution scientifique… Je n’y crois plus.

Des actions sont prévues pour le mois d’avril. Pouvez-vous en dire un mot ?

Les 4 et 5 avril prochains, coïncidant avec la sortie du troisième volet du rapport du GIEC, des actions  de désobéissance académiques sont prévues. Cela peut consister à changer le contenu de cours, faire grève ou occuper les campus. Nous pensons que le rôle de l’université est de préparer les citoyens à vivre dans un monde différent pour limiter notre impact. J’avais donné devant des ingénieurs un cours sur l’effondrement de la biodiversité qui les avait beaucoup touché. Cela fait partie des sujets dont les étudiants en lettres n’entendent jamais parler, alors qu’il faudrait au contraire les enseigner dans toutes les formations.­



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