Certaines des mesures les plus médiatisées de la “grande” loi votée en 2020 sont sous exploitées voire inutilisées.
Frédérique Vidal, ministre pendant cinq ans de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, a disparu de la circulation. Elle qui a été l’architecte de ce texte finalement voté et publié en décembre 2020 n’a pas souhaité le défendre, malgré l’insistance de son entourage, devant la commission sénatoriale sensée faire un premier bilan de « son » texte et qui a rendu ses conclusions début juillet. L’inventaire à la Prévert de cette loi partagée entre investissements à la portée discutable, dispositions inflammables — chaires junior, embauche des maîtres de conférence… — et les nombreux heurts qui l’ont accompagnés ne rend de fait pas l’inventaire aisé pour ses successeurs.
« Les chaires junior devaient changer le monde mais pour l’instant, elles vivotent »
Laure Darcos
Programmation. 25 milliards sur dix ans entre 2021 et 2030 grâce à la loi Recherche, la communication gouvernementale a martelé cet élément de langage sans recul. Or ce que certains, dont le président de la commission des Finances Jean-François Rapin, craignaient déjà en 2020 semble se réaliser : les investissements promis sont grignotés par l’inflation. Avec des prévisions au plafond pour 2022 — +5,8% en juin 2022—, les 25 milliards promis seront de facto réduits à peau de chagrin. Pour y remédier en partie, étaler ces sommes sur 7 ans au lieu de 10 ans est encore dans les têtes de certains parlementaires, dont les sénateurs Laure Darcos et Stéphane Piednoir, ou le député Philippe Berta, récemment réélu et nommé aux Affaires sociales à l’Assemblée. Mais si revoyure il y a sur ce point, ce ne sera pas avant l’automne 2023.
Dans le placard. Au rayon des insuccès (pour les satisfecits, voir l’encadré), les sénateurs pointent notamment deux mesures qui avaient fait couler beaucoup d’encre et de salive : les chaires de professeur junior (nous vous en parlions) et les contrats de mission (nous vous en parlions également). Pour les seconds, vendus à grand renfort de témoignages de chercheurs notamment lors de la cérémonie des 80 ans du CNRS et sensés contourner la limite de six ans pour l’embauche de personnels imposée par la loi Sauvadet, c’est carrément un zéro pointé. « Aucun établissement de recherche n’a, selon les informations recueillies, encore ouvert de CDI de mission, il faudrait soit les supprimer soit les modifier », résume Stéphane Piednoir. L’ESR ne manque décidément pas d’imagination en matière de contrats de travail (en voici une liste non exhaustive).
« Pour qu’une expérimentation soit porteuse, il faut qu’elle soit mise en acceptée et mise en œuvre. »
Stéphane Piednoir
Un de plus, rien de moins. Si l’on s’intéresse maintenant au cas des chaires de professeur junior, un autre rejeton de la loi Recherche, elles « devaient changer le monde mais pour l’instant, elles vivotent », résume crûment Laure Darcos. 92 chaires dont 74 pour devenir professeur des universités et 18 pour devenir directeur de recherche ont été accordées lors de la première vague en 2021. 137 ont été sélectionnés, dont 88 dans des établissements d’enseignement supérieur et 49 dans des organismes de recherche pour l’année 2022. Un démarrage en demi-teinte, donc, et toujours dans un climat de défiance.
Régime d’exception. Toujours au rayon « ressources humaines », un dernier alinéa de la loi Recherche viendra encore tester les nerfs de la communauté académique. Son vote en catimini en dernière minute, suite à un amendement jugé scélérat par beaucoup de chercheurs — et certainement téléguidé par le ministère en 2020 malgré ses dénégations — en fait un dossier miné pour Sylvie Retailleau. Pour rappel, il s’agissait à la fois de supprimer l’étape de la qualification pour devenir professeur — ce qui est acté depuis février dernier — et d’expérimenter pendant quatre ans sa suppression à titre expérimental pour l’embauche de maîtres de conférence. Une mesure laissée en jachère pour le moment. « Pour qu’une expérimentation soit porteuse, il faut qu’elle soit acceptée et mise en œuvre », selon Stéphane Piednoir, l’auteur de l’amendement en question.
« Nous continuerons à revaloriser et simplifier le métier de chercheur »
Elisabeth Borne
Reste les impensés. Ce sont des acronymes que les connaisseurs de l’ESR connaissent par cœur : le GVT pour glissement vieillesse technicité ou la gestion des UMR (unités mixtes de recherche). Ces questions non abordées dans la loi Recherche sont pourtant considérées comme centrales par les sénateurs. Techniques, politiques, stratégiques, bref fondamentaux, ces chantiers n’ont pas réellement entamés pour le moment. La nouvelle ministre, dont la nomination en a satisfait beaucoup, aura donc besoin de tout le sens politique que ses afficionados lui prêtent pour résoudre la quadrature de ces cercles.
Sortir du bois. Sylvie Retailleau, de facto affectée au service après vente d’un texte dont elle a fustigé les « usines à gaz », va devoir trouver un chemin dans les coins sombres de la loi Recherche. Surfant sur un climat social plus apaisé, elle a nommé Pierre Mutzenhardt comme conseiller spécial à son cabinet avec la demande expresse de mettre en œuvre ce qui reste de la LPR et surtout de simplifier le système. Une gageure. La ministre doit justement être auditionnée sur ces sujets — et d’autres — le 20 juillet par les sénateurs. L’occasion de sortir du flou relatif de ses interventions publiques sur ces sujets.
Au rayon des satisfecits
Si les sénateurs n’ont pas hésité à appuyer là où cela faisait mal — nous n’avons notamment pas abordé le volet évaluation de la recherche —, ils décernent également quelques bons points à la loi Recherche, malgré des retards préjudiciables dont la cause est à chercher du côté de Bercy. C’est notamment le cas du volet Sciences avec et pour la société (SAPS) de cette loi, après plusieurs vagues de labellisation SAPS des établissements candidats et la répartition des moyens financiers déjà engagée depuis plusieurs mois.