Hervé Maisonneuve : « Le coupable, c’est le système »

— Le 24 avril 2020




A 70 ans, ce médecin de formation aux nombreuses casquettes n’abandonne pas sa passion : les publications scientifiques. Depuis 2009, il anime sans langue de bois le blog Rédaction médicale et scientifique.

Vous suivez de près les affaires de fraudes dans les publications. Qui est le principal coupable d’après vous : auteurs, reviewers, éditeurs ? 

C’est le système qui pousse les acteurs à jouer le jeu de la course à la publication. Et tout le monde le joue. Les auteurs embellissent leurs articles en suivant des pratiques douteuses. Les revues sont en compétition à la recherche du « hot paper ». Les reviewers, quant à eux, n’ont tout simplement pas le temps de bien lire. Certains deviennent carrément malhonnêtes — environ 5 à 10 % d’entre eux. Mais le coupable, c’est le système. La plupart des chercheurs sont honnêtes au début de leur carrière, puis voient se passer des choses et personne autour ne dit rien. Les dérives commencent ainsi.

Peut-on espérer une recherche plus intègre grâce aux jeunes chercheurs ? 

Je pense que nous sommes en haut du pic en termes de fraudes et de pratiques douteuses, et que ça va redescendre. Les fraudes sont rares mais médiatisées, alors que les pratiques douteuses sont fréquentes mais la communauté ferme les yeux. Les jeunes l’ont compris et un dialogue s’ouvre. La situation ne bougera pas du jour au lendemain – plutôt à l’échelle de 10 ans – mais elle évolue. Un exemple d’initiatives qui vont dans le bon sens, ce sont les Registered Reports. Il y a déjà 242 revues qui s’y sont mises, en sciences cognitives au début. Des disciplines comme la physique seraient plus intègres car plus ouvertes et collaboratives, et ce depuis longtemps.

Passons à l’affaire Raoult (on est bien obligé) : qu’est-ce qui vous a le plus choqué ? 

Deux choses. Tout d’abord, la complaisance entre pro et anti-Raoult,  au niveau des chercheurs ou des institutions. Par exemple, le président de l’Université Aix-Marseille aurait pu nommer une commission pour vérifier comment Didier Raoult et son équipe avaient conduit leurs recherches. Une ré-analyse par une équipe indépendante aurait été utile. Ce sont des choses simples, mais qui n’ont pas été faites. La deuxième chose qui m’a choqué est le fait que le débat ait été dominé par des journalistes et des politiques incompétents en science. Le summum a été atteint avec le sondage du Parisien et la pétition à l’initiative d’hommes politiques.

La crise du Covid-19 engendre une explosion des preprints, surtout en biologie et dans le médical. Y a-t-il un danger ?


Au contraire, c’est un énorme progrès ! Je suis très en faveur du preprint. Et c’est en effet “grâce” au Covid qu’il prend de l’ampleur en médecine. En réalité, le preprint date de 1991 – il a démarré en physique avec arxiv –, mais sa version médicale, medRxiv, a ouvert seulement mi-2019. C’est donc très récent ! Il y a eu beaucoup d’opposition avec des arguments du type « la médecine est une science différente des autres sciences » ou « attention, les citoyens vont pouvoir ré-analyser les données et leur faire dire ce qu’ils veulent », c’est-à-dire conforter des théories anti-vaccins ou pro-homéopathie… Les serveurs devraient contrôler un minimum les publications pour qu’il n’y ait pas d’abus (absence de méthodes, sexisme, racisme…). Mais sur le gros volume, mis à part quelques personnes malveillantes, le système marche très bien et va se réguler.

Que pensez-vous du mouvement open science en général et des critiques envers les grandes maisons d’éditions en particulier ? 


Le mouvement open science est inéluctable et est un vrai progrès. Mais attention à ne pas confondre open science et intégrité scientifique. L’open science n’empêchera pas les fraudes. D’autre part, il y a la question des maisons d’éditions qui sont en train de changer de modèle car in fine toutes les publications scientifiques seront en open access. Évidemment, les profits actuels des grosses maisons ne sont pas acceptables. Cependant, je trouve que les maisons d’éditions ont un réel savoir-faire dont on a besoin (gestion des revues, contrôle qualité, outils électroniques, marketing, diffusion,…). Editeur est un métier en soi et ce n’est pas au chercheur de s’occuper de la mise en page, de la gestion du peer-review, etc. Cela aurait en plus un coût supplémentaire pour les universités. Il faudra du temps pour trouver un nouvel équilibre ; le Plan S au niveau européen est une bonne initiative.

Publier les résultats de la recherche en français doit-il être encouragé ? 


Je rejoins un peu Vincent Larivière, il a raison sur le principe. Mais les sciences « dures » sont passées à l’anglais et je ne vois pas de retour en arrière possible. Si l’ANR [Agence Nationale pour la Recherche, NDLR] exigeait des articles en français pour chaque dossier de demande de ressources, les chercheurs le feraient, mais ça provoquerait un tollé. C’est dommage car la francophonie se développe année après année grâce aux pays africains. Enfin, je dirais qu’on se rend d’autant plus compte de l’importance de notre langue quand on utilise une autre – l’anglais en l’occurrence. Notons que des auteurs comme Bourdieu et Foucault sont parmi les plus cités en sciences sociales et que leurs articles sont en français.

Qu’est-ce qu’un chercheur responsable selon vous ? 

Le chercheur est en premier lieu responsable vis-à-vis de la société. La recherche doit être au service de la société. Le chercheur ne peut pas faire ce qu’il veut — après tout, c’est de l’argent public. Dans un deuxième temps, le chercheur doit respecter les principes d’éthique, de déontologie et d’intégrité scientifique. En médecine, la recherche n’est pas toujours superposable aux fréquences des maladies. Dans des domaines, celui de la vitamine D par exemple, des recherches apportent des progrès minimes, alors que des maladies infectieuses, chroniques ou tropicales n’ont que peu de programme de recherche. Enfin, la liberté du chercheur est de toutes les façons limitée, car il dépend du système pour mener ses recherches. La responsabilité des chercheurs doit être partagée avec le système. Par exemple aujourd’hui, il y a des chercheurs qui abandonnent leurs domaines de recherche pour travailler sur le Covid, car des ressources arrivent. Mais quand on aura une autre crise sanitaire, comment fera-t-on ? 

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