Être intègre à l’Inserm

Une enquête auprès des personnels de l’institut de recherche biomédical détaille les avancées et les défis à relever au sein de cet organisme en pointe sur la question.

— Le 8 mars 2024

Si les Français sont régulièrement interrogés sur leur vision de la science – c’était notamment l’objet de l’enquête Sapiens en 2022, les scientifiques sont moins sollicités. De fait, « interroger les personnels de l’Inserm sur la science est inédit », se félicite Ghislaine Filliatreau, référente intégrité scientifique de l’organisme. L’enquête menée par une équipe de sociologues du Groupe d’étude des méthodes de l’analyse sociologique de la Sorbonne (GEMASS), dont les résultats viennent d’être publiés, est donc à marquer d’une pierre blanche. 

« Nous ne sommes pas des ouvriers à la chaîne de la science »

Hervé Chneiweiss

Des bouquets de roses. 1240 personnels de l’Inserm (16,5 % des effectifs) ont répondu entre mi-juin et fin septembre 2023 au questionnaire concocté par l’équipe de Michel Dubois et Catherine Guaspare – qui avait réalisé une enquête similaire au CNRS en 2022. Premier résultat marquant : seul un tiers des répondants déclare s’interroger régulièrement sur les conséquences éthique, morale ou politique de ses recherches… et un autre tiers ne jamais le faire. Voilà qui peut surprendre, d’autant que près de neuf sondés sur dix déclarent être motivés par le désir de « rendre service à la société » et celui de contribuer à changer le monde.

Chaque jour. Et pourtant traiter de questions éthiques est une préoccupation majeure à l’Inserm, atteste Hervé Chneiweiss, président de son comité d’éthique : « Notre démarche incite à intégrer dès la conception d’un projet les questions éthiques, comme l’accessibilité des traitements. Les nouveaux, en particulier ceux issus de l’édition du génome, peuvent atteindre des sommes exorbitantes. » Mais la réflexion éthique n’est pas forcément quotidienne au labo : « La matière arrive lors de l’élaboration d’un nouveau projet, l’obtention de résultats définissant une nouvelle orientation… », cite en exemple Hervé Chneiweiss. Le comité d’éthique Inserm a pour mission principale de donner des outils et de la matière à penser aux personnels de l’Inserm, notamment au travers de notes.

« Faire évoluer la culture de la recherche est un processus qui prend du temps »

Catherine Coirault

L’an 01. Prendre le temps de la réflexion est parfois crucial, comme l’explique Hervé Chneiweiss : « Suite à la découverte terrifiante que certains virus pouvaient induire des cancers, Paul Berg [biochimiste américain, prix Nobel de chimie en 1980 pour ses travaux sur les acides nucléiques, NDLR] a suggéré en 1975 de tout arrêter pendant un an pour élaborer des mesures de sécurité. Ce qui a conduit aux normes P2, P3, P4 qu’on connaît aujourd’hui… S’ils n’étaient alors qu’une centaine dans le monde à manipuler ces virus, des milliers d’étudiants de master utilisent maintenant CRISPR/Cas9 pour éditer le génome. Tel Spiderman, de grands pouvoirs nous donnent de grandes responsabilités ! » 

Agenda de ministre. Auriez-vous un peu trop le nez dans le guidon ? Parmi les répondants à l’enquête du Gemass, près des deux tiers estiment ne pas avoir suffisamment de temps pour accomplir toutes leurs tâches et moins d’un sur cinq affirme pouvoir « conduire ses recherches sans devoir répondre fréquemment à des appels d’offres ». « La pression à produire des résultats en grande quantité pour publier dans des revues prestigieuses et de la bureaucratie numérique sont bien présentes », avoue Hervé Chneiweiss. Mais elles ne doivent servir de prétextes : « Nous ne sommes pas des ouvriers à la chaîne de la science », estime-t-il. 

« La communauté scientifique doit montrer qu’elle est capable de s’impliquer réellement »

Yves Moreau

Compter sur vous. Le risque d’une perte de confiance du grand public envers la recherche semble toucher à vif les personnels de l’Inserm ayant répondu à l’enquête : neuf sur dix considèrent qu’une crise existe. Pourtant, la confiance des Français en la “science” – on dirait ici plutôt la recherche – est au plus haut : 81% aux dernières nouvelles, un chiffre relativement stable depuis 2021. « La communauté scientifique doit montrer qu’elle est capable de s’impliquer réellement », invite le bioinformaticien Yves Moreau, lanceur d’alerte autour de l’implication de chercheurs dans la surveillance de la population ouïghoure en Chine – relisez notre interview. Il rappelait récemment dans les colonnes de Science que l’éthique n’est pas qu’une case à cocher. 

Péril jeune. Maintenir la confiance dans la science est également une motivation à être intègre, révèle l’enquête de Michel Dubois et ses collègues. C’est du moins ce que répondent neuf sondés sur dix, une proportion encore plus grande chez les moins de 40 ans contractuels – vous aurez reconnu comme nous les postdocs. Ces jeunes chercheurs sont également les plus humbles : alors 27% d’entre eux déclarent avoir une connaissance suffisante des « règles et valeurs de l’intégrité scientifique », la proportion montant à 40% chez les plus de 60 ans – n’ayant probablement jamais suivi de formation sur le sujet. Un phénomène que soulignait également l’enquête auprès des personnels CNRS

« Les différences relatives marquent l’importance des enjeux »

Michel Dubois, Gemass

Make sense. « Ce résultat est rassurant : alors que l’habitude émousse l’acuité, ces questions sont fraîches dans l’esprit des plus jeunes », estime la référente intégrité scientifique Ghislaine Filliatreau. Les écarts sont également marqués entre les différents corps de métier : seulement 6% des techniciens semblent être familiers avec l’intégrité. Observant une telle prise de conscience, notamment chez les jeunes, Catherine Coirault, chercheuse à l’Inserm et impliqué dans le programme LORIER (voir encadré) se veut optimiste et espère que les actions en cours leur permettront également de redonner du sens à leurs métiers – des scientifiques en parlaient justement dans les colonnes de Nature.

Paille et poutre. Reste un fossé entre la vision plutôt positive des répondants sur leur propre comportement et l’impression que leur pairs adoptent régulièrement des comportements discutables – questionable research practices, en anglais. Ainsi, « ne pas expliciter les détails méthodologiques et protocoles dans les publications ou projets » n’est avoué que par 6,2% des sondés… mais 45,6% pensent que leurs collègues le font. Les auteurs de l’enquête alertent : à croire qu’ils sont les seuls à jouer le jeu de l’intégrité et que les mauvaises pratiques sont tolérées, les scientifiques, pourtant attachés à l’intégrité, pourraient bien être tentés de passer du côté obscur de la force…

« On se croit toujours plus vertueux que les autres »

Ghislaine Filliatreau

Vers le mieux. « Ce jeu d’opposition entre soi et autrui est courant, c’est un levier psychologique qui intervient fréquemment dans la construction de nos identités personnelles mais aussi professionnelles », tempère le sociologue Michel Dubois. « Les études le montrent : on se croit toujours plus vertueux que les autres », renchérit Ghislaine Filliatreau. Et cela dans tous les domaines : vous estimez que vous triez bien vos déchets mais que vos voisins ont des progrès à faire – car vous retrouvez toujours des cartons dans la mauvaise poubelle, n’est-ce pas ? 

Dura lex, sed lex. Toujours est-il que cet écart varie grandement selon les items : « Les différences relatives marquent l’importance des enjeux », interprète Michel Dubois. Ainsi, « ne pas tenir régulièrement le cahier de laboratoire » ne semble pas être au centre des préoccupations : environ un tiers déclare le faire régulièrement et pareil pour autrui – dommage pour celles et ceux qui militent et mettent en place les cahiers de laboratoire électroniques dont on vous parlait dans cette analyse. Si les limites entre pratiques intègres ou non restent un peu floues, la référente intégrité de l’Inserm Ghislaine Filliatreau se félicite qu’une « vision conséquentialiste de l’intégrité » soit inscrite dans le code de la recherche depuis décembre 2020 : « “Appuyez-vous sur ce que vous voulez mais produisez une recherche honnête et rigoureuse” dit la loi en substance. » 

Lancé en 2020, le programme LORIER (L’organisation pour une recherche Inserm éthique et responsable) fait converger des structures existantes au sein de l’Inserm (Comité d’évaluation éthique, Collège de déontologie…) associés à des chercheurs et des cadres administratifs avec pour objectif de « développer une culture commune de recherche éthique et responsable ». Mais « faire évoluer la culture de la recherche est un processus qui prend du temps », observe Catherine Coirault qui, attirée par le lancement du programme LORIER, consacre aujourd’hui 60% de son temps à LORIER et à l’intégrité scientifique. Ateliers de sensibilisation en régions, co-construction, retours des personnels sur les problèmes rencontrés… LORIER revendique une approche “bottom-up”.

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